Soumis par Michel Lambert le
Les haricots sont, après les pois dont nous avons parlé la semaine dernière, les légumineuses les plus importantes de notre cuisine. Faisons le tour de leur histoire pour mieux les connaître. D'où viennent-ils?
Les haricots sont d'origine américaine. "Des archéologues ont découvert, à Ancash, au Pérou, des preuves que les haricots étaient cultivés sur place, il y a 7 000 ans. Le légume s’est donc répandu dans toute l’Amérique, après cette époque, et il s’est associé à la culture du maïs et de la courge, en Amérique centrale, à l’époque des Mayas. La civilisation Maya s’est développée dans la Péninsule du Yucatan, au sud du Mexique, à partir de la Préhistoire jusqu’à son apogée, au IXe siècle de notre ère." * À l'automne 1492, Christophe Colomb et son équipage les découvraient en débarquant dans les Antilles."D’autres navigateurs espagnols, comme Oviedo et Cabeza de Vaca, disent en avoir vu beaucoup au Nicaragua et en Floride. De Soto ajoutait, en 1530, que les haricots étaient toujours plantés en combinaison avec le maïs et la courge. Ce qui est étonnant, car Jacques Cartier décrivit exactement le même type de culture lorsqu’il visita Hochelaga ou Montréal, en 1535. Le haricot lui-même, (ayacotl en nahuatl), a été donné à Colomb par les autochtones locaux. Selon les linguistes, il serait d’origine maya. Il apparait en français pour la première fois, en 1640, sous le nom de fève rognon, fève de Rome ou fève peinte. Les Québécois retiendont le terme fève puisque le mot existait déjà pour nommer les autres légumineuses du même type, comme les gourganes. Ces dernières étaient appelées les "grosses fèves" et les haricots s'appelaient des "petites fèves". "Les Français remplacèrent la culture des petits haricots amenés de France par les haricots autochtones. En 1694, dans la région de Montréal, les gens les appelaient des fèves de haricots, et les gens de Québec, simplement des fèves, par opposition aux faisolles qui correspondaient aux haricots amenés de France." " Les rouges étaient les préférés de la grande région de Québec en contact avec la culture culinaire des Hurons alors que les Montréalais préféraient ceux de couleur pâle ou bigarrée; c’est que les autochtones de la région montréalaise cultivaient plus des haricots originaires du Vermont et de l’État de New-York où vivaient d’autres cultures autochtones comme celles des Abénaquis et des Iroquois."
Pehr Kalm, le célèbre voyageur suédois au Québec en 1749, raconte que les gens de l’époque en plantaient beaucoup dans leurs jardins et qu’ils les faisaient sécher comme les pois et les gourganes. On les conservait aussi dans le vinaigre avec du sel et du poivre comme le raconte Hope Dunton et A.J.B. Johnson dans Recipes from the World of 18th-Century Louisbourg. Les gens de Québec consommaient beaucoup de fèves autochtones, les jours maigres de l’année ; on les préparait en soupe avec un morceau de lard salé, du beurre ou un gibier d’eau comme le bélouga, le castor ou le canard, ou avec des légumes et du lait, en été. Les Anglophones installés au Québec les adoptèrent aussi et les cuisinaient, en plus des soupes, en purées d’accompagnement de la volaille rôtie ou du jambon, comme le signale Susannah Carter dans son livre The Frugal Housewife (Boston, 1772).
Les Iroquoïens du Saint-Laurent les appelaient sahé. Mais comment les haricots seraient-ils arrivés dans la plaine du Saint-Laurent et à quelle époque ?
On trouve des preuves archéologiques de leur culture au Québec depuis au moins le début du XVe siècle. Ils sont arrivés comme le maïs et les courges par la région des Grands Lacs ontariens. Les Iroquoïens des Grands Lacs les avaient reçus eux-mêmes de peuples agriculteurs de l'Ohio, qui étaient en contact avec le Golfe du Mexique par l'intermédiaire du fleuve Mississippi et de ses affluents. Lorsque Jacques Cartier les découvrit à Québec, en 1535, ils faisaient déjà partie de notre cuisine autochtone. "«Pareillement, dit-il, ils ont assez de gros melons et concombres, courges, pois et febves de toutes couleurs, mais non de la sorte des nostres». "Ils avaient pris plusieurs millénaires pour se rendre d’Amérique du Sud au nord de l’Amérique du Nord. Plus de 200 variétés de haricots de différentes grosseurs et couleurs étaient plantées par les autochtones des deux continents américains, pour différents climats et différents usages." Les haricots apportés par Christophe Colomb en Espagne était petits et noirs. Ceux apportés en Angleterre par les premiers colons de la Virginie étaient petits et blancs. Ce sont donc ces deux haricots qu'on a d'abord plantés en Europe, au XVIe siècle.
Les petits haricots blancs avec lesquels nous faisons les fèves au lard sont appelés les Navy Beans, en anglais. On les servait quotidiennement, au déjeuner, sur les navires de la marine américaine, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, d’où leur nom de Navy beans. C’était le même type de haricot qu’on servait dans les camps de bucherons américains où nos ancêtres sont allés travailler, dans les années 1860. C’est pourquoi ils sont les haricots les plus populaires au Québec pour faire nos fèves au lard. Rappelons-nous que ces haricots sont originaires du Sud-Est des États-Unis où les autochtones locaux les cultivaient. C'est là que les premiers Anglais installés en Virginie, en 1607, les adoptèrent dans leur cuisine. Mais ce ne sont pas les seuls haricots de notre cuisine patrimoniale, comme on l'a vu plus haut.
Il ne reste malheureusement plus autant de varitétés de haricots qu'au temps des Iroquoïens du Saint-Laurent. Certains grainetiers offrent cependant quelques anciennes variétés autochtones qu'on peut planter dans son jardin comme je l'ai fait dans les années 1980. Je les mettais en conserve pour l'hiver; chaque sorte avait son usage préféré; certaines variétés faisaient d'excellents potages et purées, d'autres avaient plus de tenue et se servaient bien en salade.
* Tous les textes entre guillements sont des extraits de mes textes sur ce site web.
Je vous invite à lire mes textes sur les fèves de Lima et les flageolets de même que sur l'origine des fèves au lard et de certains plats de haricots populaires, chez nous.
Faisons un peu de lumière sur nos célèbres "bines" ou fèves au lard
Les ragouts iroquoïens sur le feu
Bons essais culinaires de cuisine nordique!
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec