Soumis par Michel Lambert le
Je vous propose, cette semaine, de continuer à parcourir la famille des choux et à explorer les plus grands poissons de notre histoire culinaire millénaire : l’esturgeon jaune et l’esturgeon noir. Ces deux poissons nourrissent les habitants de notre territoire depuis au moins 8 000 ans, comme le démontrent les découvertes archéologiques pratiquées le long de notre fleuve national. Je vous propose de plus, de visiter quelques recettes des cousins de notre chou pommé blanc ou vert, étudié la semaine dernière : le chou rouge, le chou de Savoie, le chou-rave, le chou frisé ou kale, le chou chinois ou napa et le chou de Bruxelles.
Commençons par ces légumes de saison que j’ai toujours plantés dans mon jardin. La plupart de ces choux sont issus d’un ancêtre maritime qui poussait sur les rives des mers européennes comme la mer du Nord, la Manche ou la Méditerranée. C’est lorsque les gens de la Méditerranée ont commencé à le planter dans leur jardin que la plante a commencé à évoluer, avec l’intervention humaine sur ses graines et son environnement. Le chou frisé ou kale est le légume le plus proche de son ancêtre maritime. Le chou-rave est la racine du chou maritime qu’on a développée aux dépends de ses feuilles. Le chou de Savoie et le chou rouge sont des variantes du chou pommé, aussi appelé chou cabus par association avec une tête d’homme. Dans le chou maritime d’origine, il y a du rouge foncé dans les feuilles et beaucoup de plis que les jardiniers ont fini par développer davantage par sélection des plantes possédant le plus, ces caractéristiques, au cours des siècles. Le chou chinois appartient à la grande famille des choux et serait issu du croisement du navet occidental et d’une plante verte comestible de la Chine. On le cultiverait en Chine depuis au moins 7 000 ans. Il fait partie maintenant de toutes les cuisines chinoises et sud-asiatiques. Ce sont les immigrants chinois qui l’ont apporté en Amérique du Nord, lors de leur installation dans l’Ouest américain et canadien, à la fin du XIXe siècle. C’est un légume qui est associé à la cuisine d’automne parce que c’est à ce moment qu’il est à son meilleur. Le chou de Bruxelles est né effectivement dans cette ville. Il est issu d’un phénomène particulier au chou pommé. Lorsqu’on coupe la tête de ce dernier, plusieurs petits choux apparaissent, accrochés après sa racine. Ce sont ces petits choux que les jardiniers bruxellois se sont mis à vendre à leurs concitoyens, au XIXe siècle, pour prolonger la période de vente de leurs légumes, pour augmenter leurs profits. C’est que la ville ne voulait plus leur permettre d’agrandir leurs jardins, suite à l’augmentation importante de leurs citoyens qui avaient besoin d’espace pour s’installer. Tous ces choux sont vendus dans nos épiceries, aujourd’hui. Mais au temps de la Nouvelle-France, seuls les choux-raves, le chou-frisé et le chou rouge étaient présents en plus des choux-verts d’été et des choux blancs d’hiver. C’est du moins ce que nous dit Pierre Boucher, en 1664. Il dit que le chou-fleur n’est pas encore présent au Canada même s’il commence à être présent en France, à cette époque. Comme j’en ai parlé, cet été, je n’en parlerai pas, cette semaine.
Revenons à nos poissons vedettes de cette semaine. L’esturgeon noir est un poisson préhistorique (200 millions d’années) encore présent dans les eaux salées du fleuve Saint-Laurent. Il vit donc la plus grande partie de sa longue vie dans l’Atlantique nord et il vient se reproduire, à maturité, dans l’eau douce du fleuve, entre Québec et Trois-Rivières, de même que dans les rivières de la baie d’Ungava, au Nunavik. Mais c’est entre Québec et Baie-Saint-Paul qu’on en trouve le plus car il vient y élever sa progéniture et l’habituer à l’eau salée. Les travaux sur la Côte de Beaupré ont fortement perturbé sa survie et l’espèce demeure en danger de disparition, dans la région. C’est la raison pour laquelle on ne publicise pas sa pêche et sa vente en poissonnerie. Il existe cependant des pêcheurs commerciaux qui peuvent en prendre des quantités limitées pour son caviar réputé et sa chair qu’on fait fumer avec profit, sur la Côte-du-Sud. Les répertoires culinaires de Charlevoix, de la Côte-de-Beaupré, de l’ile d’Orléans et de la Côte-du-Sud en font plusieurs mentions. On pourra le remplacer, dans les recettes que je vous propose, par de l’esturgeon jaune beaucoup plus abondant dans l’ouest du Québec. Cet esturgeon jaune atteint aussi de grandes tailles dans des grands lacs de l’ouest comme le lac Témiscamingue, les lacs Mistassini, Albanel et Waconichi. Dans les territoires cris, la pêche leur est réservée parce que ce poisson fait partie de leur principal approvisionnement alimentaire. La chair de l’esturgeon est plus ferme que celle des autres poissons les plus connus du Québec. C’est pourquoi on le cuisine davantage comme une viande en le faisant rôtir au four avec des légumes, en le préparant en ragouts, en boulettes ou pains de poisson ou en brochettes, pendant l’été. Les nations autochtones le mangent plutôt bouilli ou poché à feu doux. Mettre de l’esturgeon sur nos tables, c’est exprimer notre attachement pour notre patrimoine culinaire le plus ancien. On commence heureusement à le remettre sur les tables de nos meilleurs restaurants montréalais pour célébrer l’histoire culinaire de Montréal, au temps d’Hochelaga et de la Nouvelle-France. On peut au moins célébrer cette époque en mettant de l’esturgeon fumé au menu de nos entrées du temps des Fêtes.
Sur ce, je vous souhaite une bonne semaine.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec