Les vins doux dans notre cuisine

L'histoire de notre cuisine aux vins doux est issue directement de nos origines européennes et américaines. Ce qu'il faut savoir, c'est que les vins doux sont issus d'une part, de la vigne et d'autre part, de plein d'autres aliments mélangés à du sucre et amenés à la fermentation pendant des mois, en barrique. Pour garder leur taux de sucre en bouche, ces vins doivent être plus forts en alcool que les vins secs. C'est pourquoi, on les a historiquement enrichis, en plus, d'alcool pur pour favoriser leur transport dans les soutes chaudes et humides des bateaux pour assurer leur conservation jusqu'à bon port; c'est le cas, entre autre du zérès ou sherry, du madère et du porto.

" Mon répertoire compte plus d'une centaine de recettes qui les utilisent en parfum pour les sauces salées, les braisés, les marinades et les desserts de toutes sortes. Le xérès, plus connu sous le nom de " sherry anglais" est utilisé de façon très anecdotique dans notre cuisine, principalement dans les familles anglophones¹." Il faut se rappeler, ici, que ce sont les Anglais qui ont créé le xérès à partir de vins espagnols plus ou moins sucrés auxquels ils ont ajouté un peu d'alcool pur de 15 à 19% pour les transporter plus aisément en Angleterre. Ces vins produits en Andalousie s'appellaient "jerez", en espagnol, d'où le terme de xérès.

Le madère se rencontre dans une quinzaine de recettes de mon répertoire québécois d'origine française, comme les laitues braisées et le pâté de foie, ou d'origine anglaise, comme le pâté à l'agneau et le gâteau au madère². Le madère provient des Iles Madère depuis le XVIe siècle, produit par la communauté portugaise de ces îles. Les madères sont, aujourd'hui, aussi diversifiés que les xérès ou les portos. Chez nous, "le porto est associé à notre cuisine raffinée: on en met dans la mousse de foie de volaille, dans les champignons sauvages marinés, dans le pâté de foie de canard, dans la mousse de ris de veau ou le pâté à la viande hachée de canard de Brome. Les crèmes de champignons sauvages ou de gibier en reçoivent un peu. Il est beaucoup plus utilisé dans les sauces-crèmes pour la plie, la truite mouchetée, le homard ou les huîtres, dans celles qui accompagnent l'orignal, le chevreuil, les canards sauvages, l'oie blanche, la perdrix et le lièvre. On le voit dans les plats raffinés élaborés avec du canard domestique, du lapin, du filet de porc ou de veau, du faisan ou du blanc de volaille. On en ajoute dans la gelée d'atocas qui accompagne la dinde de Noël et dans certains accompagnements raffinés comme les morilles. Enfin, il s'invite dans la sauce d'accompagnement du gâteau à l'érable des Bois-Francs.³" Le porto provient du haut de la rivière Douro, au nord-est du Portugal. Là encore, ce sont les Anglais qui l'ont fait connaître dans tout leur empire. Ils l'ont baptisé "Porto" parce que c'est à partir de cette ville, à l'embouchure du Douro et de l'Atlantique, qu'ils l'embarquaient pour le transporter en Angleterre. Chaque producteur de porto a sa quinta (domaine) où il produit différents types de portos rouges, comme les rubies et les tawnys, et des portos blancs ou rosés depuis les années récentes. Revenons au sherry produit, cette fois-ci, non pas en Espagne, mais aux États-Unis, au Canada et même au Québec. 

En effet, ce vin sucré était vendu, autrefois, sous le nom de vin Saint-Georges. On l'utilisait en apéritif ou surtout en mélange avec de l'alcool pur pour faire le célàbre caribou, populaire partout au Québec, depuis au moins 200 ans. Il faisait partie des traditions de carnaval à la Mi-Carême, au Mardi Gras, puis, dans les années 1960, aux carnaval de Québec et de Chicoutimi. Ce vin est aujourd'hui méprisé par les connaisseurs qui le trouvent grossier et beaucoup trop sucré. Mais, associé à de l'alcool pur, il perd de son sucre et renforcit considérablement l'enivrement recherché pour faire la fête. Dans mon enfance, ma mère remplacait ce vin par un vin de cerises à grappes qu'elle préparait, chaque année, à partir des cerisiers de Virginie de notre jardin. Comme je l'ai constaté dans mon enquête, le vin de cerises qu'on confondait avec le sherry canadien ou américain était aussi utilisé dans de nombreuses recettes, comme je l'ai raconté dans mon 5e volume. " On en met parfois dans les fèves au lard du matin, dans les entrées comme les champignons farcis, les pâtés de foie ou de gibier, puis dans quelques potages comme le consommé de boeuf ou de caribou, le potage froid au melon cantaloup ou la soupe aux fèves rouges de Montréal. Dans les plats principaux, j'ai rencontré des recettes au sherry avec du saumon, des crevettes, du crabe, de l'oie blanche, du caribou et de l'orignal, mais aussi dans des ragoûts de dinde, de canard domestique, de côtes levées, de poulet ou quelques plats de légumes braisés comme du fenouil ou des choux de Bruxelles. Le sherry est aussi présent dans plusieurs desserts comme le gâteau à la muscade, la bagatelle aux fraises ou aux framboises, la tarte aux raisins, la salade de melon et le traditionnel syllabub, que les Anglais ont apporté avec eux à la Conquête, puisque ce dessert date de l'époque élisabéthaine⁴."

On a aussi remplacé le sherry par plusieurs vins maison sucrés faits avec des petits fruits sauvages comme les bleuets ou la salcepareille, des légumes comme les betteraves ou les tomates, des fleurs comme les pissenlits ou les trèfles, des pommes de terre et même de l'écorce ou de la sève de merisier ou de bouleau blanc.

Tous ces vins maison sont pratiquement disparus de la circulation, mais on peut trouver d'excellents vins de fraises ou de framboises originaires de Lanaudière, du Bas-Saint-Laurent ou du Témiscamingue (comme le vin de fraises de la ferme Guy Rivest, à Rawdon, le vin de framboises et d'aronia de la Marée Montante, à Kamouraska, ou le Guizou fraises de Guigues, au Témiscamingue.

Bonne semaine à tous nos fidèles lecteurs et bienvenue sur notre site, à tous les autres visiteurs occasionnels.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.

1. Histoire de la cuisine familiale du Québec, Volume 5, Le monde à notre table: ses cuisines et ses produits, GID, 2013, p. 735

2. Ibidem, p. 735

3. Ibidem, p. 735

4. Ibidem, p. 736