Soumis par Michel Lambert le
Notre équipe vous souhaite d'abord une année nourrissante pour le corps, le coeur, l'esprit et pourquoi pas l'âme, même si ce concept est encore plein de mystères!
Nous avons décidé de vous parler, cette année, d'aliments reliés à notre histoire culinaire, en vous racontant en même temps, quelques emprunts de recettes que nous avons faits aux autres cultures culinaires pour renouveller la cuisine de cet aliment. Aucune cuisine du monde n'est refermée sur elle-même; c'est peut-être le domaine où l'on est le plus ouvert à l'autre. Nous en profiterons en même temps pour souligner les modes et les problématiques reliées à la consommation de ces aliments. Commençons 2020 avec la part des farines dans notre alimentation.
Les farines sont les plus vieux aliments transformés par les humains. Partout sur la planète, on a réduit des grains, des racines et même du cambium d'arbres en poudres grossières, puis en fines farines en les passant à travers un tamis de plus en plus fin. Les farines sont les plus anciens moyens que les humains ont trouvé pour se maintenir en vie individuellement et collectivement. Elles permirent aux familles de se perpétuer, aux communautés de s'agrandir pour former des villages, des villes, des ethnies, des pays. L'imagination humaine créa des pains, des crêpes, des pâtes diverses auxquelles on attribua toute une symbolique et un pouvoir de cohésion sociale en les associant au pouvoir des dieux. Les grains de blé, d'orge, d'avoine, de seigle, de riz, de zizanie des marais (riz amérindien ou folle avoine), de maïs, de sarrasin, de quinoa, de teff, d'amarante, de chia, de pois, de fèves, de haricots, de sorgho, de mil, de millet, de châtaignes, d'amandes, de noisettes, de quenouilles, se sont liés aux racines féculentes comme les pommes de terre, les taros, aux yucas, les ignames, les maniocs, les topinambours ou aux écorces comestibles (cambiums) de plusieurs de nos arbres ou du palmier à sagou pour créer la base des cuisines du monde.
Nos fondateurs autochtones et européens ont privilégié le maïs et le blé, tout en se munissant de nombreuses farines complémentaires ou occasionnelles comme le riz sauvage, la quenouille, l'orge, l'avoine, le pois sec ou la gourgane. L'industrie des derniers siècles et l'immigration récente nous donnèrent accès à plusieurs types de fécules et de farines que j'ai nommées plus haut, qui viennent nourrir des modes culinaires du XXIe siècle ou répondre à des besoins de santé, comme ceux commandés par l'allergie au gluten de blé.
Toutes les farines sont des glucides nécessaires au fonctionnement humain. La science nous dit que les glucides (sucre, amidon, fibres alimentaires) devraient constituer la moitié de nos repas. Ce sont évidemment les farines de grains entiers qui sont les plus bébéfiques pour la santé parce qu'elles ajoutent des vitamines et des protéines complémentaires aux glucides. Il faut cependant souligner, ici, que les farines si importantes dans notre histoire culinaire sont aujourd'hui méprisées au profit des fruits et des légumes qui répondent aussi aux besoins glucidiques du corps humain. Mais l'apport de fruits et de légumes quotidiens nous pose plusieurs problèmes, au Québec. Nous sommes un pays nordique qui ne produit pas de fruits et légumes pendant plus de la moitié de l'année. Nous devons, pour répondre à cette demande, faire appel à l'importation massive de denrées extérieures, créant un impact très dommageable pour l'environnement, à cause du transport des régions chaudes à la nôtre. De plus, la conservation de ces fruits et légumes exige une réfrigération constante qui amplifie la problématique, sans mentionner la part importante du gaspillage alimentaire dans ce choix de se nourrir de fruits et légumes à l'année longue. Pour lutter contre ce problème, nous devons, d'une part, trouver le moyen de cultiver ces denrées en serre chaude, en hiver, ou profiter de l'été pour faire des provisions que nous conservons l'hiver, par le sel ou le sucre, par la congélation, le séchage, l'entreposage à température contrôlée, la mise en conserve, le marinage, le fumage, comme le faisaient nos ancêtres.
Rappelons qu'autrefois, l'hiver était le temps des céréales et des légumineuses qu'on pouvait facilement conserver sans problème. Plusieurs générations de nos ancêtres se sont nourries, en hiver, de pain de ménage, de crêpes et de galettes avec des soupes aux pois, à l'orge, au riz, des fèves au lard, des soupes de gourganes séchées, de haricots rouges ou de lentilles, selon les régions. La fin de la semaine, on cuisinait les réserves de viandes domestiques et sauvages faites au moment de l'apparition du gel. Les jours de jeûne, on mangeait les poissons congelés, salés ou fumés. Les pommes de terre, les légumes racines et les marinades accompagnaient les viandes et les poissons. Mais ces denrées étaient limitées. L'essentiel du quotidien demeurait la farine de blé, chez nos ancêtres européens, comme la farine de maïs, chez nos ancêtres autochtones. Cette façon de faire peut toujours éclairer nos choix alimentaires, aujourd'hui, et nous distancer des modes et des fausses nouvelles scientifiques sur l'alimentation véhiculées par les média sociaux.
Je vous invite à lire mes textes sur les farines pour vous réconcilier avec cette part importante de notre héritage culinaire. On peut privilégier les recettes de nos ancêtres pour faire notre menu hebdomadaire tout en s'inspirant des recettes étrangères que l'on peut faire avec des produits québécois; je pense ici aux galettes bretonnes de sarrasin, aux tortillas du Nord du Mexique, au pain pita, au pain naan, tous des plats de céréales que l'on peut faire chez soi avec de la farine de blé québécoise. Puis, occasionnellement, adaptater des produits étrangers pour réaliser des recettes étrangères. comme l'ingera éthiopienne que je vous donne, cette semaine, faite avec de la farine de teff. Penser local avec ouverture, sans renier notre passé riche et intelligent.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec