Soumis par Michel Lambert le
Les média parlent beaucoup des changements climatiques qui transforment notre planète. Ce sont les régions nordiques qui en subissent le plus les conséquences. Le Québec comprend une importante portion de son territoire atteinte par ces changements. Le perlégisol sur lequel sont construits les villages inuit et toutes les infrastructures industrielles et gouvernementales du Canada est en train de fondre et de menacer leur existence à cause, entre autres, des gaz carboniques qu'il dégage en fondant. La disparition des glaces menace le futur des ours polaires et modifie le comportement des mammifères marins. Cette disparition des glaces amène une présence accrue des navires trans-océaniques qui y voient la possibilité de gâgner plusieurs jours de navigation entre l'Atlantique Nord vers l'Asie. En résumé, le Nord du Québec est manifestement le plus touché par les changements climatiques. Mais il est important de savoir que ce ce n'est pas la première fois que cela se produit au Nunavik. La Préhistoire du Québec raconte que certains peuples sont disparus, chez-nous, à cause des changements climatiques. Le froid a dégarni leur garde-manger initial de sorte que certains d'entre eux n'ont pu s'adapter à ces changements. Faisons le résumé, aujourd'hui, des cultures nordiques de notre territoire, en particulier du point de vue de la cuisine, puisque c'est la spécialité de ce blogue. Je vous rappelle ici des textes que j'ai déjà fait paraître sur l'héritage des Inuit.
Les peuples qui habitèrent le Nuvavik, le Labrador et même la Basse Côte-Nord venaient tous de l’Asie du Nord-Est et de l’Alaska. Ils ont donc apporté des techniques alimentaires qui sont les cousines des Japonais, des Coréens et des peuples asiatiques du Nord-Est de la Russie actuelle. Mais le climat de l’Arctique n’a pas toujours été le même ; ce qui obligea ces peuples à s’adapter pour survivre aux changements climatiques.
Lorsque les Pré-Esquimaux ou Pré-Dorsétiens sont entrés dans le territoire, il y a 4 000 ans, les conditions de vie étaient plus faciles que maintenant. La plupart des anthropologues estiment que ces gens seraient disparus du Nunavik, il y a 2 500 ans à cause d’un refroidissement du climat commencé il y a 3 400 ans, jusqu’à 1 900 ans avant aujourd’hui. Les changements climatiques auraient modifié la distribution du garde-manger et privé ces gens de nourriture. On n’a pas trouvé de preuve d’occupation du Nunavik entre 2 500 ans et 2000 ans avant aujourd’hui.
Ce n’est qu’il y a 2 000 ans que seraient entrés les Dorsétiens sur notre territoire. Ils étaient habitués à un climat froid. Leur civilisation plus avancée que la précédente aurait pénétré toutes les côtes du NunaviK, du Labrador, de la Basse-Côte-Nord et du nord de l’ile de Terre-Neuve. Ce sont eux qui vont faire la première vaisselle du Nunavik pour cuire leurs aliments et s’éclairer ; ce sont des plats rectangulaires sculptés dans de la stéatite ou pierre à savon. Par la suite, on créera d’autres types de contenants et d’objets artistiques à caractère shamanique dans l’ivoire, l’andouiller, le bois, le schiste ou le chert. Le garde-manger dorsétien était principalement maritime : on chassait surtout les phoques, les morses et les bélougas. À leur arrivée dans le Nunavik, comme le morse était très abondant et que cet animal fournit beaucoup de viande, les Dorsétiens auraient eu du temps pour développer une expression artistique originale par la sculpture. De plus, l’obligation de chasser ces animaux en groupe aurait développé une plus grande cohésion sociale. Cette cohésion a aussi permis de chasser les caribous lorsque ces derniers faisaient leur grande migration annuelle. En saison, on chassait aussi les lagopèdes, les lièvres arctiques et l’on pêchait les ombles de l’Arctique et le saumon, en baie d’Ungava et au Labrador. Au XII e siècle, les Dorsétiens vivaient dans de grandes maisons à demi-sous-terraines de 12 à 35 mètres de long par 4 à 6 mètres de hauteur, séparées d’une dizaine d’espaces familiaux. Ces grandes maisons étaient entourées de bâtiments secondaires qui cachaient de la nourriture pour les autres saisons où la nourriture pourrait manquer.
Les Thuléens, ancêtres des Inuits actuels du Nunavik, auraient mis le pied au Nunavik, il y a 750 ans. C’est aussi un changement climatique qui aurait amené ces gens dans notre territoire. Un réchauffement climatique aurait fait fondre les glaces de l’Arctique. lequel aurait changé le comportement des mammifères marins de l’Arctique. Les Thuléens étaient spécialisés dans la chasse à la baleine en haute mer. Ils avaient des embarcations de 7 à 9 mètres de long par 2 mètres de largeur qui leur permettaient, à plusieurs, de tuer de grosses baleines qui pouvaient les nourrir plusieurs jours. Lorsque le contact entre les Thuléens et les Dorsétiens se fit, il y a sans doute eu des échanges techniques, des luttes de territoire, et des assimilations par le métissage des peuples. Quoi qu’il en soit, le refroidissement subséquent du climat favorisa les Thuléens qui développèrent une technologie plus efficace pour lutter contre les froids intenses de l’Arctique. Ce sont eux, par exemple, qui inventèrent l'iglou. Les Thuléens abandonnèrent la pierre sculptée au profit de la pierre polie et d’outils en os et en ivoire. Ils réintroduisirent l’arc et les flèches que les Dorsétiens avaient abandonnés. Mais ils conservèrent la vaisselle en stéatite en arrondissant les plats dorsétiens rectangulaires.
Les Vikings eurent des contacts avec les Dorsétiens du Labrador, de la Basse-Côte-Nord et de la Baie d’Ungava, vers l’an 1 000. Ces rencontres ont fait connaitre l’utilité du fer dans les outils de chasse et pêche, dans certaines communautés dorsétiennes, mais n’eurent pas de véritable effet sur l’ensemble du Nunavik. Il fallut attendre l’arrivée des missionnaires et des postes de traite tenus par des Blancs pour voir introduire de nouvelles techniques culinaires et de nouveaux aliments d’origine américaine et européenne dans la région. Le premier poste de traite date de 1750, au lac Guillaume Delisle. La première mission morave date de 1811, à l’embouchure de la rivière Koksoak qui se jette dans la baie d’Ungava, près de Kuujjuaq. Suivit l’implantation de postes de traite tenus par les compagnies de La Baie d’Hudson et de Révillon Frères.
Les espèces consommées à toutes les époques par ces 3 cultures restent le phoque annelé, présent à l’année longue dans le territoire, le phoque du Groenland et le phoque barbu. De façon saisonnière, on consommait tous du bélouga et du morse. Au niveau terrestre, le caribou a été consommé à toutes les époques, par toutes les cultures. De façon secondaire, on a consommé le boeuf musqué et l'ours polaire. En saison, on consommait les poissons du territoire, les baies, les saules nains et les algues. On sait aussi que tous ces peuples adoraient les moules, les palourdes et les pétoncles.
Quant à la consommation des denrées, ce qu’il faut retenir de ces cultures culinaires du nord, ce sont les aliments consommés crus, gelés, séchés et fermentés 3 mois dans de la mousse. On met aussi des viandes et des plantes dans de l’huile de phoque pendant 7-8 mois. Lorsqu’on cuit les aliments, ce sont des cuissons lentes sur des feux de lampe à l’huile. On parle surtout de pochage et non de bouillage d'aliments. En résumé, l’héritage principal des Inuit est la consommation de la viande ou du poisson cru : ce que nous appelons, par ignorance de la culture inuit de chez nous, des sushis, des tartares ou des carpaccios.
Pourquoi ne pas remettre à l'honneur cette cuisine du poisson et de la viande crue, à l'occasion des fêtes qui approchent. Façon de nous rappeler que notre cuisine est aussi une cuisine du Grand Nord! Nos rencontres peuvent aussi être une occasion de réfléchir sur la manière de nous préparer aux conséquences du grand changement climatique qui s'amorce, sur notre planète. Les Inuit peuvent grandement nous le confirmer.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.