Les plats les plus typiques du Québec No 3

En poursuivant notre tour d’horizon des plats typiques du Québec avec des produits aquatiques, je vous propose de commencer avec des plats liquides  autres que la gibelotte, la bouillotte et la gargotte traités dans l’article no 1. Les plats que je traiterai sont en général des plats du quotidien.

Le poisson bouilli a une histoire plus que millénaire, chez nous. Les archaïques du Québec faisaient déjà ce plat, il y a 8 000 ans. On faisait bouillir ses aliments dans des plats carrés d’écorce de bouleau, cousus avec de fines racines d’épinette et étanchés avec de la gomme de sapin. L’opération consistait à faire d’abord un feu dans lequel on déposait des galets de la grosseur de la paume de la main, à déposer le poisson évidé coupé en morceaux de 4-5 cm d’épaisseur, à les couvrir d’eau douce ou saumâtre selon les lieux, et à plonger les pierres chaudes dans cette eau de cuisson à l’aide de 2 bâtons verts. Le temps de cuisson dépassait rarement les 30 min. Selon les témoins de l’époque, cette technique de cuisson appartenait seulement aux nations algonquiennes du Nord. Ce mode de cuisson fut remplacé par les chaudières de métal lorsque les Européens se sont installés au pays, il y a 400 ans. D’autre part, les nations de langue iroquoïenne qui habitaient la plaine du Saint-Laurent faisaient bouillir leur poisson dans de l’eau d’abord réchauffée dans des pots de céramique. Aucun assaisonnement n’était mis dans ces eaux pour aromatiser le poisson mais on lui ajoutait, la plupart du temps, de la farine grossière de maïs. Lorsque les Algonquins connurent le maïs séché ou lessivé, ils se mirent à en ajouter à leur poisson. Ce plat s’appelait, chez eux, un migan.

Ce qui n’était pas du tout le cas des Français qui ajoutaient toujours du sel, du poivre, de l’oignon comme base et la plupart du temps des racines, des feuilles ou des herbes aromatiques. Les pêcheurs français qui venaient pêcher la morue sur nos côtes prenaient toujours le temps de se semer des herbes dans la bonne terre qu’ils trouvaient dans le haut des grèves où ils demeuraient une partie de l’été pour faire sécher leur morue. De plus, certains pêcheurs apportaient même un peu d’épices pour parfumer leur poisson (clous de girofle, muscade, clous ronds ou piment de Jamaïque). L’eau était d’abord un mode de cuisson pour les autochtones; ils ne la buvaient pas au repas mais en fin de repas, comme on prend un café, aujourd’hui, ou pendant la journée, comme boisson chaude. Pour les Français, le bouillon de cuisson faisait partie du plat; on ajoutait des biscuits matelot apportés de France pour lui donner plus de consistance. De leur côté, les Inuit ajoutaient parfois des algues hachées pour aromatiser leur poisson bouilli qu’ils consommaient aussi en même temps; c’était des Alaria pylaii (kibilassat), des Ascophyllum nodosum et des Fucus vesiculus (misarqat). Lorsque les gens s’installèrent définitivement dans les régions périphériques de la Plaine du Saint-Laurent, à parti de 1830, l’eau de cuisson du poisson n’était pas toujours gardée et bue au repas. On la jetait et on utilisait le poisson cuit débarrassé de ses arêtes et de sa peau dans d’autres plats comme des gratins, des casseroles, des fricassées, des galettes ou croquettes, etc. On servait aussi ce poisson bouilli avec une sauce aux œufs, au citron ou aux herbes comme le persil, le cerfeuil ou la petite oseille sauvage. Au Nunavik et dans le nord du Québec, chez les Cris et les Naskapis, on servait le poisson bouilli avec des petits fruits nature. En résumé, on allait désormais faire la différence entre un « poisson bouilli » et un « bouilli de poisson ».

Les bouillis de poisson de mer sont aussi des plats de notre patrimoine. Ils contiennent au minimum des oignons et des pommes de terre, et dans certains coins, les légumes frais du jardin, car on les fait traditionnellement surtout en été, au temps de la pêche. Là où l’on salait de la morue, c’était davantage la tête, le got et la nauve de la morue qu’on faisait cuire car les filets étaient le gagne-pain de la famille. Les autres bouillis de poisson se faisaient, un peu partout, avec du maquereau, de l’anguille, du hareng avec leurs raves, de l’éperlan, de la sardine, du sébaste aux Iles-de-la-Madeleine, de la loche (ogac) sur la Côte-Nord, de la merluche chez les Malécites du Bas-Saint-Laurent, du loup de mer (qeeraq)  et du flétan du Groenland (nataarnaq), au Nunavik, en compagnie de macaronis plutôt que de pommes de terre. Plusieurs bouillis de poisson se faisaient avec des petites pommes de terre (gorlots ou patates germoulées), non pelées mais coupées aux deux extrémités et arrosées de vinaigre au moment du service. On fait, en hiver, du bouilli de poisson salé. Il faut se rappeler que c’était, avant l’arrivée des réfrigérateurs, le seul moyen de faire des réserves de poisson, particulièrement dans les lieux où il y avait des dégels fréquents et imprévisibles. Les bouillis de morue salée, de flétan du Groenland salé, de saumon salé, de hareng et de sardine salés, d’esturgeon jaune salé étaient historiquement les poissons salés les plus consommés. On les  préparait avec des légumes racines, du chou et/ou des pommes de terre, souvent accompagnés de grillades de lard salé, les jours gras et presque toujours parfumées par des herbes salées. On les arrosait parfois de vinaigre. On les couvrait parfois de grands-pères. On

Les bouillis de gibier marin sont plutôt des plats autochtones qu’européens. On leur ajoute, aujourd’hui, des pâtes alimentaires, du riz, des sachets de soupe et quelques légumes racines. Au Nunavik, on les a fait jusque dans les années 1950, avec de la baleine, du phoque. Sur la Côte-Nord, on les faisait avec les mêmes mammifères marins et les pourcils (marsouins noirs). Les Micmacs faisaient des bouillis de bélouga. Sur la Côte-de-Gaspé, on faisait des bouillis de marsouin noir au nez blanc épaissis avec du gruau d’avoine. Dans le Bas-Saint-Laurent, les Malécites faisaient du jambon de bélouga qu’ils préparaient en bouilli avec des légumes et du bouilli de loup-marin en compagnie de pâtes mouchoir. Au Nunavik, on fait aussi des bouillis d’épaulards (arluk), de narval (allanguuaqaq), de phoque annelé (natsiq) aux légumes-racines,  de phoque barbu (udjuk ou ujjuq) aux légumes, d’oie blanche aux légumes et pommes de terre,  de cygne aux pommes de terre (rare), de goéland aux oignons (rare aujourd’hui),  de légumes au bec-scie à poitrine rousse, de guillemot (appaq) aux oignons, de plongeon ou huard (tulli, kallutik, quarsauq) aux légumes.

Les Quiaudes sont les plats bouillis les plus typiques de la Gaspésie. On les appelle aussi des quiaules, des tchaudes, des tiôrres, selon les villages ou les familles.  Elles sont différents diminutifs du mot « chaudière » prononcé de différentes façons par les pêcheurs d’origines diverses, établis à Paspébiac, dans la Baie-des-Chaleurs. Le plat se rencontre aussi sur la Côte-Nord et dans les endroits où les Acadiens se sont réfugiés, en Nouvelle-Écosse. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, on les faisait principalement avec des têtes de poisson comme la morue, le saumon et le flétan – le poisson lui-même était mis dans le sel -- de même qu’avec d’autres parties du poisson comme les langues de flétan de l’Atlantique, les nauves de morue, les foies de morue. Le plat se fait, aujourd’hui, avec des filets ou des darnes de poisson frais ou salé, du maquereau, du hareng et des coques. Il existe plusieurs recettes de quiaudes : on associe le poisson à des pommes de terre et de l’oignon coupés en lamelles ou en dés, auxquels on ajoute de l’eau, des herbes salées ou de la sarriette du jardin et qu’on fait cuire pendant presqu’une heure. En fin de cuisson, on épaissit la quiaude avec un mélange de farine blanche ou grillée et d’eau froide qu’on verse dans la soupe pour l’épaissir. Le plat se sert en assiette creuse et tient lieu de repas.

Les Cambuses se font dans la Baie-des-Chaleurs et un peu, sur la Pointe-de-Gaspé. Le terme lui-même est un vieux mot français connu principalement des marins français du Nord-Ouest, d’où viennent la majorité de nos ancêtres. La cambuse était une cabane rudimentaire que les pêcheurs se construisaient sur la grève pour y dormir et y faire les repas. Le terme donné à notre plat vient sans doute du fait que c’était le plat principal que l’on servait dans cette cambuse. Le plat ressemble à la quiaude de tête de morue mais comprend, en plus, la nauve de la morue (son arête principale avec la chair ferme du poisson tout autour, à laquelle est attaché le got de la morue, son estomac évidé et nettoyé. La semaine, on mangeait la cambuse sans farcir le got. Le dimanche, le got était farci de pain, de langue de morue, de foie de morue haché, d’œuf, de lait et d’herbes salées.  On cousait le got avec du fil pour empêcher la farce de sortir.

Les bouillis de poisson d’eau douce se font dans les régions forestières du Québec de même que dans la plaine du Saint-Laurent. On les prépare un peu comme les bouillis de poissons marins, avec des pommes de terre et les légumes habituels du jardin, parfumés aux herbes fraiches, séchées ou salées. Les principaux poissons choisis sont la truite mouchetée (omble fontaine), le corégone, le meunier ou carpe, la ouananiche, le brochet, le doré, le maskinongé, l’anguille et l’esturgeon jaune. Mais il y a quelques recettes régionales qui méritent notre attention. Les Naskapis font un bouilli de poisson au curry qui s’appelle namash keya-ta-pwa-pen.  Dans le Nord-Ouest du Québec, les Cris font un bouilli de carpe (meunier) au lard salé et pommes de terre. Les Innus de Mashteuiatsh font un bouilli à la ouananiche ou au brochet avec oignons et pommes de terre qu’ils font cuire au moins 3-4 h et dont ils écrasent les arêtes du poisson avec une fourchette, en fin de cuisson, pour pouvoir profiter de leurs bienfaits. Les gens de la Mauricie faisaient, autrefois,  un bouilli de maskinongé salé aux légumes. En Matapédia, on fait un bouilli de saumon, gorlots non pelés et têtes de violon blanchies au préalable pour les empêcher de foncer le bouillon du bouilli. Dans le Témiscouata, on fait un bouilli de pointu (corégone) qu’on défait pour enlever la peau et les arêtes et le mélanger à des oignons rôtis dans le beurre et du lait chaud. Chez les Métis, ce plat est considéré comme un moyen de se détendre avant d’aller dormir. Dans la région de Portneuf, on fait un bouilli au doré en ajoutant du clou de girofle dans le plat. Dans la région de Montréal, le bouilli d’esturgeon jaune aux légumes est enrichi de lait, en fin de cuisson. Dans le Haut-Saint-Laurent, le bouilli de maskinongé est épaissi avec des pâtes mouchoir et adouci avec de la crème, en fin de cuisson.

Le saumon poché au lait nous vient de Charlevoix. Il a probablement été apporté dans la région par les militaires écossais qui s’y sont établis, après 1760, puisqu’on trouve la même recette dans les High Lands écossais. Le poisson doit à peine frémir dans un lait chaud sans jamais bouillir. On parfume ce lait avec de la ciboulette, du cerfeuil ou du persil haché. La recette a traversé sur la Côte-Nord, au Saguenay-Lac-Saint-Jean et en Gaspésie où les gens de Charlevoix ont émigré, au milieu du XIXe siècle. À Tadoussac et au Bas-Saguenay, on parfume même ce plat avec de la livèche écossaise ou de la salicorne, qu’on appelle du persil sauvage ou de la passe-pierre, sur place.

La fricassée de pommes de terre au poisson est l’un des plats les plus courants du menu quotidien d’autrefois, en particulier, les vendredi midis, Le terme fricassée est un vieux mot normand apporté par nos ancêtres. Les Jersiais immigrés au pays, aussi d’origine normande, prononçaient « fricachiées ». Mais c’était la même recette. Le terme vient du mot latin fricare qui voulait dire frotter en français. Dans une fricassée, on doit toujours frotter ou frire un aliment dans un corps gras avec de l’oignon avant d’ajouter du liquide à égalité de l’aliment. C’est ainsi qu’une fricassée de pommes de terre se démarre : dans de la graisse de lard salé ou du beurre, les jours maigres, nos grands-mamans commençaient toujours par faire frire des pommes de terre en dés ou en lamelles avant d’ajouter de l’eau à égalité. Après un certain temps, la fécule contenue dans la pomme de terre épaississait légèrement le plat. C’est à ce moment-là qu’on mettait du poisson sur le dessus de la fricassée, le couvercle posé sur le plat, afin de le cuire à la vapeur, quelques minutes seulement. Dans Charlevoix, la fricassée en question portait aussi le nom de chiard de goélette, de bigoune ou bouillotte ou soumis si on la faisait cuire longuement au four plutôt que sur le feu. On la faisait principalement avec de la morue, de la sardine et du rareng dessalés pendant au moins 12 heures, dans de l’eau froide que l’on changeait 2-3 fois pour dessaler les poissons convenablement. On  la faisait aussi avec du petit poisson fraichement pêché comme l’éperlan, le capelan, le hareng ou la petite truite de ruisseau de même qu’avec des tranches d’anguille ou des filets de brochet. Dans le Haut-Saint-Laurent comme dans Charlevoix, on ajoutait parfois des noix de beurre, du persil et un peu de lait chaud sur le poisson. Sur la Côte-du-Sud,  on ajoutait de la moutarde sèche et du thym à l’eau de cuisson. Dans la bigoune de Charlevoix, on ajoutait du beurre et des tomates aux pommes de terre avant de pocher la petite truite.

Le hachis au poisson est un plat qui ressemble beaucoup à la fricassée de poisson parce qu’il comprend aussi des pommes de terre en dés ou en lamelles et de l’eau à égalité des pommes de terre. Mais le hachis n’est pas vraiment parti avec un corps gras et de l’oignon que l’on fait d’abord frire. Il est plutôt constitué d’un reste de viande ou de poisson cuit avec son jus de cuisson auquel on ajoute des pommes de terre en élément principal puis éventuellement un ou deux autres légumes, des épices ou des herbes pour donner du gout. Les hachis sont surtout faits avec des restes de viande. Mais on les fait aussi, selon mon enquête, avec de la morue dessalée, des langues de morue frites, du saumon rôti ou grillé, de la perchaude et même du homard, en Basse-Côte=Nord. Au Saguenay, on faisait autrefois du hachis de saumon salé. Au lac Saint-Pierre, on ajoute quelques cuillerées de ketchup au hachis de perchaudes. Le hachis au saumon fait dans la Baie-des-Chaleurs par les familles d’origine écossaise s’appelle un Tweed kettle.

Je vous invite, en conclusion, à retrouver ces plats de poisson de chez nous qui faisaient nos vendredis d’autrefois.

Michel Lambert

 

 

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