Soumis par Michel Lambert le
Je trouve que cette expression introduit bien notre sujet, cette semaine. Dans notre culture, les oignons symbolisent nos affaires, ce qui nous appartient en propre, tant au plan physique que psychologique, individuel que collectif, parce que l'expression est au pluriel. On pourrait aussi dire que nos affaires, ce sont toutes les manifestations de notre propre culture, y compris notre culture culinaire issue de multiples métissages ethniques, linguistiques et sensitifs. Mais pourquoi a-t-on choisi les oignons pour symboliser tout ça?
Selon les linguistes, l'expression serait confirmée textuellement, en France, depuis le tout début du XXe siècle, et à peu près en même temps aux États-Unis (know your onions", qui ne veut pas exactement dire la même chose. L'expression française signifierait, selon certains linguistes français," occupons-nous de nos fesses, donc de ce qui nous est proche et intimement personnel. L'expression argotique serait construite à partir d'une analogie de forme. Une autre hypothèse raconte qu'au centre de la France, ce sont les femmes qui s'occupaient de planter les oignons dans les jardins. Lorsque les femmes voulaient s'impliquer dans d'autres décisions familiales, les hommes leur disaient "occupe-toi de tes oignons", en mentionnant implicitement qu'ils voulaient garder le contrôle sur la vie familiale. Aux États-Unis, l'expression serait née du fait qu'après la Première Guerre mondiale, l'afflux d'immigrants de partout dans le monde aurait multiplié les variétés d'oignons plantées dans les jardins. Ainsi, l'expression signifierait plutôt "occupons-nous de ce que l'on connait, non de ce que nous ne connaissons pas."
Quelle que soit la signification que vous préfériez, ce qui est intéressant, c'est le choix de l'oignon par opposition à d'autres légumes ou fruits de forme semblable. L'oignon est le légume aromatique le plus commun des cultures culinaires de l'Eurasie. Et il est devenu l'arôme principal du monde à partir du moment où l'on a découvert les autres continents et le fait que la terre est ronde, tout comme l'oignon.
Les auteurs de l'Antiquité chinoise, égyptienne, perse, grecque ou romaine parlent tous de l'odeur de l'oignon, lors des repas de toutes les classes de la société. C'est donc que l'oignon appartient à toutes les cultures culinaires de l'Europe et de l'Asie. En Amérique, les autochtones des régions tempérées connaissaient les plantes cousines de l'oignon européen, comme l'oignon sauvage (allium tricoccum). Les jésuites les ramassaient pour parfumer leur sagamité lorsqu'ils allaient faire leurs missions chez les Algonquins, les Hurons ou les Iroquois.
Notre cuisine traditionnelle les utilise largement, en toute saison. Dès le XVII e siècle, on plantait plusieurs variétés d'oignons comme les cives, les oignons d'Égypte, les oignons rouges, les oignons jaunes et les oignons blancs. Je vous invite à lire quelques arrticles que j'ai écrits sur ce légume préféré de notre tradion culinaire: les oignons, l'oignon d'Égypte ou rocambole, les ciboulettes, cives et oignons d'hiver, les échalotes vertes ou sèches.
J'aime aussi la notion d'imputabilité qui est sous-entendue dans cette expression. Nous sommes responsables de nos oignons; leur croissance et développement dépendent de nous. S'ils sont en mauvais état, cela ne dépend pas du voisin. La pandémie généralisée dans le monde nous donne plusieurs exemples d'imputabilité et de manque d'imputanilité dans sa gestion par les politiciens et les grands responsables de la santé publique, n'est-ce pas?
Bonne semaine à tous,
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec