Parlons aujourd’hui de « petits pois » ou de « pois verts » !

Mon titre veut être fidèle aux appellations réelles de notre territoire. Les Anciens parlent toujours de « pois verts » et non de « petits pois ». Cette dernière appellation française a fini par gagner l’Office de la langue française qui se range toujours du côté du français, dit international, même si ce concept est tout à fait théorique et idéaliste. Vous permettrez au linguiste de formation que je suis d’expliquer mon double choix.

Je suis historien de la cuisine québécoise et je veux être fidèle à notre histoire culinaire avec ses mots et ses recettes. De plus, ce terme de pois verts était aussi utilisé en France et en Nouvelle-France, aux XVIIe et XVIIIe siècles, pour les distinguer des pois jaunes ou blancs qui étaient semés par les fermiers. Les pois étaient alors surtout consommés à maturité ou séchés. Ils étaient donc beaucoup plus durs et plus longs à cuire. Ce sont les cuisiniers italiens de Catherine de Médicis qui apportèrent la consommation des pois encore jeunes, en France. Ces nouveaux pois ont été baptisés les « petits pois » au XVIIIe siècle seulement alors que nos ancêtres avaient déjà émigré au Québec. Par conséquent, l’appellation « pois verts » m’apparait tout à fait logique et fidèle à l’esprit de notre culture qui distingue les pois par la couleur et non par la grosseur. Si on parle de « petits pois », on devrait parler aussi de gros pois pour distinguer les deux. Or, ce n’est pas la grosseur des pois qui les distingue entre eux, c’est la couleur et le séchage ou non. Chez nous, on parlera donc de « pois verts » et de « pois secs verts « ou de « pois cassés verts ». Ce qui est conforme à la réalité. Certaines variétés de « petits pois » sont en fait de très gros pois verts cueillis avant leur maturité. Vous ai-je convaincus ?

Mon propos réel, cependant, n’est pas de vous imposer mon point de vue mais de vous parler de notre relation culturelle avec ce légume. Comme je vous l’ai expliqué dans mon article sur les pois secs, l’hiver dernier, les pois occupent une place prépondérante dans notre culture culinaire d’origine européenne. Nos ancêtres celtes ont apporté les pois avec eux, de leur pays d’origine, l’Asie centrale. On sait que les pois étaient déjà cultivés à Jéricho, au Moyen Orient, il y a 10 000 ans. Et le légume s’est répandu en Europe et en Asie pendant des milliers d’années. Certaines cultures ont développé de multiples variétés de pois qui ont transformé cette plante originaire du Croissant fertile. Je pense aux Italiens et aux Hollandais qui les ont consommés jeunes, à la Renaissance. En France, au XVII e siècle, on consommait déjà les gousses de pois, le printemps, en crudité. On le faisait d’ailleurs aussi au Québec. Mais la plupart des gens ne trouvaient pas cela assez rentable; c’était considéré comme une gâterie inutile ou un gaspillage de riche. Par conséquent, la coutume des pois-mange-tout s’est développée surtout avec l’arrivée de la cuisine américano-chinoise, dans les années 1950. Dans les années 1980, on a vu arriver les « sugar snaps », pois entiers croustillants qu’on pouvait consommer avec la gousse. Mais la grande majorité des lecteurs de ma génération se souviendront surtout des pois verts en conserve, arrivés entre les 2 Guerres mondiales, au Québec. Il ne faut pas oublier que ces conserves avaient besoin d’une main-d’œuvre importante car les pois étaient ramassés et retirés de leur gousse à la main. Cela prenait beaucoup de gestes pour remplir une simple boite de pois de 550 ml ! J’ai, à ce propos, un souvenir mémorable de mon jardin dans le Grand Rang de la Présentation, où, avec mes parents, mon frère et ma belle-sœur, on avait empoté 52 pots Masson de pois après des heures et des heures de cueillette et d’épluchage ! Mais on s’était régalé tout l’hiver de nos récoltes de juillet.

Je vous recommande, aujourd’hui, les pois congelés majoritairement cueillis en Montérégie et qui sont de qualité exceptionnelle. C’est d’eux dont je me sers pour tester les recettes collectionnées partout au Québec. Je vous souhaite un bon voyage dans cette région verte de notre patrimoine.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec