La culture des Celtes

Les tribus celtes sont les seconds immigrants à avoir envahi la France et les Iles Britanniques, il y a 3000 ans, après les tribus anatoliennes, il y a 5 000 ans. Elles venaient de l’Asie Centrale et parlaient une langue indo-européenne comme le grec, le latin ou le vieux germain. Elles connaissaient l’agriculture et la métallurgie du bronze.

Selon Denis Sergent, anthropologue français, les Celtes se seraient d’abord installés sur la Côte, au Nord-Ouest de la France, puis sur les côtes sud et ouest de l’Angleterre, de l’Écosse et de l’Irlande. De plus, elles auraient peuplé des régions côtières du Portugal et du centre-nord de l’Espagne, en Gallicie. Beaucoup plus tard, il y a 2 600 à 2 500 ans, les Celtes auraient développé une culture encore plus marquée, dans un grand arc géographique qui s’étend du centre-est de la France à la République tchèque et à l’Autriche actuelles. Ces Celtes maitrisaient la métallurgie du cuivre et du fer. Leur population aurait été plus dense entre la Saône et le Rhin. Enfin, pour des raisons inconnues, les Celtes auraient ensuite migré, à partir de l’Europe centrale, vers le nord de l’Italie, vers l’Europe de l’Est et la Turquie, il y a environ 2 300 ans. 

Ils ne formaient pas cependant une nation dirigée par un roi ou un empereur ; ils étaient plutôt regroupés en villages indépendants dirigés par des chefferies héréditaires. Leurs villages étaient entourés de palissades de bois, comme on en a vu, au Québec, chez les peuples iroquoïens. On ne connait pas le nom collectif qu’ils se donnaient, mais le nom de chacune de leurs 90 tribus, car les Romains nous les ont transmis dans leurs écrits. Ce sont les Grecs qui les appelaient les κέλτοί, traduit par Celtes en français, comme les Romains les appelaient galli, traduit par Gaulois, en français. Les Celtes n’avaient pas d’alphabet écrit, comme les Grecs ou les Romains. Leurs druides privilégiaient la langue orale plutôt que la langue écrite pour cultiver la mémoire et l’attention. Les Celtes avaient un grand respect de la parole donnée et de la parole sincère. Mais dans toutes les régions où ils se sont installés, les Celtes se sont mêlés aux populations locales qui avaient un alphabet en oubliant leur langue et leur religion. Selon Patrice Brun, professeur de protohistoire à l’université Paris 1, la même chose se passa au VIe siècle de notre ère.  Seuls les Bretons, les Irlandais, les Gallois, les Écossais et quelques villages portugais et espagnols parlaient encore une langue celtique. Les Celtes de Normandie ou de Paris parlaient plutôt un dialecte local fortement latinisé et francisé, avec l’arrivée des Francs dans le Nord de la France. On assiste, cependant, depuis les années 1960, à une renaissance des dialectes celtiques, dans toutes les régions peuplés par des Celtes, dont la Bretagne. Lorsque j’ai étudié en France, en 1964, il y avait encore des ainés qui ne parlaient pas le français, mais le dialecte breton, en Bretagne, où j’étais allé faire de l’auto-stop avec un ami.

L’économie des Celtes était essentiellement basée sur l’agriculture. Leur apport est grand en agriculture : ils sont les inventeurs des premiers outils agricoles en fer comme les socs pour labourer la terre. Ces outils leur permirent d’obtenir de meilleurs résultats que les autres peuples dans la culture du blé. C’est d’ailleurs l’une des raisons principales pour lesquelles les Romains voulaient conquérir la Gaule. Les Romains n’arrivaient plus à nourrir leur population fortement urbanisée. Les Gaulois cultivaient quelques variétés de blé comme l’amidonnier ou l’épeautre, de même que de l’orge et du millet. Au fil des ans et de leurs contacts avec les autres peuples, ils ajoutèrent l’avoine, le seigle et le sorgho. Comme plusieurs de ces céréales n’avaient pas de gluten, ils les consommaient surtout en galettes ou en crêpes. On se rappellera que ce sont les Grecs qui leur ont enseigné à faire du pain ; mais ce sont eux qui eurent l’idée de remplacer le levain naturel de la farine par la levure de bière. Leur pain levait mieux que le pain grec. Les Celtes acquirent vite la réputation de bons boulangers. 

Les Celtes aimaient les lentilles, les gourganes, les pois secs, les pois chiches et les lupins en soupe ou en purée. On consommait plusieurs légumes comme le pissenlit, l’ortie, la mâche,  le navet, la carotte blanche, la scorsonère, le radis noir ou blanc, le céleri, l’ail, l’oignon et le chou. On ramassait aussi beaucoup d’herbes sauvages à mesure qu’elles apparaissaient dans leur environnement, chaque année. On en faisait surtout des soupes gouteuses avec des céréales.

On exploitait beaucoup le bœuf pour sa force musculaire, sa viande, ses produits laitiers et son cuir. On le nourrissait avec une partie des récoltes de céréales et de grands pâturages de foin. On lui vouait un culte en particulier au solstice de l’été, où on le faisait traverser un grand feu, pour le purifier et le rendre plus productif.  On adorait le porc, le mouton pour sa chair et sa laine et occasionnellement, le chien et le cheval pour leur viande et leur cuir. On élevait aussi des poules, des oies et des canards. Chaque famille élevait beaucoup de poules, car les œufs étaient considérés comme des stimulants exceptionnels pour faire le travail quotidien  tout comme pour faire l’amour ou la guerre. Cette vénération des Celtes pour la poule était illustrée par des coqs en cuivre que leurs artisans fabriquaient et que les plus fortunés achetaient pour mettre au-dessus de leur maison. Les Romains leur donnaient d’ailleurs le surnom de « Poulets » qui se dit « gallus » en latin. Les Gaulois, c’était des Poulets ».  On consommait, au quotidien, beaucoup de viande de bœuf, de cheval, de chèvre et de mouton bouillie, et pendant les fêtes, des grillades de porc, de chien, de chevreuil et de sanglier. Les fouilles ont permis de découvrir que l’on consommait aussi du veau et des oiseaux comme la pintade, la bécasse, le pigeon, la grive, le merle et même le paon. On gavait les oies de bouillies d’avoine et de figues séchées que l’on consommait en automne, à l’époque des moissons. On aimait aussi beaucoup le boudin noir que l’on faisait en mélangeant du sang de porc avec de la crème. On savait faire du fromage et du yogourt que l’on consommait en boisson désaltérante.

Les Celtes des régions atlantiques connaissaient tous les poissons que nous connaissons aujourd’hui : ils pêchaient le thon, les anchois, le mulet, la daurade, le turbot, l’alose, l’anguille, l’espadon, la murène, la raie et la poulpe. De plus, les surplus de thon et d’anguille étaient conservés dans le sel comme le lard. Le poisson était surtout servi avec des vinaigrettes, un peu de cumin et parfois des pruneaux. Les Celtes de l’intérieur des terres pêchaient des poissons de lac qu’ils faisaient rôtir avec du cumin ou du carvi sauvage. Des marchands leur vendaient aussi des poissons fumés ou séchés apportées des régions maritimes. 

On adopta rapidement la bière apportée en France par les Anatoliens. Les découvertes archéologiques faites dans l’Hallstat démontrent qu’on faisait probablement aussi de l’hydromel, à cause de l’abondance de pollen trouvé dans les sites de fouille.

Comme vous le constatez, la culture culinaire du Québec francophone porte encore la marque profonde de cet héritage celte. Bien sûr, la cuisine celte évolua au contact des Anatoliens et des premiers habitants de la Gaule, puis celle des Romains qui commencèrent leur invasion, 300 ans avant J.C.. Les herbes, les épices et les fruits romains grimpèrent peu à peu vers le nord avant même la conquête définitive de la Gaule, au premier siècle après J.C.. La cuisine française du début de notre ère était déjà fortement métissée et diversifiée selon qu’on habitait la côte atlantique ou les plaines de la Beauce ou le longs des grands fleuves comme la Seine, le Rhône ou la Loire.

À l’origine, la cuisine celte se composait de nombreuses soupes, de bouillies, de céréales, de viandes rôties ou bouillies. Les viandes salées, en particulier le jambon, était populaire et réputé jusqu’à Rome. Lors de leur migration vers l’Europe de l’Ouest, les tribus celtes avaient découvert la grande utilité du sel comme « conservateur » des aliments. Les archéologues et anthropologues estiment que cette découverte se serait produite au moment où les Celtes vivaient au nord des Alpes et des Carpates. Ils se seraient aperçus, en allant déposer leurs quartiers de chevreuil dans des caves de sel gemme formées lors de la création morphologique des Alpes, que leurs viandes se conservaient beaucoup plus longtemps qu’à l’habitude. Ils auraient donc développé le mode de conservation au sel pour toutes leurs viandes, leurs poissons et même leurs légumes. Cette découverte de la conservation au sel s’est par la suite répandue chez les peuples environnants comme les Germains, les Slaves et les Romains. L’aristocratie romaine se faisait d’ailleurs venir des charcuteries celtes. C’est ainsi que les Celtes devinrent les créateurs du jambon salé encore populaire aujourd’hui, dans plusieurs régions européennes où les Celtes ont transmis leur savoir. Je pense au jambon serrano espagnol, au lacón de la Gallice, au jambon de Parme ou au prosciutto, au jambon de York , etc. Ces charcuteries aux appellations contrôlées dénotent un amour inconditionnel du porc chez les Européens d’origine celte. 

