Soumis par Michel Lambert le
Ce sont d’abord les pêcheurs basques, normands et bretons qui ont fait connaître les légumineuses européennes aux autochtones du Québec, au XVIe siècle. Ils s’en nourrissaient presque quotidiennement, lors de leur traversée sur l’Atlantique, laquelle pouvait durer 3 mois. Les soupes, les purées et les salades de légumineuses étaient les plats les plus courants sur les bateaux. Le cuisinier du bateau en faisait toujours un peu plus au cas où le vent se lèverait et l’empêcherait d’allumer un feu pour les cuisiner. La soupe était alors transformée en salade ; on mangeait les légumineuses refroidies et arrosées de vinaigre ou d’alcool.
J’ai parlé, les 3 dernières semaines, de la prépondérance des pois et des petits haricots blancs dans notre culture culinaire, puis des légumineuses présentes sur le territoire québécois avant l’arrivée des Européens, comme les haricots autochtones rouges, blancs, noirs, multicolores ou comme les fèves de Lima.
Je termine le chapitre avec les lentilles, les pois chiches et les gourganes présentes au Québec dans des régions favorables à leur culture. Les lentilles et les pois chiches font plus partie du garde-manger du Sud-Ouest du Québec alors que les gourganes ou fèves des marais appartiennent davantage au garde-manger du Nord-Est du Québec.
Commençons avec les lentilles : les lentilles sauvages étaient consommées, au Proche-Orient (Turquie, Irak, Iran), par les populations de la Préhistoire. Il y a 10 000 ans, on commençait à en planter beaucoup autour du village de Jéricho, au Moyen-Orient. Sa culture s’est alors diffusée partout en Europe et en Asie avec la culture des céréales. La combinaison des deux fournissait les protéines nécessaires à la vie, particulièrement dans les lieux où les protéines animales étaient rares. Les variétés de lentilles se sont constituées et distinguées avec l’histoire. Nos ancêtres celtes en cultivaient déjà lors de leur migration vers l’Europe de l’Ouest, il y a 5 000 ans.
Les lentilles les plus anciennes seraient les petites lentilles rouges ou corail que les populations d’origine sémitique consomment toujours et que l’on peut trouver actuellement dans nos épiceries. Ce sont les lentilles mentionnées dans la Bible. En France, ce sont les lentilles de couleur verte ou brune qu’on a cultivées pendant tout le Moyen Âge. Ce sont donc celles-là que nos ancêtres ont apportées au Québec, au XVIIe siècle. Pierre Boucher écrivait, en 1664, une missive destinée aux futurs immigrants français qui leur disait que « les lentilles, l’avoine et le miel » étaient présents en Nouvelle-France. On en plantait alors dans la Plaine du Saint-Laurent. Mais elles venaient particulièrement bien sur l’ile de Montréal où on les plantait en alternance avec le blé, à côté des pois secs ou des pois chiches. Mais l’inconstance du climat doublé de la difficulté de la cueillette fit en sorte qu’on abandonna leur culture dans beaucoup de fermes ; seules quelques familles maintinrent l’habitude de les planter de Montréal à Rimouski, particulièrement après la crise du blé où elles devinrent une alternative au blé, devenu impossible à cultiver à cause de la pauvreté des terres et d’un insecte ravageur. Les lentilles prirent cependant du galon, dans notre population, dans les années 1970, avec la montée du végétarisme amenée en Amérique par les Beatles et la révolution hippie. Les sages du Sud de l’Inde, adeptes de l’Hindouisme, furent nombreux à traverser en Amérique proposer un nouveau mode de vie qui incluait le végétarisme. C’est ainsi que plusieurs livres de recettes végétariennes sont apparus au Québec, à partir des années 1970, qui utilisaient largement les lentilles en combinaison avec des céréales comme l’avoine ou le blé entier pour offrir des protéines de remplacement à nos viandes traditionnelles. Et plusieurs de ces recettes sont encore présentes dans notre menu hebdomadaire comme la sauce à spaghetti aux lentilles ou le végépâté apporté dans le lunch de plusieurs baby boomers. On les sert aussi beaucoup dans les garderies où les jeunes s’initient tôt à cette légumineuse.
Les gourganes, de leur côté, font partie du garde-manger de l’Est, en particulier dans Charlevoix, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Haute Côte-Nord, dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. C’est une légumineuse consommée depuis au moins 9 000 ans, au Cachemire et au nord-ouest de la Thaïlande. Sa culture s’est répandue vers l’ouest jusqu’au Moyen-Orient où les archéologues en ont trouvé la trace dans la fameuse ville de Troie qui remonterait à 1000 ans avant J.C. . Charlemagne, au VIIIe siècle, obligeait ses sujets à planter des gourganes pour lutter contre les nombreuses pénuries alimentaires de l’époque à cause des guerres et des intempéries. Le légume séché pouvait se conserver pendant des années. Les gourganes séchées faisaient partie des denrées apportées par les marins et les pêcheurs de Terre-Neuve et du golfe Saint-Laurent, aux XVIe et XVIIe siècles, tant du côté français qu’anglais. Le terme gourgane vient d’ailleurs de là ; les bateaux des pêcheurs bretons ressemblaient à des gorges, d’où l’appellation bretonne « gourgane » qui voulait dire « petite gorge » ; le nom est passé du bateau aux légumineuses qu’on consommait quotidiennement sur les bateaux bretons.
Le légume pousse bien dans les climats venteux et humides au bord du fleuve ou des grands lacs de l’Est, comme les lac Saint-Jean, Matapédia et Témiscouata. Les gourganes sont toujours aussi populaires dans l’est du Québec mais difficiles à trouver dans la grande région montréalaise. Elles sont maintenant plus accessibles parce qu’on les trouve en conserve, en sac de fèves séchées ou fraîches, dans les marchés publics, au début du mois d’août. Les immigrants du Liban et d’Afrique du Nord les aiment beaucoup, aussi. Dans le Nord-Est du Québec, on les consomme surtout en soupe ou en salade, pendant qu’elles sont fraiches, alors qu’à Montréal et en banlieue, on les consomme en conserve ou séchées en purée, en potage et comme légume faisant partie d’un ragout ou d’un tagine.
Enfin, les pois chiches étaient considérés comme une variante des pois secs, chez nous. Dès le début de la colonie, on les plantait sur l’ile de Montréal et sur la Rive-Sud, en alternance avec le blé. Les Relations des Jésuites les citent à quelques reprises en spécifiant d’ailleurs que les Autochtones en étaient aussi friands que leurs haricots. On les consommait essentiellement en soupe aux pois, au début de la colonie. Mais l’inconstance du climat et surtout la montée de l’urbanisation du sud de l’ile de Montréal où ils venaient très bien fit en sorte qu’on abandonna leur culture, chez nous, au début du XIXe siècle. Ce sont les immigrants du Moyen-Orient qui nous les firent redécouvrir au milieu du XXe siècle. On les consomme aujourd’hui, principalement, en soupe, en salade et en purée.
Voilà qui met fin à ce chapitre sur nos légumineuses. Je vous rappelle qu’elles font totalement partie de notre patrimoine et que nos ancêtres les consommaient toujours en combinaison avec du pain de blé ou de plusieurs céréales. Ce qui leur donnait suffisamment de protéines complètes pour exécuter leurs gros travaux de ferme. N’est-ce pas une piste que les diététistes et les environnementalistes nous proposent pour la survie de notre planète et notre propre santé ?
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale.