Le temps des Fêtes, en 2021-2022

Que signifie le temps des Fêtes, pour les Québécois, cette année ? 

Il ressemble, malheureusement, au temps des Fêtes vécu par ceux qui ont subi la guerre dans leur pays d'origine, ou les plus vieux d'entre nous qui ont connu la Deuxième Guerre mondiale. Notre nouvel ennemi est le plus insidieux de tous et nous menace encore plus lorsque nous nous rapprochons des êtres humains, particulièrement de ceux qui nous sont chers. Le message principal de nos dirigeants est d'éliminer tout contact avec ceux qui ne vivent pas avec nous, même s'ils nous sont les plus chers. Ce repli collectif sur soi, ces temps de solitude forcée nous incitent à réfléchir encore plus sur le sens de Noël et du Premier de l'An, en 2021-2022.

Permettez-moi de vous partager, aujourd'hui, quelques réflexions qui me sont venues, après presque 50 ans de recherche en cuisine familiale québécoise. Les fêtes de Noël et du Premier de l'An sont dans les faits, le souvenir très lointain d'un même grand moment de l'année, célébré par nos ancêtres européens, soit le solstice d'hiver. Ce jour-là se caractérise par la nuit la plus longue de l'année, où le soleil, sa lumière et sa chaleur sont le moins présents de l'année. Mais dès le lendemain du solstice, le soleil augmente sa présence de quelques secondes, et ainsi de suite tout le long de l'hiver jusqu' au jour le plus long de l'année, au solstice d'été, que nous célébrons nationalement, le 24 juin. En résumé, les deux fêtes sont issues d'un changement climatique millénaire. Nos ancêtres lointains qui vivaient beaucoup dehors, sans autre éclairage que le feu qui leur rappelait la présence du soleil, étaient beaucoup plus attentifs que nous aux variations importantes du climat de notre planète. Alors que le climat de notre planète fait partie de plus en plus de nos préoccupations, n'est-il pas temps de retrouver le sens premier de cet événement climatique?

Pour les plus vieux d'entre nous, Noël est la version religieuse du solstice d'hiver. On ne connait pas la date exacte de la naissance de Jésus, mais l'Église catholique décida, de la situer le 25 décembre, au IVe siècle de notre ère, pour en même temps christianiser la fête du solstice fêtée par les peuples de l'empire romain. On disait alors que Jésus était la lumière apportée au monde, qui le sortirait du mal et de la grande noirceur. Et l'on symbolisait ce petit enfant par une petite lumière, comme celle d'une chandelle, que nous illustrons aujourd'hui, par les petits globes de Noêl que nous accrochons dans nos arbres ou sur nos maisons. La fête religieuse de Päques illustre le même symbole avec son "lumen christi" chanté trois fois par le célébrant de la messe de Pâques, la nuit de Päques. Le Jour de l'An est, de son côté, le rappel laïc de cette fête climatique. Chez nous, Noël se fêtait jadis en famille alors que le jour de l'An se fêtait en famille élargie, avec les voisins, le village et le pays tout entier. Et bien sûr, les repas de Noël et du Premier de l'An étaient une partie importante des célébrations. Voyons nos choix les plus importants de notre tradition culinaire.

Pourquoi le porc et les gros oiseaux étaient-ils les aliments choisis pour fêter le solstice? Parlons d'abord du porc. Les peuples européens sont d'origine indo-européenne et pratiquent l'élevage du porc depuis au moins 10 000 ans. Ils l'amenèrent avec eux lors de leur longue migration vers les pays actuels d'Europe de l'Ouest, comme la France ou le Royaume-Uni. Les Celtes qui peuplèrent et marquèrent ces pays vouaient un très grand culte au porc. Leurs grands-prêtres, les druides, vivaient avec eux dans des forêts de chêne. Les glands de chêne conféraient un goût exquis au porc qui était abattu, avec la venue des grands froids, avant le solstice de l'hiver. Le porc, avec son gras, était considéré comme le meilleur moyen de lutter contre le froid (ce que la science a d'ailleurs démontré). Par respect pour le porc, on le cuisinait au complet. Les Celtes et les peuples germains comme les Francs ou les Vikings ont développé, au fil du temps, de nombreuses recettes pour mettre à l'honneur toutes les parties du porc: rôtis de porc, jambon, boudin (sang de porc), tête fromagée, ragoût de pattes, tête fromagée, graisse de rôti, saucisses de porc, foie de porc en pâté ou mousse, langue de porc vinaigrée, oreilles de crisse, grillades de lard salé, pâtés à la viande ou tourtières, râpure acadienne, fayots ou fèves au lard, oreilles et queue de cochon bouillies en ragout, puis des plats collectifs qui comprenaient toujours du porc comme la tourtière de Charlevoix ou du Saguenay Lac-Saint-Jean, le cipâte ou six-pailles du Bas-Saint-Laurent.

D'autre part, chaque an, ces peuples voyaient les oies, les canards et les pigeons partir pur le Sud, avec l'arrivée des grands froids. Ces oiseaux se gavaient d'ailleurs d'aliments riches qui les engraissaient considérablement avant leur grande envolée. Ce gras leur fournirait l'énergie pour leur grand voyage. Nos ancêtres celtes et germains les chassaient donc pour les manger à l'occasion du solstice. Comme on associait ces oiseaux à l'été, à la présence importante du soleil, les manger était en quelque sorte manger du soleil pour lutter contre le froid de l'hiver subséquent. C'est ainsi que les oies domestiques, les outardes et les oies blanches ont été la viande centrale du repas du Premier de l'An, pendant très longtemp. Comme le repas du jour de l'An était celui de la fête élargie, on mettait plusieurs oiseaux sur la table autour de l'oie, comme la dinde, le chapon, les canards domestiques ou sauvages et même les pigeons d'élevage. Tous ces oiseaux étaient associés au soleil, mais aussi à la liberté de l'envol au-dessus de la dure réalité.

La tradition actuelle de servir la dinde de Noël est une importation américaine, d'origine autochtone, entrée dans nos moeurs, dans les années 1940-50, lors de l'arrivée des premières épiceries dans les premières villes industrielles du Québec. Mais pourquoi la dinde est-elle entrée dans nos moeurs? Voyons ce que nous apprend l'histoire de Charlevoix. La région fut peuplée, en partie, par les descendants des soldats écossais venus s'y établir à la fin des années 1760. D'autres Écossais vinrent s'établir dans la région (Sainte-Agnès) en 1830. En 1892, on construisait la première chapelle protestante de la région, Saint-Peter on the Rock. La rivière Malbaie fut le principal point d'intérêt des invités anglais et américains de la famille Nairne de Murray Bay de même que des anglophones de la région. On y prenait de magnifiques saumons, en abondance. Ce qui attira de plus en plus de touristes américains fortunés. On engageait des Charlevoisiens bilingues pour les accueillir. Ce sont les familles qui les accueillirent en premier dans leurs maisons familiales. Mais, petit à petit, plusieurs familles américaines décidèrent de se construire une résidence d'été, dans Charlevoix. Puis toute une industrie touristique naquit dans Charlevoix, avec le bateau croisière de la Steamship Line et le Manoir Richelieu. S'est ajoutée à la pêche au saumon, la chasse au caribou. En 1895, il y avait encore près de 2 000 caribous dans Charlevoix. Les touristes venaient donc même au début de l'hiver. Les visiteurs américains adoraient la dinde, comme chez eux, pour fêter l'Action de Grâces américaine, le 28 novembre. Cet événement leur rappelait l'accueil mémorial de leurs ancêtres par les amérindiens du Massachussets, qui les avaient sauvés de la famine par un grand repas de dinde rôtie, accompagnée d'atocas. C'est alors que certains Charlevoisiens, à la fin du XIXe siècle, eurent l'idée d'élever de la dinde pour l'exporter aux États-Unis, à l'occasion de cette fête. Mais, dans les années 1940, comme les Américains préférèrent se nourrir de dinde locale, les éleveurs québécois se tournèrent vers les épiceries des grandes et petites villes du Québec. Pour ne pas perdre leurs élevages, les éleveurs de dinde acceptèrent de les offrir à rabais pour le temps des Fêtes. Il devint plus économique d'acheter une dinde qu'une oie traditionnelle, dans les années 1950. C'est pourquoi la dinde avec sa gelée d'atocas est devenue la viande d'office du Réveillon de Noël à partir des années 1950. Mais, au jour de l'An, on continua de servir nos spécialités traditionnelles de porc et d'oiseaux de toutes sortes, présentées de diverses façons, y compris en tourtière ou en cipâte. La majorité des plats festifs comprenaient plusieurs viandes domestiques et sauvages conservées gelés pour le temps des Fëtes.

Aujourd'hui, les jeunes générations des Y et des Z veulent retrouver la vraie tradition québécoise alors que leurs parents de la génération X et de leurs grands-parents baby boomers l'ont oubliée. Je suis heureux de ce retour aux sources, pour ma part. J'ai toujours été réceptif à la nouveauté sans oublier que la vraie cuisine, comme la vraie culture, est une manifestation du Vivant. Et tout ce qui vit a des racines, un passé dont la Vie est issue. Ce temps des Fêtes particulier est un bon moment pour se le rappeler.

Je vous souhaite un beau temps des Fêtes, malgré tout ce qui boulversera nos vies personnelles et la société, en 2022.

Nous vous reviendrons en janvier avec une nouvelle proposition.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec