Les modes de cuisson de la culture iroquoïenne

La véritable cuisine québécoise est un bouquet de cultures culinaires millénaires qui ne cesse de grossir avec les nouvelles populations qui s’installent chez nous et la redécouverte de notre vraie nature nordique. Je vous ai parlé des modes de cuisson algonquiens, dimanche dernier ; je continue, aujourd’hui, avec les modes de cuisson légués par la culture iroqoïenne.

Je vous rappelle d’abord que cette culture est le résultat d’un mariage de plusieurs cultures autochtones qui ont historiquement vécu dans la région des Grands Lacs  et dans l’axe du fleuve Saint-Laurent. Je parle ici de leurs ancêtres archaïques de culture maritimienne, de culture laurentienne, de culture Adena, de culture Meadowood et de cultures diverses originaires de l’Ohio et du Mexique. Au moment où Jacques Cartier a rencontré cette civilisation, à Gaspé, en 1534, les Iroquoïens pratiquaient l’agriculture dans la plaine du Saint-Laurent et dans quelques lieux le long des affluents du fleuve, comme les rivières Saguenay et Outaouais. Les recherches archéologiques actuelles démontrent qu’on se nourrit de produits agricoles depuis au moins 1 500 ans au Québec, mais qu’on ne pratique l’agriculture que depuis 1 000 ans. Vers l’an 500 de notre ère, les habitants de la région montréalaise importaient du maïs cultivé par les peuples au sud des Grands-Lacs. On a trouvé, dans la grande région de Québec, des grains de maïs calcinés qui avaient donc été cuisinés par des humains, dont la datation au carbone 14 remonterait au VIIIe siècle de notre ère. 

À cette époque, les Iroquoiens connaissaient déjà la cuisson par la poterie. Leur maïs était donc cuit dans des pots de céramique fabriqués par les femmes de cette culture, avec la glaise ramassée dans le delta de certaines rivières, le long du fleuve. 

Les découvreurs comme Cartier et Champlain nous ont décrit leur cuisine, mais ce sont surtout les missionnaires récollets et jésuites qui nous ont expliqué plus clairement leurs plats principaux. Comme chez les nations algonquiennes, on faisait bouillir et rôtir des aliments sur le feu, mais pas de la même manière. Les Iroquoïens construisaient leurs feux sur des carrés de sable entourés de pierres ou de pièces de bois solides. Le feu était donc surélevé. On montait le feu sur ce carré de sorte que c’est surtout la braise mélangée  au sable qui cuisait les aliments. Les poteries étaient enfoncées dans ce sable brulant pour bouillir les ragouts et les potages de leur cuisine variée. On faisait aussi des galettes de farine de maïs qu’on faisait rôtir sur des pierres chaudes posées sur ce sable bouillant. La cuisson à l’étouffée était aussi pratiquée dans ces carrés de sable ; on mettait ainsi cuire des épis de maïs, des courges et des citrouilles directement dans le sable chaud. L’écorce ou les feuilles de ces légumes ou fruits protégeaient la chair et les grains tout comme la glaise protégeait la chair des poissons qu’on mettait cuire directement dans ce sable brulant aussi. Comme la consommation de gibier était rare chez les peuples de langue iroquoienne, on le faisait surtout griller au-dessus des braises, à l’aide de bâtons de bois vert qu’on piquait dans les muscles de gibier. Lorsqu’on rencontra les Européens, on adopta rapidement la cuisson en plats de cuivre ou de fer sur le même type de feu. Il est intéressant de voir que nos ancêtres européens ont adopté ce mode de cuisson dans un carré de sable. Les premiers camps de bucherons du Québec de même que les trains de pin blanc qu’on descendait sur le fleuve jusqu’à Québec, pour l’envoyer en Angleterre, étaient tous munis d’un carré de sable sur lequel les marins cuisinaient pendant leur voyage de l’Outaouais à Québec. Le feu réchauffait aussi ceux qui dormaient autour du feu. Les Iroquoiens faisaient aussi bouillir des boulettes de farine de maïs, farcies de noix, de graines ou de petits fruits, enveloppées de feuilles de maïs comme on le fait toujours au Mexique. Il est intéressant de savoir que notre cuisine patrimoniale comprend des recettes de maïs originaires des Mayas et qui ont plus de 1 000 ans. On faisait des tamales à Québec, en 1500 !

En résumé, c’est la cuisson dans le sable brûlant, à l’intérieur de plats de céramique, qui demeure l’héritage le plus marquant de cette culture culinaire, sans oublier les légumes et les fruits d’origine américaine qui composaient l’essentiel de leur cuisine principalement végétarienne. Le sable chaud tenait lieu de four. Les Franco-Québécois ont perpétué plusieurs habitudes iroquoiennes, du XVIIe au XXe siècle. La cuisson longue d’aliments, pendant la nuit, dans des jarres de terre cuite ou de céramique est typiquement iroquoïenne. Les fèves au lard cuites dans une jarre en terre cuite brune, pendant la nuit, à feu très doux, appartiennent à cet héritage. 

On poursuit l’étude des modes de cuisson, la semaine prochaine, avec les cultures de l’Arctique, présentes au Nunavik.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec