La cuisine américaine, chez nous. Partie 2

L'Ouest américain comprend deux grandes régions: le Far West avec ses plaines et ses montagnes et la Côte Pacifique. Voyons, pour chacune de ces régions, l'impact qu'elles ont eu sur notre façon d'être et sur notre cuisine.

Le Far West est un terme cinématographique pour décrire la première région de l'Ouest américain. Les déserts et les montagnes rouges érodées par le vent et de violents phénomènes aquatiques du passé sont des régions qui attirent beaucoup les touristes du monde entier après avoir servi de lieux de tournage de films mettant en valeur la vie des cow-boys. Des archéologues américains ont fait des fouilles pour vérifier la véracité des récits cinématographiques, comme dans la ville de Virginia City, au Nevada, pour se rendre compte qu'il y avait une méchante différence entre les désordres véhiculés par le cinéma et la réalité. Il y eut effectivement des meurtres, des bandits, des vols de banque, de troupeaux ou de coffres d'argent ou d'or transportés par les premiers trains de la région, mais tout cela demeure très anecdotique dans l'histoire de la région. Le plus intéressant de ces films est d'avoir fait connaître, souvent maladroitement,  les premiers habitants de la région comme les Navahos, les Hopis et les Zunis, puis les Mormons de Salt Lake City. Aujourd'hui, c'est l'extravagante Las Vegas qui attire les regards québécois parce qu'on y a de dignes représentations de réputation artistique mondiale comme les spectacles de Céline Dion et ceux du Cirque du Soleil. Peu de Québécois savent cependant que ce Far West a été visité de façon officielle par des Américains anglophones guidés par des coureurs des bois québécois et métis qui connaissaient la région sur le bout de leurs doigts, suite à la vente de la Louisiane aux Américains, par Napoléon 1er, en 1803. De 1804 à 1806, Meriwether Lewis et William Clark agrandissaient officiellement les États-Unis, guidés entre autres par un Québécois nommé Drouillard. Lui et ses acolites métis parlaient plusieurs langues autochtones locales de même que le français et l'anglais. Ce qui était nécessaire pour faire du commerce de fourrure dans la région.

À cause de son climat chaud et souvent tropical, la région produit, aujourd'hui, toute une variété d'agrumes, de fruits exotiques comme les dattes, les figues, les olives et les pistaches, sans oublier les coeurs de palmier, les yams et les patates douces. L'agriculture régionale exporte une grande partie de ses récoltes dans l'Est américain et au Canada. Mais on ne mentionne jamais sur les identifiants de ces aliments, leur provenance précise sinon celle du pays (U.S.A ou États-Unis). Des produits locaux comme le yucca ou la poire cactus débarquent parfois sur nos étals. Il est important enfin de mentionner que les cuisines espagnole, mexicaine et amérindienne ont beaucoup marqué la cuisine d'origine de ces États: pains rapides (wick bread) avec de la farine de blé et de maïs, viande salée, fumée, séchée, riz très fréquent associé à des tomates en conserve et des piments forts. Beaucoup de recettes avec du boeuf que l'on éleve massivement, mais aussi avec du porc, de la dinde et du poulet. Les plats les plus connus de cette région sont les steaks sur le barbecue, les chilis con carne, les côtes-levées de porc cuites en sauces salées, sucrées et fumées sans oublier les soupes de poulet aux pâtes maison. Le bison de la région est traditionnellement la viande la plus appréciée de nos ancêtres québécois. Certains s'en rapportaient au Québec après l'avoir fumée.

La Côte Pacifique, d'autre part, couvre tous les États qui se situent entre le Canada et le Mexique, soient la longue Californie au sud, puis l'Orégon et l'État de Washington, au nord. On ne doit pas oublier, dans cette région les États de l'Alaska et des Iles Hawaï, liés aussi à l'océan Pacifique. La Californie est habitée par l'Homo Sapiens depuis au moins 13 000 ans. Celui-ci serait venu de l'Asie par la mer en longeant la côte, du nord au sud. Les Espagnols sont débarqués en Californie pour s'y installer en 1765. À la suite de la Guerre de l'indépendance mexicaine, la Californie devint mexicaine em 1810. Elle se partageait en deux: l'Alta et la Baja California.  Les Américains, en parvenant dans la région, au début du XIXe siècle, disputèrent l'Alta California aux Mexicains en leur faisant la Guerre. En 1848, l'Alta California était annexée aux États-Unis. En 1850, elle devenait le 31e État américain. Malgré sa situation géographique au sud, elle se joignit au Nord, lors de la Guerre de Sécession américaine, de 1861 à 1865. À la même époque, son territoire fut envahi par 200 000 chercheurs venus du monde entier pour extraire l'or des ruisseaux et des mines de la région. Une société multiethnique se développa avec une cuisine fortement influencée par la cuisine mexicaine et asiatique.

Chez nous, la Californie s'est surtout fait connaître lors de la Ruée vers l'or, à la fin du XIXe siècle, remplacée par le cinéma d'Hollywood dans les années 1950, puis par le Flower Power de San Francisco, dans les années 1960-70. Cette révolution hippie marqua notre propre culture, suite aux nombreux voyages en Californie, de jeunes Québécois assoiffés de nouvelles idées prônant la croissance personnelle, la spiritualité aisatique, la santé par le plein air et la saine nourriture biologique, enfin par la préservation de la nature et de notre environnement planétaire. Cette idéologie continue d'envahir notre quotidien, nos médias et nos politiciens. Quant aux États du Nord que sont l'Orégon et l'État de Washington, ils furent fréquentés par les coureurs des bois québécois bien avant les Américains de l'Est. De nombreux Québécois épousèrent des filles amérindiennes locales qui créèrent toute une poppulation locale de langue française et de religion catholique. Ce sont des prêtres et des évêques québécois qui s'occupaient des secteurs liés à la religion, comme les services religieux et sociaux. Les Métis de la Côte faisaient le commerce des fourrures de loutre marine  avec les représentants de la Compagnie du Nord-Ouest, propriété britannique installée à Montréal. Cette compagnie britannique passait par les États-Unis pour commercer librement avec la Chine. Elle échangeait de la fourrure de loutre contre des produits exotiques chinois comme le riz et le thé. Les Français, les Espagnols et les Russes étaient aussi présents dans cette région du Pacifique pour commercer avec cette compagnie. Mais lorsqu'on découvrit de l'or sur toute la côte, jusqu'en Colombie Britannique et au Yukon, la population de langue française se déplaça vers le nord. L'arrivée massive d'anglophones, dans les années 1870 noya l'influence française de la région, avec sa langue, sa religion et sa culture culinaire. Notons aussi la présence des Russes sur toute la Côte jusqu'en Alaska qui devint américaine seulement en 1959. Le climat de l'Alaska est suffisamment doux et lumineux, en été, pour produire des aliments pour la population locale. Les premiers Blancs y faisaient un jardin, comme au Yukon. Aujourd'hui, ce sont surtout des poissons et des fruits de mer que nous recevons de l'Alaska (saumons du Pacifique, morue, flétan, etc.). Nous recevons aussi du poisson des iles Hawaï. Plusieurs variétés de thon, du mérou et du vivaneau parviennent dans nos poissonneries. Hawaï nous envoie aussi beaucoup d'ananas, de bananes et de noix de coco.

Quant à la cuisine, il faut noter la grande influence qu'a eu la région sur la cuisine de notre restauration. Il faut noter, d'abord, les plats adorés des vedettes d'Hollywood, diffusés par les médias américains qui se rendaient jusqu'à nous, comme le jambon à l'ananas ou la salade César. De plus, la diffusion de la cuisine asiatique nous est venue par la Californie et non pas direcetement de l'Asie. Pensons aux dim sum chinois (espèce de raviolis farcis de diverses façons), aux bigs bowls coréens constitués d'un sauté de légumes déposés dans un bol de riz et servis avec du kimchi (choucroute piquante), aux panchan relevés, aux sachimis et sushis japonais, aux tempuras (beignets de légumes et de fruits de mer). Soulignons enfin que notre cuisine végétarienne et végétalienne est originaire de la Californie. Je me souviens l'avoir beaucoup appréciée lors d'un séjour de formation en danse, au Esalen Institute, à Big Siur, au sud de San Francisco, dans les années 1980. L'esthétique de présentation de nos plats en fine cuisine nous vient aussi de la Californie. Mais les événements politiques américains récents atténuent considérablement l'influence des États-Unis sur notre cuisine. La pandémie nous a ramenés à la cuisine locale et traditionnelle. Mais je ne sais pas si l'ouverture récente de notre frontière-sud va ramener la cuisine américaine sur nos tables!

La semaine prochaine, nous parlerons de la cuisine asiatique présente dans nos menus.

D'ici là, bonne semaine à tous!

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec