Soumis par Michel Lambert le
Dans l’esprit de beaucoup de Franco-québécois, les Anglais sont nos conquérants de 1760 et les éternels ennemis de la France, le pays de nos ancêtres. Mais la vérité historique nous oblige à considérer notre rapport avec l’Angleterre comme une grande chicane de famille. Au début de notre ère, l’Angleterre était peuplée, comme la France, par les Celtes bretons. Elle partageait un dialecte et une cuisine celtique avec les autres tribus établies en Écosse et en Irlande et dans tout l’Ouest de la France : importance des céréales, en particulier du blé, de l’orge et de l’avoine; élevage du bœuf, du porc et du mouton; jardins de légumineuses, de chou et de légumes-racines, croyances et fêtes religieuses druidiques pour encadrer le tout. Mais au début de notre ère, l’Empire romain faisait la conquête de l’Angleterre tout en apportant, comme en France, son écriture et sa culture culinaire raffinée. De nouveaux plats, de nouveaux rituels reliés aux religions de Rome pénétraient l’Angleterre sans toucher à l’Écosse et à l’Irlande. Au début du Moyen Âge, les tribus germaniques envahissaient la France et l’Angleterre, chassant les Romains de France et d'Angleterre. En France, c’était les Francs et les Vikings; en Angleterre, c’était les Angles, les Saxons et les Vikings. Tous ces peuples amenaient leurs préférences alimentaires qui allaient changer la cuisine celto-romaine des deux côtés de la Manche. Au VIIe siècle, l’Angleterre était christianisée par des moines d’origine irlandaise et écossaise. Au XIe siècle, les Normands faisaient la conquête de l’Angleterre en amenant leur cuisine déjà installée en Normandie, avec son gout des produits laitiers comme le beurre, le fromage, les charcuteries comme le jambon, le bacon, le boudin et les saucisses. Les Normands allaient régner en Angleterre pendant 300 ans, en vivant à la normande et en parlant le normand, un dialecte français. Suite à cette conquête, la France sera intimement liée à l’Angleterre par Henri Plantagenet, comte d’Anjou, petit-fils d’Henri 1er d’Angleterre, dernier fils de Guillaume le Conquérant. Sa femme, Aliénor d’Aquitaine, lui apportera toute cette région importante de la France dont le centre est Bordeaux.Ainsi, l'Angleterre possédait pratiquement tout l'Ouest de la France,des Pyrénées à l'Écosse. Au milieu du XIV e siècle commençait la Guerre de Cent ans qui se terminerait avec le retour à la France des terres léguées aux Anglais par héritage, Tout le monde connaît la participation de Jeanne d’Arc à cette guerre, en 1429, et la fin de la guerre en 1453, gagnée par le roi de France, Charles VII. Mais les siècles suivants ont vu de nombreuses guerres et rivalités se bâtir entre les deux pays. Le Québec et le Canada ont été mêlés intimement à ces rivalités. Nos ancêtres français sont devenus définitivement sujets du roi d’Angleterre en 1760. Depuis ce temps, les deux communautés ont cohabité sur notre territoire en s’influençant réciproquement. L’héritage culinaire anglais a commencé à se faire sentir d’abord dans les cercles administratifs de la colonie où les Franco-Québécois travaillaient comme clercs. Les servantes et les cuisinières des maisons bourgeoises anglaises ont aussi rapporté plein de recettes anglaises données par les maitresses de maison anglaises. Mais, c’est surtout au XIXe siècle que la culture culinaire anglaise est entrée massivement dans nos mœurs lorsqu’une grande partie de notre population est allé travailler dans les manufactures de coton et les chantiers forestiers de la Nouvelle-Angleterre. Lorsque des usines se sont ouvertes dans le sud-ouest de Montréal, plusieurs familles d’ouvriers de langue anglaise et française ont commencer à se fréquenter assidument. Beaucoup de mariages ont uni nos destinées. C’est à ce moment-là que nous avons adopté presque tous les desserts anglais, les rosbifs, les steaks, les ketchups, les relish, l’amour des huitres, des vins liquoreux, des bonbons anglais, etc.
Je vous fais connaître notre interprétation du rosbif anglais, cette semaine, avec plusieurs idées pour récupérer les restes en entrées et en plats principaux. Ce ne sont pas des recettes compliquées mais que chaque famille a pu interpréter à sa manière, au cours du dernier siècle.
Les Autochtone faisaient un plat très semblable avec leur gros gibier dont la communauté francophone a largement hérité : les rosbifs autochtones étaient plutôt grillés sur la braise mais mangés tendres et saignants comme maintenant, aux dires des premiers témoins français de leur culture culinaire. Je vous en donne une interprétation personnelle au four avec la recette crie appelée mistous atik wiyas (rôti de viande de caribou).
Le boeuf n'a pas bonne presse, aujourd'hui, pour des considérations écologiques et des raisons de santé, selon certaines études scientifiques. L'étude de notre patrimoine lui donne une place modérée dans notre menu. Et son élevage à l'herbe, en plein champ, en faisait une viande plus maigre mais moins tendre que maintenant. Aussi, la sagesse veut qu'on réduise sensiblement la consommation de rosbif sans toutefois l'éliminer de notre vie complètement. Il y a moyen de manger plus de gros gibier sauvage et d'élevage, tout aussi tendre que le boeuf et moins nocif pour l'environnement. On peut aussi réduire la quantité des portions. Toute cette réflexion et ces choix vous appartiennent. Mon propos n'est pas de vous présenter un régime alimentaire quelconque mais de vous faire connaitre nos choix culinaires, par le passé, pour leur assurer une continuité identitaire, dans le futur, en tenant compte des nouvelles conditions de vie et des nouvelles connaissances.
Michel Lambert