À quand remonte l'influence de la cuisine asiatique, chez nous?

Permettez-moi, cette semaine, de vous dire que je participerai à une table ronde sur l'alimentation locale et l'agriculture en 2021, au Salon du livre de Montréal, vendredi le 26 novembre prochain, à 18.45 h, en compagnie d'Élisabeth Cardin et de Jean-François Létourneau. Catherine Mercier, animatrice de la Semaine Verte, à la télé de Radio-Canada, animera notre rencontre. Je pourrai aussi vous rencontrer lors des séances de signature de mon dernier livre, L'Érable et la Perdrix, écrit en collaboration avec Élisabeth Cardin, de 16 à 17 h. vendredi, et de 10 à 11 h, le samedi 27 novembre. Ce sera un plaisir de vous rencontrer, aux Éditions Cardinal, kiosque # 1729. En attendant, parlons de l'Asie, chez nous.

On peut dire, sans hésiter, que la cuisine asiatique remonte à 20 000 ans, puisque nos ancêtres autochtones venaient tous de l'Asie du Nord. De plus, il y a 4 000 ans, les Archaïques de l'Arctique venaient aussi de l'Asie du Nord par le détroit de Béring et l'Alaska avant de s'installer dans les territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et le Nunavik. Il y a presque 500 ans, les premiers Français qui prenaient racine chez nous apportaient déjà des produits asiatiques comme le riz et les épices. On peut même affirmer que la recherche de ces épices était l'une des principales raisons de la découverte du Québec par les Européens. 

Au début du XVIIe siècle, le riz et les épices indiennes et indonésiennes étaient déjà bien présentes dans les communautés naissantes du Québec. Les missionnaires jésuites se trainaient toujours des poignées de riz qu'ils ajoutaient aux soupes de gibier ou de poisson amérindiennes. Les premières religieuses hospitalières de Québec et de Montréal ajoutaient des épices et du sucre dans leurs médicaments pour adoucir l'amertume des plantes médicales amères qu'elles utilisaient pour soigner leurs patients autochtones ou français. Au début du XVIIIe siècle, les paysans de la plaine du Saint-Laurent allaient vendre leurs produits fermiers aux marchers de Québec, Trois-Rivières et Montréal pour pouvoir se payer des épices et des sacs de riz importés d'Asie par la France. Sous le Régime anglais, après la Conquête, on commença à acheter, dans les marchers des grandes villes québécoises, des mélanges d'épices à charcuterie, à currys, à marinade, de la sauce soya et du ketchup anglais créé à l'origine par les Chinois qui l'appelaient ket-siap. Nos ketchups actuels sont des descendants de la cuisine chinoise et indienne. On lira à ce propos, les articles que j'ai écrits sur ce site, à propos de la naissance de ces produits. (http://www.quebecuisine.ca/?q=node/1329/edit) (http://www.quebecuisine.ca/?q=node/1059/edit). Pendant tout le XIXe et le XXe siècle, les Québécois francophones et anglophones ont utilisé les épices indiennes et indonésiennes pour parfumer leurs charcuteries du temps des Fêtes, leurs tourtières, leurs cipâtes, leurs tartes à la citrouille, leurs gâteaux aux fruits secs, leur plum pudding, leur mince pie, leurs poudings au pain, au riz ou au tapioca, leurs biscuits ou galettes à l'avoine ou à la mélasse, leur tarte à la farlouche ou aux raisins secs, leur egg nog, leur compote de fruits secs du jour de l'An, etc. 

Mais ce sont surtout les immigrants chinois de Canton (Gouangshu, au sud de la Chine), à la fin du XIXe siècle, lors de la Ruée vers l'or,  qui nous initièrent à l'une des nombreuses cuisines chinoises. Ces gens se sont installés progressivement dans les grandes villes canadiennes et américaines, à partir de l'Ouest. Plusieurs travaillèrent à la construction des chemins de fer trans-canadiens et trans-américains. Ils durent cependant adapter la cuisine originale de Canton, faute de produits chinois sur le continent américain. On s'adapta en créant une cuisine sino-américaine qui eut beaucoup de succès à partir des années 1950 jusqu'en 2000, dans toutes les villes des États-Unis et du Canada, d'ouest en est. Cette cuisine de restauration est assez rapidement passée dans les moeurs culinaires québécoises, sous le terme de "mets chinois", mais qu'un Chinois de Pékin immigré récemment aurait de la misère à reconnaître, sinon par la seule présence de la sauce soya et du gingembre frais. L'immigration récente de Chinois de toutes les provinces, en particulier du Nord de la Chine, diversifie la cuisine chinoise, en restauration. Mais cette cuisine n'est pas encore vulgarisée sur nos tables.

L'autre cuisine asiatique la plus importante pour nous est celle du Vietnam. La Guerre du Vietnam s'est terminée par une émigration massive des Vietnmiens du Sud, fidèles aux valeurs occidentales de l'Amérique, qui voulaient fuir le régime communiste du Vietnam du Nord. Plusieurs de ces immigrants ont été accueillis chaleureusement dans nos petits villages. Leurs enfants ont rapidement appris le français, comme certains de leurs parents l'avaient fait au Vietnam, déjà occupé par la France. Plusieurs ouvrirent des restaurants vietnamiens qui eurent aussi beaucoup de succès dans les années 1980-90. Plusieurs Cambodgiens ont aussi fui leur pays lors de l'occupation des Kmers Rouges. La cuisine Thaïe  a pris de l'ampleur au début du XXI siècle, avec l'immigration plus importante de Thaïlandais pour des raisons économiques. Plusieurs Québécois de Montréal et de ses banlieues sont familiers avec les 5 currys thaïe qu'on peut désormais acheter dans les supermarchés de nos villes ( le Panaeng, le Massaman, le Vert, le Rouge et le Jaune )

La mode des sushis nous vient du Japon, mais elle est passée par la Californie avant de s'établir progressivement chez nous au XXIe siècle. Il est intéressant de savoir que cette mode a plus de 2 500 ans, au Japon. Au début, le sushi était avant tout une façon de conserver du poisson. On faisait fermenter du riz dont on se servait pour envelopper des fielts de poisson frais qu'on pouvait ainsi consommer plusieurs mois après. On jetait le riz fermenté pour ne manger que le poisson. Mais ce poisson prenait le gout du riz fermenté acidulé. Au VIIe siècle de notre ère, on eut l'idée de remplacer le riz fermenté par du riz vinaigré et aromatisé par des herbes comme aujourd'hui et l'on commença à associer le riz au filet de poisson, comme aujourd'hui, le tout entouré d'une feuille d'algue. Il est intéressant de savoir que le poisson se mange surtout cru, en Asie du Nord. Les Inuits du Nunavik québécois, venus du même pays, ont gardé cette habitude alimentaire de l'Asie du Nord jusqu'à tout récemment. En résumé, le poisson cru se mange depuis au moins 4 000 ans, chez nous. Mais ce sont les Japonais qui en ont raffiné la consommation et qui l'ont diffusée dans nos grandes villes. Toutes les épiceries de nos villes en vendent des frais faits, aujourd'hui. Et certaines épiceries offrent même des cours à ceux qui veulent apprendre à en faire chez eux. Cette mode du cru est à rattacher à la mode des tartares originaires d'un peuple d'Europe du Nord-Est, les Tatarres. 

La cuisine coréenne est présente chez nous depuis l'émigration massive des Corérens en Amérique, suite à la guerre entre les deux Corées. Les grillades coréennes accompagnées de kimchi et les célèbres bols coréens, baptisés bibimbap, sont de plus en plus populaires, depuis le  début des années 2020. Ces bols passe-partout combinent du riz frit avec des légumes marinés, de la viande sautée au wok et un oeuf. En coréen, "bibim" veut dire "mélanger", et "bap" veut dire "riz". Donc, le nom nous invite à mélanger tous les ingrédients du bol pour le manger.

Les cuisines actuelles du continent indien nous viennent aussi de la restauration. Le Québec a accueilli peu d'Indiens et de Pakistanais qui choisissent majoritairement les grandes villes des provinces anglaises pour s'établir au Canada pour des raisons religieuses et économiques. On sait que les siks et les musulmans ne font pas bon ménage avec les boudhistes de l'Inde. Ce sont leurs enfants qui réussissent mieux à apprendre le français et à nous instruire sur leurs coutumes alimentaires dans les restaurants qu'ils ouvrent dans certains quartiers de Montréal. Certaines compagnies torontoises et américaines vendent différents types de currys que l'on peut acheter à l'épicerie pour varier notre cuisine quotidienne. On connaît, bien sûr, le garam massala, les épices à tandoori pour le poulet, le poulet au beurre, mais aussi les pains naan ou chapati, les soupes aux diverses légumineuses, les samosas, etc. Dans les années 1970. de nombreux jeunes Montréalais et Montréalaises sont allé faire un voyage initiatique au centre-sud de l'Inde afin de rencontrer un maître indouiste. La plupart de ces gens se sont initiés à la cuisine végétarienne de cette région et nous ont ramené un engouement épicé pour les céréales, les légumes, les fruits, les yogourts et les légumineuses. Cette cuisine reste encore présente chez nous, malgré la montée d'un végétarisme encore plus restrictif qui élimine tout aliment d"origine animale, qu'on appelle le végétalisme en français, malheureusement plus connu sous son appellation américaine, la cuisine "vegan". Les Tamouls émigrés dans les années 2009 ont suscité quelques réprobations canadiennes, lors de leur entrée au pays avec un navire thaïlandais, à cause du fait que certains de leurs congénères étaient considérés comme des terroristes. Pourtant, plusieurs Québécois, comme ma conjointe et moi, ont visité sans problème le Sri Lanka tout en admirant une culture gastronomique multi-centenaire drôlement intéressante et goûteuse. J'en ai ramené plusieurs recettes végétariennes que je refais de temps en temps. Dans les faits, le Sri Lanka est multi-ethnique; les religions et les cultures culinaires s'entrecroisent au quotidien, s'influençant l'une l'autre, un peu comme chez nous.

Plusieurs Québécois ont participé à la guerre en Afghanistan située en Asie Centrale. Nous avons donc été en contact avec cette cuisine, présente dans des restaurants montréalais depuis les années 70-80. Ce sont ces restaurants qui nous ont donné le goût de varier nos recettes familiales avec de nouvelles idées pour apprêter le riz, l'agneau, les aubergines, les épices comprenant toujours de la cardamome ou du cumin. Le Khyber Pass de la rue Duluth a joué un grand rôle dans cette initiation à la cuisine afghane, après l'avoir adaptée au goût québécois. Nous leur devons la mode récente des jarrets d'agneau braisés doucement avec des légumes.

Ceci termine notre tour d'horizon rapide de la cuisine asiatique, chez nous. La semaine prochaine, nous nous attarderons à la cuisine européenne méditerranéenne.

À la semaine prochaine ou au Salon du livre, en présentiel ou sur le web car notre table ronde sera diffusée sur le web.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec