N’oublions pas les fruits de nos étés !

Je parlerai, cette semaine, des fraises, des framboises et de la rhubarbe de mon enfance. L’un des plus lointains souvenirs que j’ai est la cueillette des petites fraises des champs que j’allais faire avec mon oncle Simon, dans les fossés des champs de foin, chez mon grand-père Lambert. J’avais ma petite tasse de granit blanc que j’essayais de ne pas renverser – ce qui m’était arrivé quelques fois, au grand désespoir de mon oncle – pour en ramener suffisamment à la maison pour le souper ou le déjeuner du lendemain matin.

Mon oncle Simon, qui avait 6 ans de différence avec moi, tirait déjà les vaches et me préparait lui-même un bol de lait encore chaud dans lequel il déchiquetait du pain de ménage qu’il saupoudrait de sucre blanc et de petites fraises précieusement ramassées. Quand il en restait, on les mangeait le lendemain matin pour déjeuner, de la même façon. Quand c’était la haute saison, cependant, au début juillet, tous mes jeunes oncles et tantes allaient aux petites fraises pour faire les provisions de confiture pour l’hiver. On ne connaissait pas les fraises de jardin que certains cultivateurs avaient commencé à planter dans leur jardin familial. Si elles étaient rentables pour faire des tartes ou de la confiture, on les trouvait moins bonnes, mangées nature, que les petites fraises, plus sucrées et moins acides que les fraises de jardin. Plus tard, lorsque nous sommes déménagés à Kénogami, ma mère achetait un panier de fraises de jardin avec lesquelles elle préparait un short cake aux fraises dont la recette venait de sa grand-mère Gaudreault qui avait fait un long séjour aux États-Unis, pendant ses premières années de mariage. Le short cake était un gâteau rapidement fait que l’on coupait en deux à l’horizontale, pour le farcir de fraises réchauffées sur le poêle à bois, avec un peu de sucre. On obtenait ainsi un sandwich chaud de fraises sur lequel on mettait d’autres fraises chaudes et un peu de crème douce. Ces deux plats de fraises de mon enfance demeurent mes préférés !

Mes souvenirs de framboises remontent à l’âge de 8 ans lorsque mon père bâtit notre maison familiale à Kénogami, près de la Côte des Meules. Il y avait une voie ferrée, au pied de la Côte des Meules, qui longeait la rivière Saguenay, et qui était notre terrain de jeux. Mes parents nous y amenèrent, mes frères et moi, y ramasser des framboises car il y en avait beaucoup dans les coulées de chaque côté de la voie ferrée. Nous étions bien avertis de surveiller le train qui, parfois, passait par là. Et à l’âge de 11 ans, j’y allais seul avec mon frère Florent faire les provisions de framboises pour l’hiver. Ma mère en faisait des tartes et des poudings lorsque les confitures étaient faites. On y allait quelques matinées par semaine, et au meilleur de la récole, au début du mois d’août, des journées complètes. On s’apportait des sandwichs pour diner afin de ramener une grosse chaudière de framboises, en fin d’après-midi.

Quant à la rhubarbe, on en a toujours eu dans nos jardins. Chez mon grand-père Lambert, la talle de rhubarbe était au milieu du jardin comme une espèce de colonne vertébrale de ce dernier. Le printemps, j’allais en casser avec ma tante Léda pour faire de la compote ou de la confiture verte. Chez mon grand-père Ouellet, on faisait deux sortes de confiture de rhubarbe : une première, le printemps, qui était mangée tout le long de l’été, et une autre, l’automne qui n’avait pas la même couleur. Ma grand-mère coupait la rhubarbe en petits bouts qu’elle faisait sécher sur du papier journal, pendant au moins une semaine, avec laquelle elle faisait ensuite, avec de la cassonade, une confiture brun roux, beaucoup plus épaisse que la confiture de printemps, verte et plus liquide. On mangeait cette confiture, en hiver, avec des gâteaux à la mélasse.

Lorsque j’ai fait ma recherche dans toutes les régions du Québec, j’ai fait la découverte de beaucoup d’autres recettes de desserts avec ces fruits patrimoniaux. Je vous en donne quelques-unes, cette semaine. Je vous rappelle que les desserts du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle n’étaient pas consommés tous les jours, mais seulement les dimanches, et quand il y avait des restes, le lundi soir. Le sucre était donc consommé modérément à cette époque, comme il est recommandé de le faire aujourd’hui par les scientifiques de l’alimentation.

Je vous souhaite une semaine fruitée.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec