Soumis par Michel Lambert le
On cuisine avec le jus d'orange depuis combien de temps, au Québec ? Prenons le temps d'étudier le cheminement de l'orange jusqu'à nous.
La plupart des historiens de l'alimentation s'entendent pour dire que l'orange est probablement originaire du sud de l'Asie, soit du sud de l'Inde, de la Chine, du Viet-Nam et de la Malaisie. Le mot orange vient du sanscrit naga ranga, la langue indo-européenne étant à l'origine de la majorité des langues européennes actuelles. Naga ranga, en sanscrit, voulait dire "indigestion mortelle pour les éléphants". Ce mot est apparu pour la première fois, il y a 4 200 ans, dans le Charaka-Samita, un livre médical sanscrit. À la même époque, les Chinois cultivaient déjà les agrumes dans les régions chaudes situées aux pieds des Himalayas. Puis l'orange aurait rapidement atteint les régions maritimes où les marins l'auraient apportée avec eux lors de leurs expéditions commerciales vers le Moyen-Orient, l'Irak, la Turquie, puis vers la péninsule arabe et la Méditerranée. Au IIe et !!!e siècle de notre ère, elle était cultivée en Afrique du Nord. Mais cette orange qu'on appelle aujourd'hui la bigarrade (citrus aurantium), était d'un goût amer. On utilisait surtout son zeste et ses fleurs pour parfumer les plats. Son jus très acide et amer était plutôt considéré comme un médicament. Les Arabes aimaient particulièrement l'eau de fleur d'oranger qu'ils utilisaient pour parfumer leur eau domestique ou leurs desserts. L'orange serait entrée en Europe à l'époque des Croisades, transportée par les soldats musulmans qui voulaient convertir les nations chrétiennes à l'Islam et par les Croisés européens qui appréciaient ce fruit lumineux et rare. La plus ancienne citation du mot orange en français date de l'époque normande, en Angleterre, qui parlait le même français qu'en Normandie. On parlait, à l'époque, de pume orenge (pomme d'orange), mot qui copiait l'italien de l'époque melarancio.
Au début du XVe siècle, les Espagnols et les Portugais cultivaient déjà des oranges bigarades, chez eux. Ce sont les Portugais qui vont diffuser, partout dans le monde, l'orange au jus sucré que nous apprécions tant aujourd'hui. Ils l'auraient trouvée, en 1520, au Sri Lanka et dans certains ports du sud de la Chine. C'est pourquoi son nom latin est citrus sinensis, (agrume de Chine). Les Portugais vont perfectionner sa culture de sorte que, rapidement, cette orange sucrée va supplanter l'orange bigarade apportée par les Arabes. Les Arabes vont désormais parler de narandj pour la bigarade et de bortugal (Portugal) pour désigner l'orange sucrée que nous connaissons plus aujourd'hui.
En 1604, on amène les premières oranges confites à Port-Royal, en Acadie. Au Québec, l'orange confite y est présente à partir du milieu du XVIIe siècle. Mais ce n'est qu'au début du XVIIIe siècle qu'on commença à trouver des oranges fraîches dans les marchers de Québec. "Jacques Lacoursière et Hélène-Andrée Bizier citent, dans Nos Racines, au chapitre 28, une recette de confiture de citrouille parfumée à l'écorce d'orange que Charlotte de Couagne de Montréal donne au voyageur suédois Pehr Kalm, lors de son voyage au Canada en 1749." ¹ Au milieu du XIXe siècle, la Floride commence à exporter des oranges au Canada par les derniers navires à vapeur de la saison. Ces oranges se retouvent dans tous les magasins généraux des villages en prévision du temps des Fêtes. Chaque enfant reçoit une orange dans son bas de laine du Premier de l'An, à cette occasion. Cette évocation m'est très chère, personnellement, puisque toute ma receherche culinaire est liée à l'orange que mon grand-père Lambert, me donnait, le matin de Noël, en même temps qu'un crayon au plomb orange. J'ai raconté dans le premier volume de ma collection la signification qu'a eu ce cadeau de ma prime enfance dans l'écriture de l'histoire de la cuisine familiale du Québec.
Mais qu'en est-il du jus d'orange? Le jus d'orange provient essentiellement des oranges sucrées (citrus sinensis). Il faut de 2 à 3 kg d'oranges pour produire un litre de pur jus d'orange. On extrait du jus de fruits depuis au moins 7 000 ans, selon les archives. On a bien sûr utiliser des extracteurs à jus manuels spécialisés pour les raisins, les pommes, les granadilles et les oranges. Puis sont arrivés les extracteurs industriels au début du XXe siècle permettant d'offrir des boissons à l'orange et du vrai jus d'orange. La mise en conserve stérilisée permit la diffusion de nombreux jus de fruits du monde entier, en particulier d’agrumes et de fruits tropicaux. Le jus d’orange de Floride en conserve date des années 1950. On a commencé par boire ces jus à l’intérieur des repas avant de les prendre en collation. Voyant que les enfants les adoraient, on en a créé de nombreuses variétés artificielles en bouteilles ou en sachets auxquels on devait ajouter de l’eau. Puis vinrent les jus concentrés congelés auxquels on ajoutait de l’eau, dans les années 1970. Aujourd’hui, les grandes compagnies de jus font venir leurs jus en vrac dans des trains réfrigérés avant de les embouteiller ou de les mettre dans des cartons imperméables, nature ou en mélange. C’est A. Lassonde de Rougemont qui a bâti la plus grande entreprise de jus, au Québec, en 1918. Le jus de pomme a précédé le jus d'orange offert maintenant en bouteille de vitre ou de plastique.
C'est un bio-chimiste américain, Elmer Mc Columm qui partit l'engouement pour la consommation de jus d'orange, le matin, aux États-Unis, dans les années 1920, pour s'assurer de sa ration quotidienne en vitamine C. L'habitude est passée chez nous dans les années 1950, dans tous les hôtels québécois.
La cuisine avec du jus d'orange remonte au XVIIe siècle, en France. Les livres de cuisine de l'époque écrits par Menon, Varenne et Liger ont tous recours au jus d'orange dans les recettes de poissons ou d'entremets. À titre d'exemple, voici ce qu'écrit Nicolas Denys, un explorateur français de la Nouvelle-France, établi en Acadie, en 1672.
"L'on couppe ces nageoires [au flétan] tout autour de la largeur de quatre grands doigts, puis l'on les couppe par tronçons qu'on met en broche, on les fait rotir & on les mange au vinaigre estant assez gras d'eux-mesmes, ce n'est pas que boüillis & mis au beurre & en toute autre sauce que l'on peut faire à la sole ils ne soient excellents, & mesme le corps au court boüillon avec de bonnes herhes [sic] & de l'orange; j'en ay mangé quelquefois que j'ay trouvez bons, il s'en pesche si grand nombre que l'on s'en dégoute, & sont si prodigieux, qu'à peine pourra-on croire, qu'un fletan ou solle soit capable de donner à dîner à quarante ou cinquante personnes, c'est tout ce que deux hommes peuvent faire que d'en porter un dessus un boyart" Tiré de Récit d'histoire naturelle/ Amerique septentrionale 1672 (2), p. 261-262.
Les livres anglais du XVIIIe et XIXe siècle font tous référence au jus et au zeste d'orange, en particulier dans les desserts. La cuisine québécoise originaire, entre autres, des cultures française et brtitannique met désormais le parfum d'orange dans des dizaines de desserts. On en trouve dans les crème de toutes sortes, les bavarois, les crèmes glacées, les cossetardes, les crêpes, les gaufres, les aumonières, les beignes, les biscuits, les galettes, les tartes patrimoniales comme la tarte à la farlouche ou aux raisins secs, celles aux bleuets, à la rhubarbe, à la citrouille, aux atocas, dans des pains sucrés ou des gâteaux de toutes sortes, dans des charlottes, des poudings au pain, au riz, à la vapeur, à la rhubarbe ou aux pommes. On associe le jus d'orange à plein d'autres fruits comme les fraises, les mangues, les ananas dans des salades de fruits.
Mais la science évolue. Le verre de jus d'orange est en fait aussi sucré qu'un verre de coca cola régulier. Les nutritionistes favorisent donc plus une consommation du fruit nature plutôt que de son jus. Il faut 3-4 oranges pour faire und tasse de jus. Heureusement, les recettes qui utilisent le jus d'orange n'en utilisent jamais autant par portion. Sur ce, je vous souhaite une bonne semaine avec des recettes qui peuvent vous donner des idées.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec
1. LAMBERT, Michel, Histoire de la cuisine familiale du Québec, Vol 5, le monde à notre table: ses cuisines et ses produits, GID, 2013, 987 p.