Soumis par Michel Lambert le
Les Iroquoiens du Saint-Laurent et leurs cousins d’origine ontarienne et newyorkaise que sont les Hurons et les Mohawks cuisinaient, jusqu’à l’arrivée des Français et des Anglais, avec de la poterie de céramique. Cela prenait de la glaise qu’on pouvait trouver à certains endroits seulement, spécialement à proximité des grands cours d’eau comme le fleuve Saint-Laurent et les Grands Lac ontariens et américains. Les femmes étaient chargées de leur fabrication et de leur décoration.
Chaque village, chaque famille même avait sa manière de décorer de sorte que les archéologues ont pu, ainsi, identifier les déplacements des communautés iroquoïennes, juste en étudiant les tessons de leur vaisselle abandonnés dans leurs campements. Le choix de la glaise comme matériau essentiel de leur cuisine est révélateur de leur civilisation. Les Iroquoiens sont les descendants directs des Archaïques maritimes qui ont peuplé le Québec en premier, juste après la fonte du glacier continental. Ils sont aussi les descendants des Archaïques laurentiens qui peuplaient la région des Grands-Lacs et du fleuve Saint-Laurent jusqu’à Québec.
Enfin, ces deux populations ont fusionné pour créer une civilisation qui repose essentiellement sur la fréquentation des cours d’eau pour survivre. Le poisson, les fruits de mer et les mammifères marins constituaient l’essentiel de leur nourriture comme l’ont démontré les nombreuses fouilles archéologiques faites à leur sujet, dans le nord-est de l’Amérique. Cette civilisation à l’aise sur les cours d’eau s’est déplacée dans toutes les directions pour faire connaissance avec d’autres civilisations autochtones. Elle a fini par se fondre avec une culture originaire de l’Ohio qui avait, elle-même, été en contact avec les peuples agriculteurs du Mexique et du sud des États-Unis. Ces gens connaissaient la poterie cuite et les légumes américains comme le maïs, la courge et les haricots. La poterie permettait d’entreposer ces denrées dans des pots qui pouvaient contenir jusqu’à 15 litres de haricots ou de grains de maïs et de les cuisiner. On avait des pots de toutes grandeur pouvant cuire le repas d’un grand groupe ou d’une seule personne. Pendant leurs règles, les femmes devaient manger seules et faire leur repas pour elles-seules. La plus ancienne trace de la poterie américaine remonte à 10 000 ans avant aujourd’hui, presqu’en même temps que les débuts de l’agriculture américaine. Il y a donc un lien étroit entre la céramique et l’agriculture.
Le message caché derrière cette association est que la terre mêlée à l’eau et au feu ou au soleil nourrit l’être humain. La vie se perpétue par l’alliance des contraires. Les iroquoïennes aimaient d’ailleurs décorer leurs pots de terre de cercles et de lignes droites illustrant de façon schématique le masculin et le féminin, la terre, la vague de l’eau comme l’arbre, le soleil et la lune. La cordelette imprimée dans le pourtour du pot pouvait aussi illustrer inconsciemment les liens entre ces contraires pour le maintien de la Vie individuelle et collective.
La pipe en céramique, objet linéaire lié au feu, était associée à l’homme. Le tabac brulé créait la fumée qui avait une fonction apaisante en jouant sur la respiration qu’il fallait contrôler. Ce n’est pas pour rien que cette fumée avait aussi une fonction importante dans les traités de paix et d’alliance avec les autres peuples ou les ennemis. La fumée apaisait les esprits. La fumée était produite par une autre plante, le tabac, domestiqué par l’homme américain depuis au moins 2 000 ans. Au moment ou Christophe Colomb découvrit l’Amérique, les autochtones se roulaient des feuilles de tabac mêlées à d’autres plantes qu’ils fumaient pour se guérir de certains maux. Le tabac avait donc une fonction médicamenteuse comme la plupart des herbes, chez les peuples anciens.
Ce qu’il faut retenir de cette alliance entre la céramique et les plantes cultivées par l’homme, c’est que c’est une association permettant la survie individuelle et collective d’un peuple. Les découvertes scientifiques récentes ont cependant apporté des bémols sérieux à cette dernière association culturelle; le tabac crée une accoutumance et des dommages importants pour la santé tout comme une céramique non protégée par un glacis protecteur est un danger pour la vie même des consommateurs d’aliments cuits dans des plats de céramique. Au delà de cette nouvelle problématique, il est plus important de retenir que cette association céramique-agriculture a fait avancer d’un pas de géant l’humanité toute entière, y compris celle du Québec.
Les nations de langue algonquiennes puis les nations européennes venues au Québec ont emprunté plein de choses culturelles à la civilisation iroquoienne présente sur notre territoire. L’une des choses les plus importantes du message céramique-agriculture est sans doute la part magistrale de la femme dans la perpétuation d’une société. Dans cette civilisation, la femme transmettait son nom à ses enfants. Elle participait aux grandes décisions de la vie communautaire. Elle était l’égale de l’homme. Valeur que le Québec prône dans son discours contemporain. Cette valeur d’égalité des sexes est issue de la culture iroquoienne où chacun avait un rôle important pour le maintien de la famille, du clan et du village. C’est du moins le langage caché que l’on lit dans les décors imprimés de la vaisselle iroquoienne des sites archéologiques du Québec. Tout décor de poterie révèle quelque chose du créateur de la poterie et parle à l'inconscient de celui qui le regarde, même quelques siècles plus tard.
Michel Lambert, historien de la cuisine
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