Soumis par Michel Lambert le
La semaine dernière, j’ai participé à deux jours de formation pour des entreprises consacrées aux petits fruits de notre territoire. Parmi les conférenciers, il y avait Monsieur Jocelyn Trudel du MAPAQ qui nous a présenté le plan du ministère pour l’établissement d’une nouvelle politique de l’alimentation, chez nous.
En 2018, le ministère de l’Agriculture, Pêcheries et Alimentation du Québec commencait à réfléchir sur notre alimentation collective pour instaurer une nouvelle politique bioalimentaire pour le Québec, prévue en 2025. Le ministère se met à l’écoute des Québécois en ayant pour objectif de mettre en valeur tout ce qui contribue à notre santé. On veut désormais prévenir plutôt que guérir à coups de millions de dollars par année!
Ce plan de travail est sorti du Sommet sur l’alimentation tenu au Marché Jean-Talon de Montréal, en novembre 2017, après plusieurs rencontres préparatoires entre le 6 septembre 2016 et le début novembre 2017, un peu partout au Québec.
Ceux qui seront impliqués dans cette politique sont évidemment les Québécois de tous âges et de toutes les régions, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les transformateurs de produits alimentaires, les distributeurs grossistes, les épiciers des grandes chaines comme les petits artisans et boutiquiers, les cafétérias des écoles, des hôpitaux, des résidences de personnes âgées, des entreprises ou des usines, les restaurants de tout acabit, mais aussi les municipalités qui passent des lois sur les permis de restaurants rapides à proximité des écoles, tout comme les services santé des CLSC, des CHCLD, le Ministère de l’Environnement, le Ministère de l’Éducation qui forme les chefs, sans oublier les universités qui forment les chimistes de l’alimentation, les diététistes, les médecins de famille, les éducateurs, les chercheurs en alimentation, les biologistes, etc.
Le MAPAQ « propose d'alimenter notre monde avec un secteur bioalimentaire prospère, durable, ancré sur le territoire et engagé dans l’amélioration de la santé des Québécois »
En tant qu’historien de notre alimentation familiale, je souhaite ardemment que cette nouvelle politique s’inspire non seulement des découvertes scientifiques sur l’alimentation, mais aussi de notre patrimoine naturel et culturel collectif.
Nous vivons dans un climat nordique ou la consommation de légumes frais a toujours été difficile pendant 8 mois de l’année; il nous a fallu développer plusieurs stratégies pour nous permettre de consommer des légumes et des fruits en morte saison. Les autochtones présents sur notre territoire depuis des millénaires nous ont appris des techniques de conservation que nous pouvons perfectionner, dans le cadre de cette nouvelle politique. Nos ancêtres ont rapproché les aliments de leur maison en inventant le jardin, le verger, le champ de blé derrière la maison. Nous pouvons concevoir une nouvelle agriculture proche des villes, dans les villes, sur les balcons et les toits de nos édifices. Il faut arrêter de promener les aliments sur des centaines de kilomètres comme nous le faisons actuellement pour soi-disant manger santé, aux dépends de notre environnement planétaire. De plus, nos ancêtres nous ont légué des modèles issus de l’expérience et de la sagesse. Les Iroquoïens du Saint-Laurent, les Iroquois et les Hurons avaient un régime principalement végétarien composé de maïs sous plusieurs formes, de courges, de légumineuses, de petits fruits, de noix, de graines. Leur ragout de farine de maïs était occasionnellement parfumé par du poisson frais ou fumé, sans sel ni sucre. Ce sont les fruits avec leur amertume, leur acidité et leur sucre naturel tout comme l’eau d’érable qui parfumait leur farine. De leur côté nos ancêtres français consommaient plus de viande en hiver et plus de poisson, d’œufs, de produits laitiers et de légumes, en été. Les salades de chou et de légumes-racines et les légumes marinés accompagnaient les viandes, en hiver. Mais, on ne mangeait pas de la viande tous les jours; on en mangeait le samedi et le dimanche, et l’on finissait les restes de viande en début de semaine. Le reste du temps, on mangeait du poisson frais ou salé ou des sauces diverses avec du pain de ménage. Vous me direz, oui, mais le sel, c’est très mauvais pour la santé. Nos ancêtres le savaient déjà, aussi, ils faisaient toujours dessaler leur poisson ou leur lard avant de le consommer par différentes techniques que nous avons oubliées.
Quant au sucre de canne, nos ancêtres en prenaient parcimonieusement parce que le sucre était considéré comme une épice. Au dessert, on mangeait des fruits de saison et des noix. Et la tarte au sucre ou aux œufs était réservée au temps des Fêtes. Pendant 40 jours avant Noël, on jeunait, comme on le faisait aussi 40 jours avant Pâques. Ces périodes étaient accompagnées de prises de tisanes qui avaient pour but de « purger le sang ». Ces remèdes de grands-mères n’étaient pas toujours fondés selon la science, mais il y avait une préoccupation importante de la santé, dans cette action.
C’est l’urbanisation et l’industrialisation de notre alimentation qui a provoqué l’arrivée massive des problèmes de santé que nous connaissons aujourd’hui. Nous avons perdu le contrôle de notre alimentation familiale.
Et cela est encore pire, aujourd’hui, alors que les grands de l’alimentation québécoise nous bombardent presque quotidiennement de spéciaux en aliments, de repas tout préparés qui sont là pour soi-disant sauver du temps et des préoccupations. Avec cela, nous perdons nos savoir-faire culinaires et nos traditions familiales au profit de compagnies dont le principal objectif est de faire de l’argent.
Je suis heureux que le MAPAQ fasse enfin le ménage dans tout cela. Mais il nous faut intervenir, comme citoyen responsable de notre santé, dans ce processus politique, car bien des lobbies se formeront pour conserver leurs intérêts financiers à travers ces grands changements qui s’annoncent. Il nous faut utiliser notre territoire pour nous nourrir. Il nous faut nous référer à notre patrimoine naturel, riche et diversifié, que sont nos forêts, nos côtes marines et nos espaces agricoles pour bâtir notre futur alimentaire. Il nous faut retrouver nos pratiques culturelles bonnes pour la santé dans nos origines culturelles diversifiées.
On peut, pour ne pas dire "on doit", se servir du passé pour préparer l’avenir, se servir de la tradition pour innover, n'est-ce pas!
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec