Place à l'Europe méditerranéenne

Je vous remercie d'abord pour votre présence et vos mots gentils au Salon du livre. Cela fait beaucoup de bien au coeur et donne de l'énergie pour la suite des choses.

Nous entamons, aujourd'hui, un tour rapide de la cuisine méditerranéenne, chez nous. Elle a plusieurs visages même s'ils sont collés à une mer, un rivage et un climat semblable. On verra, en particulier, les cuisines espagnole, portugaise, italienne et grecque qui sont toutes des cuisines très présentes chez nous, depuis un siècle, pour certaines d'entre elles.

Parlons d'abord de la Grèce qui a un passé si important pour la culture occidentale ou mondiale, et que les Jeux Olympiques d'été ou d'hiver remettent à l'honneur, tous les quatre ans. La culture grecque est issue de la civilisation indo-européenne comme la culture celtique, germanique, romaine ou slave. Mais elle a développé plusieurs arts de vivre en relation avec des courants philosophiques portés par de grands sages encore enseignés dans les universités du monde. Nous connaissons sa cuisine ancienne grâce aux auteurs de l'Antiquité. Nous savons qu'elle était basée sur l'agriculture et la pêche en Méditerranée et dans la mer Égée. Elle avait aussi beaucoup emprunté à la culture perse, encore plus ancienne qu'elle, grâce à Alexandre le Grand. La France et l'Angleterre, pays de nos ancêtres européens, ont connu la cuisine grecque par l'intermédiaire de Rome, qui a conquis la Grèce au deuxième siècle avant J.C. Les Romains se sont littéralement entichés de la culture culinaire grecque qu'ils ont propagée tout le long de la constuction de leur empire. Mais La Gaule celtique avait déjà subi l'influence des Grecs qui avaient établi une ville portuaire à Massalia (aujourd'hui Marseille), 600 ans avant J.C. Ce sont, entre autres, les Grecs Phocéens de Massalia qui ont montré aux Celtes à faire du pain avec de la farine de blé. Les Celtes ont perfectionné la recette en lui ajoutant de la levure de bière. La Grèce continua d'étendre son influence dans le monde, grâce à sa christianisation. L'Église catholique, entre autres, a perpétué ses enseignements philosophiques, revus et corrigés par certains ecclésiastiques comme Saint-Augustin, au  IVe siècle, ou Saint-Thomas d'Aquin, au XIIIe siècle. Mais du XVe au XIXe siècle, la Grèce a subi l'influence profonde de l'Empire ottoman. Sa cuisine actuelle témoigne de cette profonde influence. C'est d'ailleurs cette cuisine que les premiers immigrants grecs au Québec ont apportée, à partir de 1843: souvlakis (brochettes d'agneau), feuilles de vigne farcies, pâtisseries de pâte filo au miel, fromages de chèvre ou de brebis, légumes de climats chauds farcis, salade avec fromage ou yogourt de chèvre. La salade grecque bien connue chez nous illustre parfaitement ce régime méditerranéen bien qu'il y ait plusieurs variantes de cette salade qui contient toujours un mélange de tomates et de concombres, dans chaque pays qui longe la Méditerranée.

En Italie, cette salade contient toujours du basilic et du vinaigre balsamique et remplace souvent le féta par du bocconchini. Mais il faut dire ici que la recette ne remonte pas très loin dans le temps parce que l'usage de ce légume-fruit d'origine mexicaine a été diffusé en Europe par les Espagnols, au XVIIe siècle seulement.  Les Espagnols ont apporté la tomate en Sicile d'abord, qui était l'une de leurs colonies. La sauce tomate mexicaine se transforma en sauce tomate sicilienne pour devenir un élément important de la cuisine du sud de l'Italie avant de monter progressivement vers le nord de l'Italie, puis en Provence et en France du Nord, seulement au XIXe siècle. Les Français qui ont colonisé le Québec au XVIIe siècle ne connaissaient donc pas du tout la tomate. Ce sont les Américains qui nous l'ont fait connaître au milieu du XIXe siècle, par l'intermédiaire du Mexique et des autochtones virginiens, comme je l'ai expliqueé sur ce site. Mais pour revenir à l'Italie actuelle comme pays, il faut savoir que c'est un pays récent créé seulement en 1861. Auparavant, on parlait plutôt de royaumes ou régimes politiques indépendants sur toute la péninsule italienne. La région la plus importante est évidemment celle de Rome née en 753, avant J.C.. De nombreux auteurs romains nous ont fait connaître la cuisine de ce pays, en latin, dès le IIIe siècle, avant J.C..Les premiers Romains se contentaient de gruaux épais d'orge ou de blé, parfumés d'herbes aromatiques comme la menthe ou le fenouil et d'huile d'olive. Ils accompagnaient parfois ces bouillies de fromage de brebis ou de chèvre de même que de chou, de poireau, de laitues, d'olives et de gourganes. Ce sont les Grecs qui ont montré aux Romains à se faire du pain. Au IIe siècle avant J.C,, la cuisine romaine se raffina en ajoutant de la viande et du poisson au menu et du vin pour accompagner le tout. Mais la classe populaire continua à manger des gruaux de céréales et des légumes. Ce n'est qu'à l'époque de l'empire romain qu'on connut le grand raffinement avec la cuisine du gibier, des fruits de mer, les salades et surtout les desserts faits lors des grandes fêtes religieuses de ce temps. C'est cette dernière cuisine que les Romains apportèrent avec eux dans les pays qu'ils conquirent, comme la France, de 51 après J.C. à l'an 476. Cette cuisine raffinée avec ses pâtés, ses omelettes, ses tartes, ses gâteaux, ses nombreuses variantes de pains, ses salades, ses herbes et ses épices devint la cuisine des Fêtes et des occasions spéciales pour les Français. Nos ancêtres apportèrent donc cette cuisine, au XVIIe siècle. Le porc, célèbre en Gaule et à Rome, devint la viande populaire au Québec. Mais l'Italie contemporaine nous a vraiment influencés lorsque des centaines de paysans italiens sont venus travailler chez nous pour nous aider à construire nos chemins de fer, nos routes et même nos canaux maritimes. Un contingentement important d'Italiens du Sud émigra après la 2eme Guerre Mondiale. Plusieurs d'entre eux ouvrirent des restaurants, puis des pizzerias pour survivre, dans les principales villes du Québec. Les fameuses pâtes à la sauce au fromage sont mentionnées dans les premiers livres de recettes québécois, au milieu du XIXe siècle. Les pâtes à la sauce tomate ou à la sauce à la viande sont entrées au Québec à partir des années 50. Aujourd'hui, le spaghetti italien se fait dans toutes les familles québécoises, de quelque origine qu'elle soit. Et l'on voit de nombreux descendants d'Italiens à la télé, fiers de leurs origines et de la cuisine de leurs parents, qui initient les Québécois à leur cuisine.

La cuisine portugaise est moins présente à la télé, mais toute aussi importante dans l'histoire de la cuisine mondiale. Ce pays de 11 millions d'habitants a été fondé au XIIe siècle. Il a cependant des racines millénaires où les Lusitaniens d'origine indo-européenne, les Celtes, les Romains, les peuples germains, les Maures et les Berbères d'Afrique du Nord et leurs voisins de l'Est, les Ibères, se sont métissés pour créer une culture culinaire où la Méditerranée et l'océan Atlantique jouent un très grand rôle identitaire. Trois siècles après la création de leur pays, les Portugais prenaient la mer pour compétitionner les Espagnols à la recherche d'autres continents et d'autres produits alimentaires. Gràce aux marins portugais, les aliments américains ont pu se répandre en Afrique du Sud et aux Antilles. Le maïs, les piments, les haricots, les courges, les tomates, les pommes. de terre, tous d'origine américaine, font partie désormais du continent indien et africain. Et les agrumes et les épices de l'Inde et de l'Indonésie font partie, grâce à eux, des Caraïbes et du Brésil. L'agriculture européenne s'est développée le long des cours d'eau qui descendent des montagnes qui sépare l'Espagne du Portugal et qui vont se jeter dans la Méditerranée et l'Atlantique. Les Portugais ont massivement émigré au Brésil où la langue du pays est le Portugais.Mais lorsque le Brésil connut une importante crise économique, au milieu du XIXe siècle, il décida de fermer ses frontières. C'est alors que les jeunes Portugais du continent de même que ceux des iles de Madère et des Açores émigrèrent aux États-Unis et au Canada. Le dictateur Salazar, maître du Portugal, en a chassé plusieurs avant la Révolution des Oeillets, en 1974. On compte plus de 55 000 Portugais au Québec. On peut goûter leur cuisine dans quelques restaurants montréalais, mais on peut surtout cuisiner chez soi des sardines portugaises, des chorizos, des plats de morue aux pommes de terre, le chou frisé avec des pommes de terre en soupe verte, et l'on peut combiner des pommes de terre sautées dans l'huile d'olive avec des oeufs durs, des olives noires, de la morue salée, de la lotte, de l'anguille ou du thon, avec de l'ail. du jambon sec, du piri-piri et du vin blanc local. Aujourd'hui, le Portugal est une destination privilégiée pour les retraités québécois qui veulent "voir du pays".

L'Espagne voisine les attire tout autant. Tout comme leur cuisine qu'ils ramènent chez eux pour la faire goûter à leurs enfants ou leurs amis casaniers. L'Espagne, formée à l'origine d'Ibères, de Celtes, de Carthaginois (Tunisiens), de Phéniciens (Liban), de Maures (Maroc), de Grecs et de Romains, a vécu historiquement des moments difficiles et glorieux. On sait que ce pays très chrétien a été conquis partiellement par les Arabes qui voulaient répandre la pratique de l'Islam, en 756. Le pays s'arabisa et devint un califat indépendant, au Xe siècle. Mais en 1492, l'année de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, le Nord de l'Espagne conquit le Sud musulman. Les nouveaux dirigeants, appuyés par une Église catholique extrêmement prosélythique, imposèrent la langue espagnole et la religion catholique à tous leurs sujets qu'ils conquirent au Mexique, en Amérique centrale et du Sud, dans les Antilles et dans certaines régions indiennes et africaines où ils installèrent des comptoirs commerciaux. L'espagnol est désormais la langue la plus parlée, dans les deux Amériques. Plusieurs Espagnols ont émigré chez nous pour des raisons politiques, dans les années 1930, sous la dictarure de Franco qui perdura jusque dans les années 1970. Ils sont plus de 50 000, au Québec, aujourd'hui. Mais depuis que l'Espagne est devenue un pays démocratique, nous ne recevons plus d'immigrants de ce pays. Ce sont plutôt les Québécois qui vont les visiter, en hiver ou en été, pour chercher du soleil et une fine cuisine qui s'exprime particulièrement dans des petits plats variés qu'on appelle des tapas. Et ils ramènent cette cuisine, chez nous. C'est l'Espagne qui a amené d'abord les produits mexicains en Europe : le maïs, les courges, les haricots, les tomates, les piments. Et inversement, elle amena les produits européens et  asiatiques au Mexique, en Amérique Centrale et en Amérique du Sud. Les fameuses oranges, les citrons et les limes ont été apportées en Amérique par les Espagnols, tout comme les épices qu'on plante désormais dans la plupart des régions tropicales de l'Amérique. La cuisine espagnole est particulièrement connue par ses aromates: l'ail, l'oignon, les piments plus ou moins forts comme le paprika et le piment d'espelette du pays basque espagnol et français, le recours à la cannelle, la muscade et le clou de girofle, comme chez nous. On utilise beaucoup les noix de pin, les amandes ou les noix de Grenoble pour lier les soupes ou les sauces, comme les Algonquins de chez nous le faisaient autrefois avec des noisettes ou des noix de caryer. Dans les plats espagnols les plus connus chez nous, il faut nommer le gaspacho, l'omelette espagnole avec des pommes de terre, le cocido qui est l'équivalent de notre bouilli d'été, la paella avec ses fruits de mer et sa volaille, cuits dans un riz tomaté super goûteux, les bunuelos (beignets) et les fameux flans qu'on appelle aussi des "crèmes au caramel".

En conclusion, citons d'autres pays qui nous ont envoyé plusieurs immigrants  dont nous connaissons moins la cuisine à moins d'être allé dans les pays en question. Je pense d'abord à la Roumanie avec ses 40 000 ressortissants établis au Québec. Les plats les plus connus de ce pays, chez nous, sont les sarmale ou feuilles de chou farcies de viande et de riz, le pastrama roumain qui est issu du pastrami italien et qui se mange avec de la mamaliga, l'équivalent de la polenta italienne. Mais la cuisine roumaine est gourmande et mérite d'être connue davantage. La Bulgarie voisine compte plus de 12 000 ressortissants chez nous. Nous connaissons son célèbre yogourt, son utilisation massive des tomates et des poivrons sans oublier les aubergines dans des ragouts de viande. Et il ne faut pas oublier leur ghevetch qui est le cousin propre de notre cipâte, mais fait avec des couches de riz et de chou, de gibier et des viandes domestiques, plutôt qu'avec des couches de pâte, des pommes de terre, des viandes domestiques et du gibier. Certaines familles incluent des rouleaux de feuilles de chou farcis de raisins de Corinthe et riz à travers le plat qu'on couvre finalement de pâte à tarte avant de le faire cuire longuement, au four, comme notre cipâte. Quant aux pays de l'ex-Yougoslavie  comme la Slovénie, la Croatie, la Serbie, le Monténégro et la Macédoine, ou bien l'Albanie,  leurs cuisines est un mélange de cuisine ottomane et austro-hongroise, célèbres pour leurs feuilletés, leurs strudels, leurs raviolis farcis de fromages de chèvre, de viandes domestiques hachées, de riz ou de purées de pommes de terre aromatisées. Les desserts sont surtout issus de l'empire ottoman et ressemblent aux desserts grecs ou libanais que nous connaissons plus.

Le sud de la France est, bien sûr, branché sur la Méditerranée, mais nous avons déjà eu l'occasion de parler d'elle, ailleurs sur ce site.

Voilà un tour d'horizon plutôt rapide de cette cuisine qualifiée souvent de cuisine-santé à cause de la présence importante des légumes dans ses menus et de l"huile d'olive comme fondement de ses rôtissages et vinaigrettes.

La semaine prochaine, nous toucherons à la cuisine d'Europe centrale et de l'Est.

Bonne semaine, d'ici là.

Michel Lambert, historien de la cuisine familliale du Québec