Soumis par Michel Lambert le
Le nom déjeuner veut dire « sortir du jeune », par conséquent, manger après une période de jeune. Dans notre culture, la période de jeune dure, grosso modo, une douzaine d’heures, incluant la nuit. Et nous mangeons 3 fois, durant les autres 12 h. Traditionnellement, les autochtones mangeaient 2 fois par jour, au lever du soleil et au coucher. Mais l’été, ils pouvaient prendre plusieurs collations par jour. Cette généralité a cependant eu plusieurs exceptions, au cours de notre histoire.
En été, les autochtones du Québec sortaient de leur abri, le matin, pour aller ramasser des petits fruits; s’ils n’en trouvaient pas beaucoup, ils rapportaient leur cueillette pour la mettre dans leur sagamité. Celle-ci se composait de semoule de maïs délayée dans de l’eau et épaissie sur le feu. Cela ressemblait à nos gruaux d’avoine aux framboises ou bleuets. L’hiver, les autochtones de culture algonquienne allaient cueillir les petits gibiers qui s’étaient pris dans les collets posés par les adolescents pour se faire un bouillon de gibier qu’ils épaississaient avec de la semoule de maïs importée de leurs alliés. De leur côté, les autochtones de culture iroqoïenne ajoutaient plutôt du poisson fumé ou séché à leur sagamité ou ottet. Ils le remplaçaient de temps en temps par des restes de courges ou de haricots cuits la veille, par des petits fruits séchés, ou par de l’huile de noix ou de tournesol.
En s’installant au pays, les Français amenèrent leurs coutumes qu’ils mêlèrent aux traditions autochtones. Les missionnaires et les religieuses racontent qu’ils adoptèrent la sagamité de maïs qu’ils préparaient avec du lait plutôt qu’avec de l’eau. On ajoutait parfois un peu de sucre et d’épices à ces mixtures. Lorsqu’on se mit à récolter des céréales, tous les Français se mirent au pain de ménage que l’on déchiquetait dans un bol de lait fraichement tiré des vaches de la ferme. Pendant la semaine, on mangeait surtout du pain bis ou du pain de gaudriole. Le pain bis était fait avec de la farine qui contenait beaucoup de son qui lui donnait sa couleur « bis », donc foncée et grisâtre comme les pigeons biset, que certains appelaient du « pain noir ». Aujourd’hui, on parlerait de pain de céréales entières. Le pain de gaudriole était fait d’un mélange de farines de céréales et de légumineuses comme les pois et les gourganes séchées. Certains fabricants actuels de pain ont repris cette recette traditionnelle pour l’adapter à nos mœurs contemporaines. Le dimanche et les jours de fête, on mangeait du pain blanc que l’on faisait avec la « fleur » de la farine, la partie la plus tamisée et la plus fine du grain de blé. La farine blanche était associée à la pureté, au divin, donc au dimanche. Les desserts que l’on mangeait seulement ce jour-là étaient faits avec de la farine blanche de blé mou qui venait bien au Québec. On l’appelle de la farine blanche à pâtisserie, aujourd’hui. Les mamans se gardaient un ou deux jours par semaine pour faire cuire le pain familial. Celui-ci était cuit dans le four à pain attenant à l’âtre de la cheminée de la cuisine ou dans le four extérieur de la maison, dans les régions périphériques de la plaine du Saint-Laurent où les maisons étaient plus en bois qu’en pierre, comme dans la plaine du Saint-Laurent. C’était une façon de protéger la maison du feu car il arrivait souvent que les maisons passent au feu, à cette époque, lorsqu’on voulait faire une grosse attisée.
Pour revenir à nos déjeuners français, le pain était donc accompagné de graisse de panne ou de rôti de porc, ou de tête fromagée ou cretons dans le temps des Fêtes, ou d’omelette avec du jambon, du bacon ou de la gourgane (gorge de porc fumée), dans le temps de Pâques. Au quotidien, on accompagnait le pain de grillades de lard salé. Ce type d’accompagnement était surtout celui des travailleurs. Les femmes et les enfants se contentaient souvent de lait chaud avec du chocolat ou du café et du beurre sur leur pain. L’été on ajoutait des petits fruits sauvages dans le bol de lait dans lequel on déchiquetait le pain.
Lorsque les Britanniques se sont installés chez nous au XVIIIe siècle, ils amenèrent leurs coutumes avec eux. Les déjeuners étaient, chez eux, le repas le plus important de la journée. Ils accompagnaient leur pain grillé de charcuteries, d’œufs cuits de diverses façons, de pommes de terre, de haricots, lors des fêtes et le dimanche, et de confitures ou gelées, les jours de semaine. Ces habitudes furent transmises aux Canadiens français qui fréquentèrent les camps de bucherons de la Nouvelle-Angleterre de même que les premiers restaurants-auberges ouverts par les immigrants américains, en Montérégie et à Montréal. Les déjeuners actuels servis dans nos restaurants sont les descendants de cette tradition britannique.
En résumé, les déjeuners québécois des 200 dernières années sont essentiellement composés de glucides accompagnés d’aliments salés ou sucrés, à la manière britannique. Lors des derniers 30 ans, sont apparus les brunchs et les déjeuners tout-en-un spécialement faits les jours de fête ou au restaurant. Mais la tradition française et franco-québécoise ont quand même persisté jusque dans les années 1950. Jusque dans ces dernières années, on faisait, le matin, des catalognes, des flanelles, des tracas, des blasphèmes, des pâtons, des galettes à la branche, des portépis, des biscuits-matelots de tradition franco-québécoise; des pains, des crêpes, des brioches, des galettes, des tartes salées, des biscuits, des gaufres, des quiches et des roulades de tradition française. Et l’on faisait aussi des muffins, des grands-pères (dumplings), des crumpets, des johnny cakes, des popovers, des wafles, des slap jack, des scones, des pancakes, des spoon cakes, des pones, des sally lunn, des toutons, des bisquets, des plugs de tradition britannique. On faisait aussi de la soupane de blé d’inde et de la bannique de tradition métisssée autochtone-européenne. La soupane est un autre mot pour désigner la sagamité d’origine iroquoienne. Il vient de la langue hollandaise (supwan) parlée dans la colonie hollandaise de Nouvelle-Amsterdam, aujourd’hui New York. Le terme nous est donc venu de Nouvelle-Angleterre où des milliers de Franco-québécois sont allé travaillr, au XIXe siècle. Le terme bannique vient du gaélique écossais bannok. Les autochtones ont changé le nom français ou autochtone de leur pain pour ce nom écossais parce que les gérants des postes de traite avec qui ils traffiquaient à partrir de 1770, étaient pratiquement tous des Écosso-Québécois.
Voilà pour cette semaine. Je vous en dirai plus sur nos déjeuners, la semaine prochaine.
Bonne semaine!
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.