Parlons des légumineuses d'origine américaine.

Après avoir parlé abondamment des pois secs et des petits haricots, les deux piliers de notre cuisine de légumineuses, nous abordons, aujourd’hui, la cuisine des légumineuses américaines. Nous parlerons donc des haricots cultivés au Québec avant l’arrivée de Jacques Cartier en 1534, de même que des fèves de Lima, aujourd’hui relativement présentes dans nos menus.

On se référera à mon article de la semaine dernière pour l’histoire des haricots et leur rôle dans notre patrimoine culinaire. Permettez-moi cependant d’ajouter quelques détails instructifs sur leur apport dans notre culture.

Les haricots américains ont été découverts à la fin d’octobre, 1492, par Christophe Colomb. D’autres navigateurs espagnols, comme Oviedo et Cabeza de Vaca, disent en avoir vu beaucoup au Nicaragua et en Floride. De Soto ajoutait, en 1530, que les haricots étaient toujours plantés en combinaison avec le maïs et la courge. Ce qui est étonnant car Jacques Cartier décrit exactement le même type de culture lorsqu’il visite Hochelaga ou Montréal, en 1535. Le mot haricot lui-même, ayacotl, a été donné à Colomb par les autochtones locaux. Selon les linguistes, il serait d’origine maya. Le mot apparait en français pour la première fois, en 1640, sous le nom de fève rognon, fève de Rome ou fève peinte. Les Québécois retiendont le terme fève puisque le mot existait déjà pour nommer les autres légumineuses du même type.

En fait, les haricots ne sont pas originaires du Mexique comme ces découvertes espagnoles pourraient nous le faire croire. Des archéologues ont découvert, à Ancash, au Pérou, des preuves que les haricots étaient cultivés sur place, il y a 7 000 ans. Le légume s’est donc répandu dans toute l’Amérique, après cette époque, et il s’est associé à la culture du maïs et de la courge, en Amérique centrale, à l’époque des Mayas. La civilisation Maya s’est développée dans la Péninsule du Yucatan, au sud du Mexique, à partir de la Préhistoire jusqu’à son apogée, au IXe siècle de notre ère. C’est de là que sont partis les haricots pour monter vers le Québec, par le Mississipi puis les Grands-Lacs ontariens. On trouve des preuves de cette culture du haricot, chez nous, depuis au moins le début du XV e siècle. Les Français remplacèrent la culture des petits haricots amenés de France par les haricots autochtones. En 1694, dans la région de Montréal, les gens les appelaient des fèves de haricots, et les gens de Québec, simplement des fèves, par opposition aux faisolles qui correspondaient aux haricots amenés de France. Pehr Kalm, le célèbre voyageur suédois au Québec en 1749, raconte que les gens de l’époque en plantaient beaucoup dans leurs jardins et qu’ils les faisaient sécher comme les pois et les gourganes. On les conservait aussi dans le vinaigre avec du sel et du poivre comme le raconte Hope Dunton et A.J.B. Johnson dans Recipes from the World of 18th-Century Louisbourg. Les gens de Québec consommaient beaucoup de fèves autochtones, les jours maigres de l’année ; on les préparait en soupe avec un morceau de lard salé, du beurre ou un gibier d’eau comme le bélouga, le castor ou le canard, ou avec des légumes et du lait, en été. Les Anglophones installés au Québec les adoptèrent aussi et les cuisinaient, en plus des soupes, en purées d’accompagnement de la volaille rôtie ou du jambon, comme le signale Susannah Carter dans son livre The Frugal Housewife (Boston, 1772).

Quant aux fèves de Lima, on pense habituellement que cette légumineuse est originaire de Lima, au Pérou. Mais ce n’est pas exact. Des études récentes démontrent que la légumineuse serait originaire du Guatemala d’où elle serait partie coloniser l’Amérique du Sud et du Nord par le golfe du Mexique. La raison de son nom est que c’est à Lima que les Espagnols l’ont découverte la première fois. Il existe trois variétés de fèves de Lima : 1 grosse fève blanche et deux petites dont l’une est blanche et l’autre, verte. Celle que les Espagnols ont vue à Lima est la grosse blanche qui est en même temps, la plus ancienne variété. Il y a 8 000 ans, cette légumineuse était cultivée à Ancash, au nord-ouest du Pérou. Les archéologues ont trouvé des traces de sa culture chez les Nazca et les Mohicans ; ces tribus les plantaient dans des terres basses qu’ils inondaient par la suite, un peu comme on cultive le riz. La petite fève de Lima serait issue d’une autre plante sauvage domestiquée, au VIIIe siècle de notre ère, par les Mayas du Mexique. Cette petite légumineuse se serait diffusée, par la suite, en Amérique centrale, en Colombie et au Venezuela. Les Espagnols ont évidemment ramené ces fèves de Lima en Europe où on les planta avec succès autour de la Méditerranée.

Ce sont les Écoles d’agriculture québécoises qui les ont plantées, les premières, au Québec, sur la Côte-du-Sud, dans la région maskoutaine, dans les Basses-Laurentides et sur l’ile de Montréal. Il faut se rappeler que ce légume est une plante tropicale et qu’elle a besoin de beaucoup de chaleur et d’humidité. J’ai réussi moi-même la culture des fèves de Lima dans mon jardin familial de la Présentation, en Région maskoutaine. Cette même région de même que la région voisine du Richelieu en ont planté en champ, dans les années 1850, comme solution pour remplacer la culture du blé. Malheureusement, la culture finit par être abandonnée parce que les étés québécois n’apportaient pas toujours la juste quantité de chaleur et de pluie qu’il faut pour la réussite de leur culture. On les trouve aujourd’hui en conserve. Comme elles appartiennent à notre patrimoine depuis plus de 150 ans, il ne faut pas se gêner pour les mettre à notre menu.

Cette semaine, je vous propose plusieurs recettes de légumineuses américaines ; elles sont excellentes pour la santé et permettent de remplacer les viandes. Elles font partie des solutions proposées par les environnementalistes pour protéger la planète car la consommation excessive de viande, en particulier du bœuf, pose plusieurs types de problèmes pour la protection de notre planète. Les Iroquoïens de la Plaine du Saint-Laurent avaient déjà compris cela, au XVIe siècle !

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec