Soumis par Michel Lambert le
J’ai mangé ma première salade de betteraves à l’âge de 15 ans, chez mon chef scout de Jonquière qui voulait souligner le temps des Fêtes. Quand j’étais chef cuisinier, mon assistante Lucie me raconta que la salade de chou aux betteraves faisait toujours partie du réveillon de Noël que sa grand-maman Gagnon préparait pour accompagner la tourtière saguenéenne.
Mais chez moi, la betterave se consommait principalement vinaigrée. On la mettait dans le vinaigre pour l’hiver, avec une cuiller de sucre par pot. Et lorsque les betteraves étaient fraichement cueillies du jardin, ma mère les préparait en sauce avec le jus de cuisson des betteraves, de la fécule de maïs pour épaissir la sauce, du beurre, du sucre et du vinaigre blanc. Sa mère et sa grand-mère faisait cela, semble-t-il. Or j’ai appris, plus tard, en feuilletant le livre de recettes Purity, que la recette était connue au Canada entier et qu’elle était originaire de la Nouvelle-Angleterre où mon arrière-grand-mère avait séjourné pendant plusieurs années, à la toute fin du XIXe siècle. Avait-elle rencontré cette recette dans la région de Boston et transmise à ses filles ? Ou ma mère l’avait lue dans le livre de recettes Purity paru en 1932 ? Je ne saurais dire. La recette s’appelle Betteraves à la Harvard parce que sa couleur ressemble aux briques de l’université Harvard de Boston. Par conséquent, les 2 origines (livre de recette ou séjour dans la région de Boston) sont possibles et me font rêver aux nombreux voyages sans frontières que font toutes les recettes du monde.
Quand j’étais étudiant en France, j’acceptai, un week-end, l’invitation d’un confrère d’études originaire de la Bourgogne. Il me fit visiter la ferme de ses parents, et il m’amena dans la cave où ils entreposaient des tas de grosses betteraves que nous avons fait cuire, tard le soir, en guise de souper. J’ai un magnifique souvenir des betteraves à l’ail que j’y ai goûtées pour la première fois de ma vie. J’ai ramené la recette chez ma mère et l’ai transmise à toute ma famille. L’ail se marie aussi bien avec les tranches de betteraves chaudes qu’avec la salade de betteraves froides avec un peu d'huile d'arachide ou de noix, sans vinaigre.
En faisant le tour du Québec, j’ai découvert des dizaines de recettes de salades et de soupes de betteraves. C’est un légume qui pousse confortablement chez tous les peuples du Nord, de la Russie à l’Islande, et qui a généré plusieurs centaines de recettes en Europe et en Amérique, depuis la Préhistoire où on la consommait sauvage, en Mésopotamie. Ce sont les Romains qui l’ont diffusée dans le nord-ouest et nord-est de l’Europe, il y a plus de 2 300 ans. Et nous les plantons au Québec depuis au moins 1632, comme nous le faisions encore dans les années 1950, de Sept-Iles à Matagami. Mettons-la au menu plus souvent, crue ou cuite, blanche, jaune ou rouge bourgogne, parce que c’est un légume environnemental qui convient bien à notre territoire nordique et qui est fidèle à notre patrimoine européen.
Bonne semaine à tous.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.