Soumis par Michel Lambert le
En poursuivant la liste de nos plats typiques, consacrés aux produits aquatiques, je vais traiter, aujourd’hui, des plats liquides épaissis à la farine ou au pain, comme les ragouts et les sauces de même que certains plats spécifiques comme les blanquettes, les sagamités ou les brouets.
Les ragouts de poisson québécois se font, d’après mon enquête, de 4 façons : avec une béchamel ou de la crème mélangée à de la farine, avec un court-bouillon épaissi au roux, avec une sauce à la farine grillée et avec une sauce au vin. De plus, certains ragouts de poisson ne contiennent pas de farine; on les appelle quand-même ragout alors qu’on devrait plutôt les appeler des gibelottes ou des bouillottes. Les ragouts de poisson avec de la farine grillée sont les plus anciens et se font uniquement dans les régions de l’Est du Québec; on les fait, par exemple, avec de la morue salée, en Basse-Côte-Nord, et avec du maquereau, sur la Pointe-de-Gaspé. Les ragouts de poissons avec une sauce au vin se font essentiellement avec du vin rouge, pour l’anguille ou l’esturgeon noir du Bas-Saint-Laurent, ou avec du vin blanc pour l’esturgeon jaune du Chemin-du-Roy. La majorité des ragouts de poisson se font avec une sauce blanche ou un court bouillon épaissi à la farine : on les parfume surtout avec des herbes salées traditionnelles, du thym, du persil, de l’oigmon vert, de la sarriette et du laurier. Les ragouts d’esturgeon contiennent très souvent des légumes de saison comme des carottes, du poireau, des haricots jaunes ou verts. Plusieurs ragouts de poisson remplacent la farine par des pommes de terre seules avec de la crème épaisse ou en combinaison avec des tomates, des poivrons verts, des oignons et du céleri. On fait tous ces ragouts avec les poissons locaux, particulièrement avec de la morue, de la goberge, du maquereau, de la lotte pêchée en hiver sous la glace, du thon rouge ou de l’espadon, du doré, du corégone et de la grosse truite mouchetée. Mais le ragout de poisson le plus typique du Québec, se fait avec de l’esturgeon noir ou jaune : on le coupe en gros cubes qu’on traite comme un bœuf bourguignon ou on le prépare comme un ragout de boulettes, avec de l’esturgeon haché finement, mélangé à du pain, des œufs, du lait et du clou de girofle, comme en Mauricie.
Les ragouts de gibier maritime se font principalement dans l’Est du Québec, avec du loup-marin, une sauce brune parfumée aux herbes salées et à la farine grillée. Quelquefois, on ajoute un assortiment de légumes d’hiver, comme des carottes et du rutabaga en cubes. Au Nunavik, le même ragout s'est fait avec plusieurs sortes de phoques, du morse, du bélouga et même de la baleine, autrefois. Les autres ragouts de gibier se font avec du canard de mer comme l’eider à duvet, plutôt appelé moyac, sur la Côte-Nord, auquel on ajoute du vin rouge.
Les ragouts de fruits de mer se font essentiellement avec un assortiment de coquillages (coques, clams, moules) dans une béchamel aux herbes salées ou avec un assortiment de crustacés, moules et poisson dans une sauce rosée ou sauce tomate avec du poivron vert.
Les blanquettes de poisson sont essentiellement des courts bouillons dans lesquels on fait pocher le poisson, qu’on épaissit au roux blanc, auxquels on ajoute de la crème, des jaunes d’œufs et du jus de citron. Certaines recettes ajoutent des petits oignons-perles et des champignons. En Baie des chaleurs, on fait des blanquettes de plusieurs poissons, comme de la morue, du merlu, de la plie et du flet. Dans le Bas-Saint-Laurent, on en fait une avec de la morue seulement. Dans Charlevoix, on la fait avec de la petite truite. Au Centre du Québec, on la fait, en hiver, avec de la lotte alors que dans les Basses-Laurentides, on la fait avec de l’esturgeon jaune.
Les sagamités aux poissons du Saint-Laurent datent de l’an 1000. Les Iroquoiens établis dans les villages, le long du fleuve, adoraient les poissons du fleuve, en particulier la barbue, le saumon, l’esturgeon jaune et l’anguille, en automne. Ils faisaient bouillir leur poisson dans des pots de céramique qu’ils commençaient par manger, puis ils épaississaient le bouillon de cuisson du poisson avec de la farine de maïs. Le Français ajoutaient toujours des aromates et des assaisonnements au poisson pour le rendre moins fade, à leur gout. Il y a moyen de remettre ce plat au menu en l’adaptant à notre réalité contemporaine.
Le Fisherman’s Brewis est un plat originaire de Terre-Neuve, amené en Basse-Côte-Nord par les pêcheurs terre-neuviens. Le plat se fait avec du stock fish ou de la morue séchée, congelée pendant tout l’hiver puis salée et séchée une deuxième fois. Il faut la dessaler, la faire tremper longuement, la cuire doucement et épaissir le bouillon de cuisson avec des biscuits matelots (hard tack) ou du pain séché. Il faut brasser le pain défait avec le poisson et le garnir de grillades de lard salé. On accompagnait ce plat de mélasse, au début du XIXe siècle pour équilibrer le gout très salé du plat. Le terme brewis a la même origine que le brouet français ou franc, le broth écossais et le mot pain, en vieux germain à l'origine de bread en anglais.
Les sauces au poisson sont différentes des sauces qui accompagnent le poisson. Je vais essayer de clarifier tout cela. Dans ce type de plat, le poisson peut être cru ou précuit, comme le poisson en conserve.
1.
Le plat champion toutes catégories de ce type de plat, est la sauce blanche aux poissons roses, avec du persil frais haché. On le fait donc avec les ombles fontaine ou chevalier, avec les truites brune ou arc-en-ciel et surtout avec le saumon atlantique ou la ouananiche. Chacun a sa recette pour singulariser la recette de base qu’on a amenée de Normandie. Certains partent le roux avec de l’oignon ou de l’échalote; certains parfument la sauce avec une autre herbe comme le cerfeuil, la ciboulette, la livèche écossaise ou les herbes salées; d’autres plus hardis ajoutent de l’ail, du poivre de citron, du poivre vert, de la noix de muscade ou des petits cornichons sucrés; certains ajoutent des légumes cuits à la sauce comme des petits pois, de la macédoine ou des asperges.
2.
Les sauces blanches au poisson blanc sont nos plats de poisson les plus versatiles : on les fait avec des poissons d’eau douce comme le brochet, le doré, le corégone, la barbotte, le maskinongé, la barbue de rivière, que l’on parfume avec de l’ail, de l’oignon vert, des feuilles de céleri, du persil, du basilic, des herbes salées. On les fait aussi avec différentes sauces blanches : au fromage gouteux comme le cheddar fort, à la poudre de cari, aux œufs, ou à un légume-vedette comme les champignons, les poivrons ou les carottes en conserve. Cette recette se fait aussi avec du poisson de mer comme la morue fraiche ou salée, le hareng dessalé ou fumé, le flétan de l’Atlantique, le flétan du Groenland, l’aiglefin frais ou fumé, le maquereau, la plie, et la baudroie (lotte).
3.
Les sauces tomates au poisson : je pense que ce type de plat s’est installé dans la Baie-des-Chaleurs avec l’arrivée des pêcheurs basques et gascons qui connaissaient bien ce légume, chez eux, depuis le XVIe siècle. Les Loyalistes en furent entichés, aussi, après 1875. Les sauces tomates d’origine ont, dans beaucoup de cas, été remplacées par les soupes aux tomates en conserve. C’est surtout la morue, le sébaste et le flétan de l’Atlantique que l’on sert dans cette sauce, en Gaspésie. J’ai aussi vu une sauce tomate servie avec du doré ou de la laquaiche, dans l’ouest du Québec.
