Soumis par Michel Lambert le
Comme nous l'avons mentionné, la semaine dernière, il y a 5 nations algonquiennes de la branche centrale, au Québec, et 3 nations de la branche de l'Est. Nous résumerons, aujourd'hui, leur histoire particulière et leurs aliments traditionnellement préférés.
De la branche centrale, il faut retenir les Naskapis, les Innus, les Atikamekw, les Algonquins et les Cris.
Les Naskapis occupaient traditionnellement le Nord-Est du Québec où la toundra et la taïga dominent le paysage. Au XVIIe siècle, ils étaient environ 1 500 individus qui vivaient de chasse et de pêche, en se déplaçant au fil des saisons, pour trouver leur nourriture. Mais en 1838, leur vie a changé de façon radicale à cause de l'installation d'un poste de traite des fourrures, près de Shefferville. Pour obtenir des biens facilitant leur vie, les hommes se mirent à la chasse des animaux à fourrure, aux dépens de leurs moyens de survie traditionnels comme la poursuite du caribou. Leur population est devenue de plus en plus dépendante de l'aide gouvernementale pour survivre. Au milieu du XXe siècle, les Naskapis passèrent une entente avec le Gouvernement du Québec qui avait besoin de leurs terres pour y construire un barrage électrique sur la rivière Caniapiscau. Des membres de leur communauté diffusèrent ensuite leur culture, en 1976, avec des anthropologues québécois, pour expliquer leur mode de vie et leur cuisine ancienne et actuelle. Les Naskapis vivent, depuis 1983, dans un village moderne qui s'appelle Kawawachikamach. Leur communauté est aujourd'hui en relation avec des Innus, des Inuits et des Québécois de langue française et anglaise. On y parle surtout l'anglais et le naskapi. Leurs aliments traditionnels sont le caribou, le lagopède des saules (perdrix blanche), l'outarde, le touladi, l'omble de l'Arctique, le grand corégone, la camarine, la chicouté, l'airelle des marécages (bleuet du Nord). La possibilité de s'approvisionner en biens du Sud du Québec par le train ou l'avion, de même qu'en produits de la mer par la route qui mène désormais jusqu'à Goose Bay, au Labrador, et même en produits exotiques vendus à Gander où les pilotes du monde entier venaient s'entrainer, jusqu'à tout récemment, a modifié considérablement la cuisine des Naskapis. On y fait désormais des ragouts de caribou au curry néerlandais. Certains membres de leur communauté tentent de concilier, en cuisine, aliments traditionnels et assaisonnements internationaux, comme cela se fait partout dans le monde actuel. Le village compte plus de 1 500 personnes.
Les Ilnus ou Innus qu'on appelait Montagnais, autrefois, sont le regroupement de plusieurs groupes de langue algonquienne qui vivaient autrefois de la Basse-Côte-Nord à Trois-Rivières, jusqu'à qu'à plus de 200 km à l'intérieur des terres, le long des affluents-nord du fleuve et du golfe Saint-Laurent. On les retrouvait entres-autres, au Lac-Saint-Jean et à Chibougamau. Ceux qui vivaient en Basse-Côte-Nord, s'appelaient les Oumamiouèques, aux dires des Jésuites qui les ont évangélisés. Ils se nourrissaient principalement de produits de la mer comme le capelan, le hareng, la morue, le maquereau, le homard, les buccins, les mactres (palourdes ou clams) et les pétoncles. Les Papinachois habitaient la Minganie (Sept-Iles). Eux aussi vivaient autant des produits de la mer que ceux de la forêt en hiver. Ils adoraient les phoques qui s'échouaient sur les plages du golfe. Les Betsiamites passaient l'été en Haute-Côte-Nord, près de Baie-Comeau. C'était de grands amateurs de saumon. À l'embouchure du Saguenay, sur la rive-nord du Saguenay, vivaient les Tadoussaciens que les Français baptisèrent les Montagnais. C'étaient d'habiles chasseurs d'orignal et de loup-marins, de même que d'excellents pêcheurs de saumon. Ceux du Lac-Saint-Jean s'appelaient les Kakouchaks: ils aimaient beaucoup les porc-épics dont ils portaient le nom en innu-aimun, de même que la ouananiche et le corégone qu'ils pouvaient pêcher dans toutes les embouchures des affluents du Piekouagami (lac Saint-Jean). Depuis 1850, les descendants de ces gens habitent différents villages de la Côte-Nord et du Lac-Saint-Jean: Pakua-shipi (Saint-Augustin), Unamen Shipi (La Romaine), Nutashkuan (Natashquan), Ekuanitshut (Mingan), Mani-Utenam (Malioténam), Uashat, Pessamit (Betsiamites), Essipit (Escoumins) et Mashteuiatsh (Pointe-Bleue), au Lac-Saint-Jean. Ces communautés comptent plus de 28 000 personnes aujourd'hui. Mais les noms innus témoignent d'un métissage important avec les trafiquants français et écossais des fourrures. Tous ces villages ont aujourd'hui accès aux denrées et aux recettes du monde, C'est pourquoi leurs cuisine actuelle garde son authenticité en cuisinant les aliments de leur environnement immédiat ou de leur histoire culinaire en intégrant les saveurs du monde. Les ainés parlent toujours un dialecte innu avec des variantes selon les localités, mais le français demeure la principale langue de communication avec l'extérieur.
Les Atikamekw ou Poissons Blancs occupent la Haute-Mauricie et le Haut-Lanaudière. La communauté habitait plus la région de Trois-Rivières, à l'origine. Mais les attaques répétées des Iroquois, au XVIIe siècle, les incitèrent à se réfugier dans le Nord où ils eurent de nombreuses difficultés à survivre, à cause des maladies contagieuses. En s'unissant aux Têtes-de-Boule qui vivaient déjà au nord-ouest de leur territoire, ils survécurent pour créer la communauté atikamekw actuelle qui est aussi métissée avec les nations algonquiennes voisines de leur teriitoire (Innus, Cris, Algonquins) et quelques Franco-Québécois. Leur nom amérindien signifie "poisson blanc" (grand corégone) qui était effectivement l'un de leurs aliments préférés. Ils aimaient aussi les canards, le petit gibier et les oiseaux migrateurs qui s'abattaient, l'automne et le printemps, sur les lacs de leur environnement. Ils vivent aujourd'hui dans 3 villages : Manawan, au nord de Lanaudière, Wemotaci et Obedjiwan, au nord de la Mauricie. Ils sont plus de 8 000 personnes. On y parle principalement l'atikamekw et le français.
Les Anishnabek ou Algonquins occupaient traditionnellement le Sud-Ouest du territoire québécois, de la frontière ontarienne à Montréal et Trois-Rivières, au nord du fleuve. L'occupation progressive de leur territoire par les Français les forcèrent à se réfugier plus au nord, en Outaouais, au Témiscamingue et en Abitibi. Leur garde manger traditionnel était le gibier des forêts feuillues et des forêts mixtes: le cerf à queue blanche, le wapiti, l'esturgeon jaune, le doré, et les oiseaux migrateurs comme l'outarde et l'oie blanche. Aujourd'hui, les Algonquins habitent dans des villages, comme Kitigan Zibi, Barriere Lake, Kitcisakik, Lac Simon, Abitibiwinni, Long Point, Timiskaming, Kebaowek, Wolf Lake et Rouyn-Noranda. Plus de 41 000 personnes se disent Algonquins, au Québec, en Ontario et aux États-Unis, mais la population québécoise. en compt environ 13,000. Les Algonquins contemporains descendent aussi de plusieura nations de langue algonquienne comme les Outaouais, les Abitibiens, les Ojibwés. Leurs langues secondes sont l'anglais et le français.
Les Cris ou Ndooheenoo habitent le Nord-Ouest du Québec, le long de la baie James jusqu'à la baie d'Hudson, de même qu'à l'intérieur des terres, de cette grande région, comme au lac Mistassini. Leur garde-manger nordique se compose d'orignal, de caribou, mais aussi d'oiseaux migrateurs qui occupent une grande part dans leur coeur. Pour les chasser, on arrête toute activité (école, travail) pour les célébrer en les cuisant, en famille, dans des tentes de cuisson qu'on appelle mishuap. La pêche au beochet. au doré, au grand corégone, au ménomini complète leur approvisionnement. Leurs 9 villages actuels se trouvent aux embouchures des grandes rivières qui se jettent dans la baie James de même que sur les rives de grands lacs de l'intérieur des terres: Chisasibi, Eastman, Mistissini, Nemaska, Oujé-Bougoumou, Waswanipi, Waskaganish, Wemindji et Whapmagoosyui, au Nunavik, comptent presque 20 000 personnes, au Québec, qui parlent 3 dialectes cris et l'anglais comme langue de communication avec l'extérieur. Le français est parlé par les jeunes qui l'apprennent maintenant à l'école.
Autrefois, toutes ces communautés se regroupaient chaque année, à Tadoussac, à Desbiens au lac Saint-Jean, ou à Trois-Rivières, selon les années. Les Algonquins de l'Est étaient aussi au rendez-vous tout comme leurs alliés hurons, à l'occasion. On y partageait des aliments fumés, apportés de son territoire, et sans doute de nouvlles techniques culinaires ou de nouvelles recettes. Parlons maintenant de la branche algonquienne de l'Est. La fameuse recette de bannique s'est diffusée très tôt, lors de ces rencontres annuelles.
Les Mi-Gmak ou Micmacs sont originaires de la Côte Atlantique américaine et des Provinces maritimes. Leus ancêtres lointains étaient des Waban-Aki, chasseurs de bison des bois. Mais leur nouvelle proximité de la mer modifia leur cuisine, au fil de leur occupation des Maritimes, de la baie des Chaleurs et la Pointe de Gaspé, au XVIIe siècle. Lorsqu'ils vivaient plus au sud, ils pratiquaient l'agriculture, comme les Abénaquis. Dans la baie des Chaleurs et à Gaspé, les étés étaient trop courts pour rendre le maïs ancien à terme. Ils importèrent désormais le maïs séché de leurs cousins abénaquis en le cuisinant avec le saumon, l'anguille, l'alose de l'Atlantique. À la fin du XVIe siècle, leurs femmes s'unirent même à quelques pêcheurs normands installés dans la Baie des Chaleurs, en permanence. Comme ces pêcheurs se faisaient des petits jardins d'herbes et de laitues, les Mi-Gmaks inclurent rapidement la cuisine française traditionnelle dans leur menu. La sarriette, entre autres, est entrée dans leur cuisine dès le XVIIe siècle. Ils habitent, aujourd'hui, dans 3 villages québécois et plusieurs villages dans les Provinces maritimes canadiennes. Les communautés de Gesgapegiag (Cascapédia), Gespeg (Gaspé), Listiguj (Restigouche) comptent environ 4 000 personnes.
Les Malécites ou Welustuk sont les descendants des Algonquiens qui vivaient entre la baie de Fundy et le Bas-Saint-Laurent qu'ils atteignaient par les rivières des deux versants et une série de portages. Lorsque les Français fondèrent l'Acadie, en 1604, ils les appelaient les Etchemins. Ces derniers habitaient principalement le long des rivières Saint-Jean, Sainte-Croix, Pentagouet (Penobscot) et Kennebec. Ils venaient jusqu'à Québec par les rivières Kennebec et la Chaudière ou par la rivière Saint-Jean et la rivière Etchemin. Au XVIIIe siècle, les Français les appelaient désormais les Amalécites. Ce nom leur aurait été donné, semble-t-il, par les Mi'Gmak; le terme se traduirait par " ils parlent mal". Comme si la langue malécite était une déformation de la langue micmaque. Leur garde-manger comprenait les poissons, les mammifères, les fruits de mer et les oiseaux migrateurs de l'Atlantique, les poissons des rivières intermédiaires et la faune printanière du fleuve Saint-Laurent, en particulier les bélougas et les phoques qu'ils aimaient beaucoup. Jusqu'au début du XXe siècle, on faisait des bouillis de jambon de bélouga. Notons aussi que les Malécites aimaient particulièrement le merlu argenté ou lieu jaune, poisson de l'Atlantique à chair blanche au gout plus fin que la morue.
Les Abénaquis ou Waban-Aki étaient identifiés, aux siècles derniers, comme "le peuple du soleil levant" ou de l'Est. Leurs ancêtres algonquiens originaires du nord du lac Ontario auraient migré vers les forêts du Sud où le bison des bois étrait abondant. Cet animal était leur viande préférée. Mais la proximité de l'Atlantique les aurait invités à enrichir leur menu. De plus, leur proximité avec les peuples agriculteurs du Sud des États-Unis les aurait amenés à pratiquer aussi l'agriculture. Au XVIIe siècle, les Abénaquis étaient les fournisseurs de maïs de plusieurs nations cousines du Québec. Il faut dire que leur vie se passait de l'Atlantique au Québec par les rivières Kennebec et la Chaudière. Le Québec faisait donc partie de leur territoire ancestral. Lorsque les Américains d'origine anglaise ou néerlandaise s'installèrent en Nouvelle-Angleterre en envahissant les terres nourrières des Waban-Aki, ceux-ci furent de plus en plus frustrés, particulièrement avec le traité d'Utrech de 1713 qui les déposséda de leurs terres.. Les missionnaires français qui les avaient convertis au cartholicisme les invitèrent, avec l'assentiment de l'administration française de la Nouvelle-France, à venir s'installer en permanence dans leur territoire de chasse hivernale, le long de La Chaudière, en face de Québec, en 1676. D'autres Abénaquis quittèrent les États-Unis au XVIIIe et XIXe siècle. L'administration française les réunit à leurs cousins Soquoquis établis à l'embouchure de la rivière Saint-François où leurs descendants résident toujours. Odanak est leur village le plus représentatif. Mais plusieurs Abénaquis vivent aussi à Wolinak, près de Bécancour, en face de Trois-Rivières. Les deux communaiutés comptent plus de 3 000 personnes. Les légumes autochtones (maïs, courge, haricots) font l'essntiel de leur cuisine traditionnelle, mélangés aux aliments sauvages du Centre-du-Québec. Leur commmunauté très métissée avec les Québécois d'origine française a aussi produit une cuisine métissée qui a largement influencé la cuisine de la Nouvelle-France et du Québec du XIXe siècle. Les fameuses fèves au lard au canard est une idée abénaquise qui s'est répandue jusqu'à Montréal pour devenir le plat typique du vendredi, parce que le canard était considéré comme un aliment de jour maigre, vivant dans l'eau comme le poisson.
La culture algonquienne a eu beaucoup d'influence sur la cuisine traditionnelle du Québec en initiant les Francais qui s'installaient dans les régions prérifériques de la plaine du Saint-Laurent aux aliments forestiers locaux, comme le petit et le gros gibier, les poissons anadromes ou d'eau douce, les oiseaux de passage, les plantes sauvages sans oublier le fameux sirop d'érable. Quelques-uns de ces aliments étaient connus des Français comme le saumon, le brochet ou la truite, mais beaucoup de poissons et d'oiseaux leur étaient inconnus. Les Français donnèrent des noms français à certains poissons et oiseaux qui ressemblaient aux leurs comme la truite (omble), l'outarde (bernache), la sardine (petit hareng), le turbot (flétan du Groenland), alors qu'il s'agit, dans les faits, d'espèces différentes.
Il est temps qu'on reconnaisse l'apport important des nations de langue algonquienne et iroquoïenne dans l'identité de la cuisine québécoise. La semaine, prochaine, je parlerai de la culture inuit.
Je vous souhaite une bonne semaine, d'ici là.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec