Les plats les plus typiques du Québec No 5

Nous continuerons notre tour d’horizon des plats typiques du Québec, en parlant des soupes variées que nous faisons avec les produits aquatiques de nos régions.

Le mot soupe est un terme générique qui nous vient du vieux germain et qui a des liens avec le mot saper, ou spiaquer, comme disait mes grands-pères. Le mot fait allusion à une habitude culturelle germanique qui consistait à aspirer bruyamment le liquide qu’on avalait. C’est à la Renaissance que cette habitude est disparue, au contact de la noblesse italienne et de Catherine de Médicis. Certains ont aussi suggéré que le mot venait d’une contraction du latin sub pane (sous pain) parce qu’on servait toujours, en début de repas, le liquide dans lequel avaient bouilli les aliments, sur une tranche de pain posée dans une assiette creuse ou un bol. Mais on s’entend aujourd’hui pour dire que le mot est plutôt d’origine franque (vieux germain). Le terme est générique, aujourd’hui et désigne tout type de préparation liquide aromatique. Cependant, dans la culture québécoise, le mot soupe désigne spécifiquement un alliage d’aliments taillés en dés ou en petits morceaux, jamais réduits en purée. La soupe aux légumes, le minestrone, la bouillabaisse, la chaudrée ou le chowder, la chaudronnée, la marmite, les soupes de légumineuses ou les soupes repas sont toutes des soupes d’aliments en dés ou petits morceaux. Par opposition, les soupes que l’on réduit en purée sont appelées des potages. La bisque, la crème, le velouté, la vichyssoise font partie de cette famille. Il y a les soupes très liquides qu’on appelle des bouillons, des fumets, des courts bouillons ou des consommés et des soupes très épaisses qu’on baptise, aujourd’hui, des soupes-repas. Je vais vous donner un aperçu de ces types de soupe, d’après mon important échantillonnage, en ne me consacrant, ici, qu’aux produits aquatiques. Commençons avec les soupes les plus anciennes, soit celles des aliments en morceaux.

Les soupes de poisson québécoises ont au moins 8 000 ans puisque toutes les nations archaïques en faisaient avec des poissons de leur environnement, autant en saison verte qu’en saison blanche. L’hiver, on les faisait avec du poisson séché et/ou fumé ou du poisson pêché sous la glace. Aujourd’hui, elles se font, dans les régions maritimes, avec du poisson de mer frais ou congelé, du poisson salé et du poisson fumé. Dans les régions forestières et la plaine du Saint-Laurent, elles se font avec du poisson d’eau douce frais ou congelé, du poisson en conserve et du poisson de mer salé. Mon répertoire compte une centaine de soupes de poisson, dont 40% sont faites avec du poisson d’eau salée et 60 %, avec du poisson d’eau douce. Les poissons les plus utilisés pour faire la soupe, sont,  par ordre décroissant, la morue fraiche, le brochet, la truite mouchetée ou de mer, le corégone, la ouananiche ou saumon d’eau douce, l’aiglefin, l’achigan, le maquereau, l’anguille, le touladi, la perchaude, le doré, le chabot, le meunier, la barbotte, le flétan atlantique, le flétan du Groenland, le capelan, le saumon, l’esturgeon jaune, le sébaste, le hareng, la sardine, la loche, la baudroie, la raie, l’éperlan, l’alose, l’ombre de l’Arctique, la morue salée, l’ogac et le maskinongé. Le saumon et le thon en conserve sont utilisés de même que le saumon, la truite et l’aiglefin fumés. Nos soupes de poisson s’appellent aussi des chaudrées ou des chowders. Le terme chaudrée nous vient de France alors que le terme chowder nous vient d’Angleterre. Les deux sont cependant les descendants du terme « chaudière » prononcé par les Normands, au XIIe siècle.  Les Normands prononçaient « tchôdèr » qui a fini par se prononcer tchâdeur (chowder) par les Anglo-Normands de l’ile Jersey et chaudrée par les Normands de la Normandie. Cette soupe d’origine normande se faisait avec des poissons et/ou des fruits de mer, des aromates, des herbes et du poisson. On l’épaississait avec du pain rassis écrasé en chapelure. Une fois installés au Québec, on a changé le pain par des biscuits soda, à la fin du XIXe siècle. De leur côté, les Loyalistes installés en Gaspésie avait déjà changé le pain par des pommes de terre en dés. C’est pourquoi le chowder se fait essentiellement avec du lard salé, des pommes de terre, de l’oignon, du poisson, des herbes comme le thym ou la sarriette et de la crème.

Mais la très grande majorité de nos soupes de poissons actuelles se font avec des pommes de terre, de l’oignon, du céleri et des carottes, complétées par un mélange personnel d’herbes fraiches, salées ou séchées. Les légumes sont d’abord étuvées traditionnellement dans un corps gras comme la graisse de lard salé ou de bacon ou du beurre auxquels on ajoute de l’eau pour les cuire avec le poisson. La plupart des gens ajoutent, soit du lait, de la crème ou de la béchamel, soit des tomates en dés, du jus de tomate ou du jus de légumes. Dans les mélanges d’herbes rencontrés, on trouve presque toujours du persil, de l’oignon ou de l’échalote verte, de la ciboulette, du fenouil ou du cerfeuil, et occasionnellement de l’aneth, de la marjolaine, des feuilles de livèche ou de céleri, des feuilles d’ail des bois, de l’origan, du thym, du basilic ou de l’anis vert. Les autres légumes parfois ajoutés aux légumes de base cités sont le poireau à la place de l’oignon, le poivron, les champignons et le maïs en grain ou en crème. Pour plusieurs familles, la soupe de poisson était la soupe-repas du vendredi midi. Plusieurs cuisiniers et cuisinières ajoutent du fromage à la soupe de poisson, comme du cheddar, du parmesan, du gruyère, de la mozzarelle et la font gratiner. D’autres ajoutent des pâtes ou des grands-pères pour en faire un repas complet. Voici quelques soupes de poisson autochtones : soupe innue au saumon (Nemeshnapui); soupe inuit de morue de roche (uggaq qajoq) aux pommes de terre, persil de mer et lait en conserve; soupe de truite mouchetée du Nunavik (nutillik qajoq) au riz et crème de céleri en conserve; soupe crie de légumes au brochet (chinôshâw nabwi); soupe mohawk d’hiver à la semoule de maïs parfumée à l’esturgeon fumé ou soupe mohawk d’été au maïs en grain et à l’esturgeon frais; soupe longue à la ouananiche à la manière montagnaise (tranches de ouananiche bouillies 3-4 h avec oignon et pommes de terre en gros morceaux, réduite en bouillie avec les arêtes écrasées à la fourchette). Les soupes de poisson portent parfois faussement le nom de bouillabaisse car la soupe est faite seulement avec un poisson de mer comme le saumon ou la morue ou un poisson d’eau douce comme le brochet ou le doré. Une bouillabaisse contient normalement, au Québec, un choix de plusieurs poissons et fruits de mer.

Les soupes de poisson et de fruits de mer sont aussi appelées des bouillabaisses ou des chaudrées, dans nos régions maritimes, sans doute à cause du fait que quelques chefs français sont venus travailler dans nos régions maritimes et que quelques grandes écoles de cuisine, comme celle du Gite du Mont Albert, en ont transmis la connaissance à leurs élèves québécois, il y a plus que 60 ans. On les fait principalement en Gaspésie et aux iles-de-la Madeleine. En Basse-Côte-Nord, on fait une soupe au pain qui inclut des moules, de la plie et du flétan du Groenland. Dans le Bas-du-Fleuve, on en fait une avec du saumon, de la plie, des moules et du crabe au parfum de céleri, allongée de lait.

Les soupes de fruits de mer ressemblent énormément aux soupes de poisson en ce sens qu’on les fait surtout avec de l’oignon attendri dans un corps gras traditionnel comme la graisse de bacon ou de lard salé, des pommes de terre en dés, des herbes fraiches ou séchées et de la crème. L’ajout de légumes est beaucoup moins fréquent que dans les soupes de poisson, surtout dans les soupes et les chowders traditionnels que l’on fait surtout avec des mollusques. Les palourdes, plutôt appelées des clams, et qui devraient s’appeler des mactres de Stimpson ou des quahogs, selon les biologistes connaisseurs, les coques ou les myes, les moules et les pétoncles sont les coquillages les plus fréquents de nos soupes aux fruits de mer. Dans les crustacés, ce sont les crevettes qui sont très hautes dans la liste des fruits de mer préférés de nos soupes. Suivent le crabe, puis le homard. Il ne faut pas oublier la soupe aux écrevisses qui se fait encore dans les communautés autochtones de la Baie-James et de la Minganie où on l’appelle wechatichiunapwi. Autrefois, cette soupe était très populaire en Montérégie, spécialement sur la Rive-Sud de Montréal, entre Longueuil et La Prairie.

Certaines soupes remplacent les pommes de terre par du riz ou du gruau d’avoine, spécialement en harmonie avec la chair de crabe de la Haute-Côte-Nord. Sur la Pointe de Gaspé, on remplace parfois l’eau de la soupe par de la bière en combinaison avec du jus de tomate et des mactres ou des quahogs. Dans les soupes aux fruits de mer les plus importantes de notre histoire culinaire, il ne faut surtout pas oublier nos soupes au lait et fruits de mer : je pense aux soupes aux huitres que l’on préparait traditionnellement juste avec du lait et un aromate vedette : à Chicoutimi, à la fin du XIXe siècle, on la faisait avec du poireau; à Mont-Joli, avec du paprika; en Mauricie, avec du bouillon de lièvre; à Montréal, avec de la simple ciboulette et sur la Côte-du-Sud, avec des champignons ou une simple feuille de laurier.

Les soupes aux herbes des grèves sont particulièrement présentes dans Charlevoix, en Haute-Côte-Nord, au Saguenay-Lac-Saint-Jean et sur la Côte-du Sud. Les ancêtres communs de ces gens habitaient la Côte-de-Beaupré et l’ile d’Orléans. Ils connurent les temps de pénurie alimentaire du début de la colonie et durent apprendre à se débrouiller avec les plantes sauvages locales, guidés par les Autochtones de la région de Québec. (Innus, Algonquins et Hurons). Les soupes d’origine se faisaient avec un bouillon d’oiseau sauvage comme la perdrix ou le canard noir, puis une poignée de riz, d’avoine ou d’orge et un mélange d’herbes qu’on ramasse sur les grèves du fleuve. Les herbes préférées étaient la salicorne souvent appelée le casse-pierre, la passe-pierre ou le perce-pierre par nos ancêtres. On donnait aussi le même nom au plantain maritime. On ramassait aussi des pois de mer (gesse maritime), des herbes d’huitres (suédas) et du chou-gras (arroche astée).

Les soupes aux animaux marins ne se font pratiquement plus aujourd’hui, sinon dans les villages éloignés des grands centres où les grands de l’alimentation ne sont pas encore présents. Au Nunavik, en particulier, on fait de la soupe au phoque annelé avec du riz et de la sauce soya ou bien du chou et des légumes. Autrefois, on ajoutait des algues aux soupes inuit de phoque.

Les bisques sont faites aujourd’hui avec du poisson ou des crustacés. On a cru longtemps que cette soupe était d’origine basque parce qu’on rencontre des soupes de fruits de mer du même type dans le répertoire basque de Biscaye. -- Cette province basque se situe au nord-est de l’Espagne. Mais les historiens de la cuisine française pensent plutôt que le terme vient du français de la Renaissance et voulait dire « cuit deux fois », un peu comme le mot bis-cuit. Il aurait été formé à partir du mot bis-cota avant de devenir bisque. Quoi qu’il en soit, c’est un véritable potage, donc une soupe réduite en purée dans un mélangeur électrique ou par un moyen mécanique comme un presse-purée ou un hache-viande. Certains connaisseurs préfèrent la texture légèrement granuleuse d’une bonne bisque. Et c’est un avis que je partage, ce qui distingue cette soupe d’une crème, d’un velouté ou d’un potage. On les fait surtout avec du saumon, en Gaspésie et en Basse-Côte-Nord. Et Madame Iserhoff de la nation crie propose une bisque de corégone ou d’écrevisse (nipi-iyik) dans un livre de recettes cries de la Baie James. Dans les autres régions maritimes du Québec, on fait la bisque avec du homard, du crabe, des crevettes et des pétoncles, seuls ou en mélange. Toutes les recettes font d’abord un bouillon avec les carcasses concassées auquel on ajoute un roux et de la crème. Certains ajoutent une ou deux carottes ou de la pâte de tomate. Personne n’oublie un peu de Cayenne ou de piment d’Espelette pour souligner la soi-disant origine basque.

Les crèmes de fruits de mer ou d’algues sont, à mon avis, parmi les plats les plus typiques du Québec. Si certaines recettes ressemblent aux bisques, d’autre font d’abord des crèmes de légumes avec les bouillons de cuisson de leurs fruits de mer qu’ils épaississent au roux, qu’ils parfument d’herbe et qu’ils garnissent du fruit de mer en question. Tous les potages ajoutent évidemment de la crème pour pouvoir porter ce nom qui les distingue des potages. Voici quelques modèles de notre répertoire : crème de légumes en macédoine aux pétoncles; crème de brocoli aux fruits de mer mélangés; crème de champignons aux pétoncles; crème de céleri aux moules; crème de courge aux crevettes; crème de laitue de mer (algue) aux crevettes et crème de tomate maison aux crevettes. Certaines crèmes de fruits de mer se font avec une simple béchamel légère à laquelle on ajoute du persil sauvage pour la crème de moules ou de l’ail, pour la crème de crabe. Il ne faut jamais oublier que les fruits de mer ont un gout délicat qui doit rester le premier élément que l’on perçoit en goutant à la soupe. La crème d’algue se fait plutôt comme un potage Parmentier auquel on ajoute une algue choisie et de la crème. La laitue de mer, l’alarie succulente sont les choix gaspésiens les plus appréciés.

Les potages de fruits de mer ne sont pas épaissis avec un roux mais avec des pommes de terre qu’on ajoute au bouillon de cuisson des fruits de mer. Les huitres et les moules en conserve de même que les boites de crevettes, de crabe ou de homard conviennent bien pour ce type de plat. Plusieurs potages ajoutent du vin blanc ou du cidre au bouillon pour lui donner un peu de punch.

Les sagamités iroquoiennes sont essentiellement des soupes de poisson du fleuve et du golfe épaissies à la farine de maïs que l’on dilue avec de l’eau ou du lait. Les autochtones les faisaient avec du saumon, de l’esturgeon jaune, de l’anguille, du maquereau fumé et de la barbue. Cette soupe mériterait d’être revampée avec des ajouts d’herbes ou l’utilisation d’un poisson fumé, comme aliment-vedette. On pourrait aussi la parfumer avec de l’huile de tournesol ou de l’huile de noix. On retrouverait ainsi l’essentiel des soupes de cette ancienne ethnie de chez-nous.

Les consommés de crustacés sont enfin les créations les plus récentes. On les fait surtout avec des carcasses de crustacés qu’on concasse, flambe au cognac et fait bouillir longuement avec des aromates (carottes, oignons, céleri, ail) et un petit piment d’Espelette. On les sert chauds, en tasse, ou froids, en verre, avec des glaçons et un peu de vodka.

Cela complète la série des plats liquides faits avec des aliments d'eau salée ou d'eau douce. Nous toucherons à d'autres modes de cuisson de ces derniers aliments, la semaine prochaine.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québéc.