Le porc était considéré comme un animal religieux ; c’est la raison pour laquelle on le laissait se nourrir de glands dans les forêts de chêne où les grands prêtres des Celtes, les Druides, faisaient leurs méditations, leurs rituels religieux et leur enseignement spirituel et moral. Le dieu porc étai l’incarnation de l’idéal celte : l’amour de la vie, de la bonne chère, du sexe, de la famille nombreuse et la protection de sa famille et de son village. Lors du Premier de l’an celte, le 1ernovembre, on abattait le porc, on cuisinait tout son corps et son sang, qui devenait une occasion d’acquérir collectivement l’esprit et les valeurs de l’animal totémique. On mettait au centre de la table commune, la tête du porc qu’on mangeait religieusement, ce jour-là. On voulait ainsi acquérir sa sagesse et son intelligence des choses. J’ai découvert, avec surprise, que nos ancêtres franco-québécois pratiquaient toujours ce culte du porc, jusque dans les années 1960. On tuait toujours le porc avant le Premier de l’An. On le cuisinait toujours en charcuteries diverses. Et la tête de porc était particulièrement traitée judicieusement en fromage ou en plat rituel dans certaines familles. On m’a raconté qu’on vidait la tête du porc et que l’on remplaçait ses os d’une farce de pain ou de pommes de terre. Cette tête était décorée de pommes et servie le midi de Noël ou du Jour de l’An, dans la ville de Québec, et dans certaines familles, le long de la plaine du Saint-Laurent. 

À part ce culte du porc, qu’avons-nous hérité de nos ancêtres celtes ? Ces derniers nous ont transmis l’amour des rôtis dans des chaudrons de cuivre ou de fer, avec des légumes comme les oignons, l’ail, les carottes, les navets et le chou. Ils nous ont transmis leur héritage anatolien avec les soupes et les bouillies de céréales, les ragouts et les soupes de légumineuses, les bouillis de viande aux légumes et aux herbes aromatiques comme le céleri et le poireau. 

Au plan spirituel, les Celtes partagent avec les autres peuples indo-européens des rituels divinatoires qui accordent beaucoup d’importance aux arbres, aux pierres et aux nœuds. L’arbre personnifie la matrice dans laquelle le Cosmos est contenu. Le culte celte se pratiquait sous les arbres, près des sources sacrées qui jaillissent de lieux pierreux. L’eau de source était bonne pour le corps et l’âme. Les Celtes, les Bretons et les Vikings ont dessiné, gravé et martelé des entrelacs sur du papier, du bois ou du métal ou de la pierre que les fouilles archéologiques ont révélé. Ces entrelacs représentent la vie éternelle. L’un deux remonte à 4 500 ans et provient des Celtes établis en Écosse. Sa forme triangulaire représente les forces de la nature : la terre, l’eau et le feu. La ligne continue unique représente l’unité et l’unicité de l’esprit, l’amour et la fidélité en amour. On l’appelle le nœud celtique de l’amour.  À l'Époque Néolithique, il était courant de voir des spirales uniques et doubles sur les temples et autres monuments en Europe et sur les îles Celtes. La spirale représente la croissance, la vie éternelle et le mouvement dans le cosmos. Les spires de la spirale représentent la croissance continue tandis que l'écart entre les spirales représente les écarts entre la vie, la mort et la renaissance. En terme symbolique, on peut résumer l’image celtique en quelques mots : le chiffre 3, le cercle, le triskel, la clé, le labyrinthe et le dédale. Ces formes expriment symboliquement les croyances et les valeurs de l’ensemble des tribus celtes européennes. 

Il est fascinant de voir que notre amour pour les arbres, pour l’eau de source, pour le chiffre trois exprimé en art, en religion, en dramaturgie, en chanson, a des sources celtes aussi claires!

La semaine prochaine, je vous parlerai de l’apport des Romains, dans notre culture européenne.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.