Soumis par Michel Lambert le
En faisant la recherche sur notre cuisine familiale, je me suis assez rapidement rendu compte que notre rapport aux aliments est avant tout culturel. J'ai plusieurs fois dit que ce qui fait l'essentiel d'une cuisine familiale, régionale ou nationale, c'est justement le rapport que les individus, les familles, les ethnies, ont avec les régions et les pays et leurs garde-manger. La cuisine est la rencontre de la nature et de la culture.
Partout, sur la planète, l'homo sapiens s'est répandu en groupes familiaux à la recherche d'un terttitoire qui pourrait le nourrir en paix. Il n'eut pas le choix d'essayer plein d'aliments nouveaux dans ses pérégrinations, d'essayer plein de nouvelles recettes au contact des autres espèces humaines, ou des autres ethnies. Il en aima plus que d'autres en leur donnant un plus grand pouvoir et même une plus grande valeur, à ses yeux. C'est ainsi qu'avec le temps, les peuples construisirent leur culture culinaire.
Donnons quelques exemples. Avant l'arrivée des Blancs, les Autochtones du Nord-Est québécois accordaient beaucoup d'importance aux coquillages comme les bourgots et les palourdes avec lesquels ils se faisaient des ceintures et des colliers chargés de significations comme les phrases de nos langues. La disposition des coquillages dans les colliers avaient le même rapport que les mots dans une phrase. Les Français et les Anglais qui sont débarqués sur leurs territoires au XVIIe siècle, ont dut s'ouvrir à ce langage qui leur était complètement inconnu. Ils préféraient, chez eux, les moules, les coques et les huitres. Et avec le temps, les préférences sont passées d'une ethnie à l'autre.
Mon deuxième exemple est celui de nos aliments racines. Ce qu'on appelait encore les racines, au XVIIe siècle, ce sont essentiellement les carottes, les panais, les persil-racines, les raves aujourd'hui appelées les radis, les navets et les betteraves. Or, tous ces légumes sont constituées de racines rondes ou coniques comestibles qu' on préfère à leurs feuilles, pour la plupart d'entre eux. Ces aliments faciles à cultiver firent l'essentiel des repas des familles, au début du Moyen Âge alors que le blé qui pousse, plus haut, dans l'espace, fut rattaché au divin et au ciel. On connait tous la valeur du pain de blé, dans notre histoire culinaire au point qu'on l'identifiait même à Dieu et au Christ, dans le catholicisme. Avec la montée du christianisme, en Europe, une hiérarchie des aliments se batît en même temps qu'une hiérachie humaine. C'est ainsi que le bas peuple qu'on appellerait plus "les gens ordinaires" ou "les paysans", aujourd'hui, furent associés aux légumes-racines, de moindre valeur, alors que les artisans, les nobles et les ecclésiastiques furent davantage associés à tout ce qui pousse en hauteur, comme les grains des céréales, les fruits ou les légumes-fruits. Cette classification ou ces classes sociales des aliments ne sont plus présentes chez nous alors qu'elles le sont encore un peu en France, en particulier dans le monde des cuisiniers. C'est toujours plus prestigieux de servir du chou-fleur que du navet, en France.
Le contexte nordique du Québec modifia notre ancien rapport européen avec les racines. Parce qu'elles peuvent s'entreposer dans des caveaux humides, dans la terre, elles peuvent nous nourrir pendant les longs mois d'hiver. Elles nous sont toujours aussi précieuses, tout comme les oignons et les pommes de terre, mariés intimement à notre paysage. En résumé, leur valeur a changé, au Québec. Parce que ces légumes ont permis aux plus pauvres d'entre nous de survivre, on leur accorde aujourd'hui une plus grande valeur. Les racines permettent la continuité de la vie individuelle et collective. D'où leur importance grandissante, pour notre culture culinaire.
Les racines donnent des racines à notre cuisine nationale, nordique et américaine.
Ce site web fait beaucoup appel à ces racines. Je vous invite à lire quelques articles que j'ai écrits sur eux et à les cuisiner, cet hiver: la carotte, les navets, le salsifis et la scorsonère, le persil-racine, le panais, la betterave, les radis blancs ou daikon, les radis, le radis noir, et le céleri-rave.
Bonne lecture et bonne cuisine, cette semaine,
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale au Québec