Soumis par Michel Lambert le
Lorsque les Européens mirent le pied dans les Antilles, les Caraïbes, les Amériques Centrale, du Sud et du Nord, la culture du maïs avait déjà eu le temps de se répandre partout où le climat le permettait. Ils constatèrent rapidement que le maïs américain jouait le rôle du blé en Europe: c'était l'aliment de base auquel s'ajoutaient plein d'autres aliments locaux ou importés. En effet, l'importation n'est pas une invention européenne; les autochtones ont toujours importé des aliments d'ailleurs. Le maïs lui-même est originaire du sud du Mexique. Se sont ajoutés les courges, les haricots, les piments, les tomates, les arachides, le cacao, le chia, la vanille, le chocolat, etc. qui avaient déjà atteint le Mexique au moment où les Espagnols les découvrirent sur place, à partir de 1492.
Le maïs a été rapidement associé à la vie économique, sociale, politique et religieuse de toutes ces populations. Il devint le symbole même de la Vie, incarnant la divinité à l'origine de la Vie. Plusieurs croyances et plusieurs rituels ont été initiés pour amadouer cette divinité qui permet aux gens de se maintenir en vie. Les Aztèques lui sacrifiaient même des enfants, leurs êtres les plus chers, pour s'assurer que le Dieu-Soleil leur donnerait de belles récoltes de maïs.
Au Québec, ce sont les Iroquoïens du Saint-Laurent qui consommèrent du maïs en premier, dès le VIIIe siècle. Ils l'importèrent de leurs cousins des Grands-Lacs avant de le cultiver à Montréal, dès le XIe siècle. La culture du maïs fut associée au XIVe siècle à celles des haricots et des courges. Les Iroquois appelaient cette combinaison de cultures, celle des "Trois Soeurs" ou Kionhekwa. La plupart des autochtones agriculteurs de l'Amérique du Nord plantaient le maïs de la même façon. Les hommes bûchaient de gros ormes pour faire leur maison longue puis brûlaient les souches de ces arbres. Les femmes mélaient les cendres de la souche à la terre environnante en créant un petit monticule sur lequel elles plantaient 4 grains de maïs, situés en croix selon les 4 points cardinaux. Autour de ces futurs plants de maïs, on semait des haricots grimpants qui viendraient s'accrocher aux longues tiges de maïs. Puis, tout autour de ces 2 légumes, on éparpillait des graines de courge qui garderaient l'humidité du sol et permettraient la croissance des 3 soeurs.
Au Québec, on plantait une trentaine de variétés de maïs, de haricots et de courge pour répondre à des besoins différents: maïs sucré, maïs à souffler, maïs à lessiver avec de la cendre de bois franc, maïs à farine ou à semoule, maïs à fermenter, etc.. À la mi-septembre, c'était le temps des premières récoltes que l'on faisait en famille élargie. La fameuse épluchette de blé d'Inde des Franco-Québécois tire son origine de cette tradition iroquoïenne. Les Autochtones conservaient les grains de maïs dans des paniers qu'ils entreposaient dans des trous creusés dans la terre et dans leur maison longue. Si leurs ennemis brûlaient leur maison, ils pouvaient toujours se sauver la vie en récupérant le maïs enfoui dans les trous bien dissimulés. Les Français conservaient les épis de maïs séchés dans le grenier. Lorsqu'on avait moins de travail sur la ferme, on se faisait du blé d'Inde lessivé pour l'hiver, à la manière autochtone, et de la semoule de maïs en allant faire moudre les grains au moulin à farine du village. Cette farine servait à faire des galettes, des pains, et une espèce de gruau que nos grands-mères appelaient de la "soupane". Cette soupane faisait le repas des personnes âgée, en hiver, et le déjeuner rapide des travailleurs ou des coureurs des bois, en toutes saisons.
Le maïs sucré actuel date des années 1940, moment où l'on a commencé à en mettre en conserve, dans le sud-ouest du Québec. Le pâté chinois que l'on connait est arrivé après la disponibilité du maïs en conserve. Auparavant, on faisait du pâté chinois sans maïs, avec des restes de viandes rôties ou bouillies. Mais les coureurs des bois connaissaient déjà un pâté chinois que leurs compagnons irlandais faisaient, dans l'Ouest canadien et américain, avec du bison et des légumes bouillis. Comme les coureurs des bois s'apportaient toujours du maïs lessivé pour se faire des bouillotes de petit gibier ou de poisson ou pour en mettre dans leur soupe aux pois, ils eurent l'idée de remplacer les légumes irlandais par du maïs lessivé. C'est ainsi que l'ancêtre de notre pâté chinois, appelé shepherd's pie par les irlandais, serait débarqué à Montréal, juste avant les rapides de Lachine, au milieu du XIXe siècle. On aurait ensuite servi ce pâté aux anciens coureurs des bois qui venaient boire un coup dans les tavernes, près de leur quai d'embarquement pour l'Ouest. Le pâté chinois serait ensuite passé dans les familles montréalaises avant de se répandre partout au Québec, avec de multiples variantes, comme celles que j'ai présentées dans ce site web. C'est mon hypothèse personnelle de l'origine du pâté chinois. Quant au nom qui n'a aucun rapport avec le plat, plusieurs hypothèses existent que j'ai expliquées ailleurs sur ce site web. Voir mon article sur le pâté chinois au boeuf haché.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec