Soumis par Michel Lambert le
Comme je l'ai raconté dans mon dernier livre L'Érable et la perdrix, notre territoire a accueilli 3 grandes civilisations avant l'arrivée des nations européennes. Nous avons parlé des origines de la civilisation iroquoïenne, les deux dernières semaines. Nous parlerons des origines de la culture algonquienne, aujourd'hui et dimanche prochain.
Les ancêtres les plus lointains des Algonquiens sont des Paléoindiens de l'Ouest canadien. Ils suivaient leur gibier préféré, les caribous en quête de lichens de la toundra, à mesure que le glacier continental qui recouvrait le Nord-Est du Canada, fondait. Il y a 10 000 ans, selon l'archéologue J.V. Wright en 1972, ces descendants de culture Clovis modifièrent la taille de leurs outils de chasse pour s'adapter à leur nouvel environnement faunique. Les archéologues baptisèrent cette nouvelle culture, la culture Plano. Elle se distingue de la culture Clovis par son rejet des pointes à cannelure, outils de chasse typiques de la culture clovisienne. La technologie planoïenne est caractérisée par l’usage de pointes lancéolées ou à retouches parallèles. Ces outils sont utilisés comme pointes de lance pour attrapper le gros gibier de la toundra ou comme couteau pour le dépeçage des viandes. Ces paléoindiens donnèrent naissance aux Archaïques du Bouclier Canadien, il y a 8 000 ans.
Les Archaïques du Bouclier Canadien, ont créé une culture culinaire qui s’étend du sud-ouest des Territoires du Nord-Ouest à Terre-Neuve-Labrador, en passant par la majeure partie du Manitoba, par le nord de l’Ontario de même que par le nord du Québec jusqu'aux abords du fleuve et du golfe Saint-Laurent. Il y a 6 000 ans, cette culture était rendue à l’est du Manitoba (Feit, 1973). Il y a 4 000 ans, les Boucliériens atteignaient le pourtour de la baie d’Hudson et le Labrador. Le climat froid de leur nouveau territoire les obligea à se créer des vêtements et des abris chauds, des canots d'écorce légers et des raquettes pour faciliter leur vie nomade. Ce style de vie s'est poursuivi au fil du temps et des paysages différents où les Archaïques du Bouclier canadien se sont répandus, Ceux de la taïga et de la toundra se nourrissaient essentiellement de caribou, de boeuf musqué, en hiver, et d'omble de l"Arctique, de Grand Corégone, de Cisco, de Menomini rond ou de touladi, lors des courts étés du Nord québécois. En atteignant le Labrador, ils rencontrèrent les Maritimiens avec lesquels ils entrèrent en conflit parce qu'ils poursuivaient le même gibier, en hiver et pêchaient le saumon, comme eux, à l'embouchure des rivières. Ceux qui se dirigeaient plus vers le Sud où la forêt boréale et la forêt mixte (conifères et arbres feuillus) s'installaient progressivement à cette époque, apprirent à diversifier leur menu en chassant l'orignal, l'ours, le castor et le lièvre d'Amérique et en pêchant le brochet et le doré. Ceux enfin qui descendirent au sud, jusqu'à la Côte atlantique, intégrèrent même les produits de la mer et ceux des forêts feuillues de l'Amérique du Nord. Un groupe parmi eux, baptisé les Algonquiens par les historiens des langues amérindiennes (Siebert, 1967), exporta sa langue et sa culture partout au Canada et aux États-Unis, il y a 3 500 ans. Les historiens ont répertorié plus de 32 groupes autochtones de langue algonquienne, en Amérique. L’algonquien se divise en 3 variantes linguistiques principales, dont l’algonquien des plaines, l’algonquien central et l’algonquien de l’Est.
Les 8 nations de langue algonquienne du Québec descendent de ces branches ou variantes. Les Cris, les Atikameks, les Innus, les Naskapis et les Algonquins appartiennent à la branche linguistique du Centre. Les Abénaquis, les Malécites et les Micmacs appartiennent à la branche de l'Est. Ces derniers parlent une langue proche des Mohicans, des Narragansetts, des Waban-Aki et des Massachussetts de la Nouvelle-Anleterre. Nous devons à ces nations américaines plusieurs apports culinaires, comme le festin de dinde avrc des atocas de l’Action de grâce (Massachussets), le Clam Bake (Waban-Aki), les Fèves au lard au sirop d'érable (Waban-Aki) ou le célèbre succotash (Narragansett). Ces plats se faisaient, entre autres, avec du Cerf à queue blanche, du Wapiti, du Dindon sauvage et quelques types de canard de mer. Les Algonquiens de l'Ouest furent mis en contact avec la poterie d'origine asiatique, assez tôt dans l'histoire. Ceux de l'Est, recurent aussi, postérieurement aux Iroquoïens, la poterie et l'agriculture mexicaines dont dous avons parlé, les semaines dernières. Cela donne donc un portrait culinaire extrêmement diversifié de la culture culinaire algonquienne. Mais la vaisselle en écorce de bouleau demeure l'apanage de la civilisation algonquienne. Cette vaisselle qu'on ne pouvait mettre sur le feu exigeait une technique ingénieuse de cuisson: on devait faire chauffer des galets dans un feu que l'on transférait avec des branchettes encore vertes dans un plat d'écorce rempli d'eau. Ce type de cuisson pouvait pocher une pièce de viande en 30 minutes. Et le temps de cuisson était plus court pour le poisson. Il faut dire que les Algonquiens enlevaient toujours les os de leurs viandes pour les cuire. Et les os n'étaient jamais donnés aux chiens comme chez les Français. On les enterrait profondément dans la terre ou on les suspendait dans les arbres, les rendant inaccessibles aux animaux. Tout cela pour ne pas irriter l'esprit de l'animal consommé.
Ces plats d'écorce de bouleau illustrent parfaitement la part importante des arbres dans le système de survie algonquien. Le bouleau et le sapin ou l'épinette blanche fournissaient le gite, le lit, le moyen de transport (canot) et la subsistance (cueillettes et cuisson). Si les Iroquoïens étaient des peuples dépendant de l'eau, les Algonquiens dépendaient de la forêt.
Je vous donne, cette semaine, des exemples de cuisine algonquienne du Centre. La semaine prochaine, nous terminerons ce chapitre en vous donnant des recettes de la culture algonquienne de l'Est.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec