Soumis par Michel Lambert le
Les pois secs sont si importants dans la culture culinaire de la majorité des Québécois qu’ils leur collent carrément à la peau. Les Anglophones nous appelaient, autrefois, les « pea soup » ! Nous comprenions plutôt « pissous » et nous n’aimions pas être qualifiés de « peureux », car c’est ce que le terme voulait dire dans notre langage ; un « pissous », c’est quelqu’un qui a tellement peur qu’il pisse dans ses culottes. Nous prenions donc cette appellation comme une insulte alors que l’intention des anglophones était plutôt de résumer notre style de nourriture un peu comme nous faisons à propos des Américains en disant qu’ils sont des « mangeurs de hot dog ».
Mais qu’en est-il au juste, à ce propos ; est-il vrai que nous mangions de la soupe aux pois tous les jours, au XIXe et XXe siècles ? Les témoignages de nos anciens révèlent que la soupe aux pois était le plat le plus accessible à tous ; celui que les plus pauvres de notre société pouvaient se payer, le plat des temps de crise alimentaire, le plat des jours maigres et des jours où il ne restait presque rien à manger dans les armoires et le caveau. La soupe aux pois nous sauvait la vie. Mais, avec le temps, la soupe aux pois devint, par habitude, l’aliment dépanneur par excellence. Lisons quelques témoignages en commençant par celui de Madame Ernestine Charland-Rajotte de Drummondville :
« Mais le lard occupa longtemps une grande place dans l’alimentation ; on le faisait cuire dans la soupe aux pois qui était un aliment de tous les jours. Les travailleurs des champs ou de la forêt en composaient le repas qu’ils apportaient avec eux. L’hiver, pour apporter en voyage ou au travail, on faisait geler soupe et lard, ce qui permettait de transporter facilement ces aliments. À l’heure du repas on faisait chauffer sur un feu improvisé et accompagné d’un morceau de pain noir, comme il se faisait alors, on avait un repas substantiel. »
Au Centre du Québec, la soupe aux pois était si quotidienne qu’un certain curé suggérait même aux femmes de varier davantage leur menu. « Il disait qu’à New York, il y avait un cuisinier qui lui servait toujours une soupe différente chaque jour, et que durant un an, il n’avait jamais servi deux fois la même (soupe). » Cet autre témoignage rapporté par la même dame Charland-Rajotte confirme la quotidienneté de cette soupe dans la région.
Mais, d’autres témoignages contredisent cette affirmation, comme celui de Madame Riedesel, en 1782. Cette dame allemande accompagnait son mari venu aider le gouvernement anglais du Canada à lutter contre les envahisseurs américains, lors de la Guerre de l’indépendance américaine. Elle écrivait : « Les soupes qu’ils mangent sont très nourrissantes et consistent généralement de viande fraiche, légumes et lard salé bouillis ensemble, mais ils n’ont pas de second plat. » Ce qui confirme que la soupe, dans notre culture culinaire, était plus souvent qu’autrement, une soupe-repas, complète et consistante qu’on accompagnait de pain bis ou de céréales entières. J’ai rencontré, dans ma longue enquête, plusieurs témoignages semblables pour la soupe aux pois, à laquelle on ajoutait une viande, une céréale, des pommes de terre pour faire tout le repas.
Je vous rappelle, en terminant, que les pois étaient aussi utilisés comme légume d’accompagnement des viandes ou des poissons. On les réduisait alors en purée ; les purées de pois jaunes accompagnaient davantage le porc alors que les purées de pois verts étaient servies avec la volaille.
Les pois ont plus de 12 000 ans, dans l’histoire culinaire du monde. Les Anatoliens les ont apportés en France, il y plus de 5 000 ans. Charlemagne en a fait la promotion, dans tout son empire, il y a 1 200 ans. Et les Basques et les Français les ont apportés au Québec, au XVIe siècle. Les pêcheurs européens les ont faits connaître aux autochtones qui les aidaient à transformer le gras de baleine en huile. Puis les gérants des postes de traite en troquaient de grandes quantités avec eux contre des fourrures. Lorsqu’ils avaient faim, après une chasse infructueuse, les missionnaires leur donnaient de grandes louches de soupe aux pois ; chaque nation autochtone a d’ailleurs un mot dans sa langue pour désigner la soupe aux pois. Vous trouverez plusieurs recettes de ce plat national adopté par nos peuples fondateurs. Pourquoi ne pas le remettre aussi à l’honneur dans votre menu familial ?
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.