4.
Les sauces aux poissons et fruits de mer sont des plats d’apparat qui nous viennent des Loyalistes installés dans nos régions : c’est le genre de plat qu’on sert sur un vol-au-vent ou un feuilleté décoratif. On associe, par exemple, morue et crabe; baudroie et fruits de mer mélangés; plie et homard; flétan du Groenland et homard; plie, crevettes et moules.
5.
Les sauces aux fruits de mer se faisaient en Normandie, au moment de la traversée de nos ancêtres au Québec. Mais l’éloignement de la mer a fait en sorte qu’on a perdu le savoir faire culinaire de ce plat. Ce sont les Loyalistes des Cantons-de-l’Est et du Missisquoi qui les ont remis à la mode en allant se chercher des fruits de mer en Nouvelle-Angleterre lorsque le train de Portland traversa la frontière canadienne, en 1853. On les sert dans une sauce béchamel, une sauce crème au vin blanc ou une sauce tomate avec des poivrons, verts, des champignons, du céleri et parfois un peu de piquant. Ce sont les crevettes qui sont les fruits de mer les plus fréquents dans ce type de sauce suivies des mélanges de fruits de mer. Les pétoncles, le crabe et le homard sont plus associés à des sauces-crèmes au macis, au curry ou à la moutarde. Les sauces tomates aux fruits de mer sont davantage associées aux pâtes alimentaires que les sauces-crèmes même si on offre les deux, dans les restaurants de l’Est du Québec.
Les sauces d’accompagnement du poisson sont très nombreuses et témoignent que les Franco-Québécois et les Anglo-Québécois sont de grands amateurs de sauce! Faisons le tour de nos sauces classiques en associant les poissons servis avec. Je n’ai pas noté les nombreuses variantes familiales de ces sauces, par économie d’espace.
Notez que les poissons servis avec ces sauces sont préparés de diverses façons : ils sont rôtis, pochés, cuits au four entiers ou dans un pain de poisson. Mais c’est la sauce qui donne la personnalité au poisson. Je nomme les sauces puis j'identifie les sortes de plats de poisson ou les poissons qui sont servi avec.
Sauce à l’oignon : Morue salée; Soufflé au saumon et au pain de Shegawake; Morue fraiche.
Sauce au citron : Morue bouillie; Touladi; Anguille bouillie.
Sauce au court-bouillon et crème : Esturgeon bouilli en tronçons avec carottes, oignon, céleri, persil, tranches de citron, clou de girofle, coulé, arrangé.
Sauce au fromage : (emmenthal. Cheddar, blanc) : Paupiettes de plie farcies au crabe; Roulés de requin; Esturgeon jaune fumé (a kwapiswaganout namas) et bouilli avec pommes de terre; Filets d'esturgeon jaune braisés au four avec beurre et muscade; Esturgeon fumé poché au lait; Filets de maskinongé; Pain de truite brune; Doré de la Yamaska; Filets de perchaude enfarinés et poêlés.
Sauce au gras de cuisson, au thym et au persil : Maquereau rôti.
Sauces au légume-vedette :
1. Asperges : Aiglefin fumé; Darnes de saumon grillées.
2. Carottes : Filets de brochet du lac Saint-Pierre.
3. Champignons : Filets de poisson; Rouleau de saumon au poivron rouge; Truites farcies au pain, céleri, oignon et tomate en dés cuites au four; Pain de brochet.
4. Concombre : Pain de poisson (saumon ou truite mouchetée).
5. Haricots jaunes : Filets de brochet du lac Saint-Pierre.
6. Maïs en grain : Filets de perchaude panés à l'anglaise, rôtis dans le beurre; Filets de brochet du lac Saint-Pierre.
7. Pois verts : Morue fumée.
8. Poireau : Truite rouge.
Sauce au pain et oignon : Anguille rôtie.
Sauce au vin : Truite de mer; Brochette de mako (requin); Harengs grillés au barbecue.
Sauce aux 5 poivres : Hareng fumé servi chaud.
Sauce aux fruits de mer : Morue entière rôtie au four (avec crevettes); Aiglefin au four (avec huitres); Bar rayé au four (avec homard); Filets de morue (avec homard); Filets de morue (avec moules); Filets de poissons (avec coquillages); Filet de morue (avec crevettes); Filets de plie canadienne (avec palourdes); Filet de saumon poêlé au beurre (avec huitres).
Sauce aux groseilles et oeuf et crème fouettée : Maquereau servi froid.
Sauce béchamel : Pain de morue léger; Pain de touladi à la chapelure, oeufs battus et lait chaud; Pain de poisson des chenaux; Pain de saumon avec de la chapelure, des oeufs et du persil.
Sauce blanche à la sarriette : Pâté au saumon et au pain.
Sauce blanche au persil : Pain de goberge et pain; Maquereau rôti à la gaspésienne; Pain au brochet, œuf, pain, muscade et crème; Pain de purée de pommes de terre et barbotte ou barbue pochée et effeuillée.
Sauce blanche aux œufs : Morue farcie au pain; Rouleau de saumon; Poisson blanc farci, farce au pain; Filets de morue; Flétan du Groenland (turbot); Roulés de pâte au saumon et persil à la manière de Charlevoix; Ouananiche pochée; Saumon poché aux oignons et citron.
Sauce chili : Bouchées de bâtonnets de poisson.
Sauce crème à l’ail : Ouananiche de l’Ashuapmouchouan pochée au court-bouillon.
Sauce crème aux herbes: Filets de plie poêlés (estragon); Filets de bar (ciboulette et vin blanc); Loche ou lotte poêlée au beurre; Anguille rôtie (petite oseille); Filet de touladi poêlée (cresson); Maskinongé (oseille).
Sauce crème au curry ou safran : Steak de flétan de l’Atlantique; Filets de corégone; Filets de truite aux légumes; Carpe allemande pochée; Truite farcie à la purée de pommes de terre assaisonnée d'oignon vert, de persil, ciboulette, sarriette et graines de fenouil
Sauce-crème au vinaigre ou vin blanc : Bar rôti au four (estragon;) Pâté d’esturgeon cru haché aux épices (câpres); Escalopes de saumon farcies aux asperges; Morue au court bouillon (cornichons surs); Brochet au court bouillon (cornichons); Barbue de rivière pochée (cornichons); Lotte pochée au court bouillon.
Sauce moutarde au vinaigre :Hareng rôti; Petits pâtés au flétan atlantique; Harengs dessalés bouillis.
Sauce Ravigote : Terrine d’anguille au persil.
Sauce tartare : Bouchées de morue frite; Beignets de corégone au gruau servis avec frites; Bourlets au saumon de Rivière-Éternité (saumon cuit mélangé à du pain trempé dans le lait et des oeufs, faconné en boulettes et frites dans la grande friture); Pain de brochet avec chapelure, mie de pain, oeufs, crème et persil; Steak de saumon sur barbecue; Roulé de perchaude ou d’achigan cuit, fait avec de la pâte à biscuit à poudre à pâte, tranché; Anguille à l’ancienne (cuite au court bouillon, égouttée, enrobée de jaune d’oeuf, de chapelure et frite dans le beurre).
Sauce tomate : Sandwichs de thon au four; Boules de morue frites; Filets de plie en grande friture; Croquettes de riz à la morue fumée; Truite moulac; Filets de flétan du Groenland poêlés; Filets de plie; Rondelles de loche poêlées; Pain de saumon au riz gonflé au lait; Truite farcie aux poivrons et champignons hachés cuits au beurre avec persil et jus de citron; Rôti de dos d’esturgeon.
Sauce yogourt aux herbes : Achigan (aneth)
Voilà donc un répertoire diversifié qui ne manque pas d'imagination!
Michel Lambert, historien de la cuisine québécoise