Nous sommes de retour!

Souhaitons-nous de la persévérance en ces temps ardus de confinement qui se prolongent. La cuisine peut-être un réconfort, sinon un nouveau champ d'expériences pour briser l'isolement et l'esseulement. Si on peut faire livrer de la nourriture de restaurant, on peut aussi livrer les plats préférés de nos enfants ou petits enfants sur leur balcon, s'ils n'habitent pas dans une autre région que la nôtre, ou manger ensemble, en zoom ou Face Time, comme plusieurs l'ont fait dans le temps des Fêtes.

De mon côté, je continue à cuisiner les légumes de mon petit jardin que j'ai congelées, l'été et l'automne dernier. Et je finalise avec l'équipe de la maison d'édition Cardinal, mon dernier projet d'écriture avec mon amie poétesse Élisabeth Cardin, co-propriétaire du restaurant Manitoba, le talentueux chef Simon Mathis et le photographe attentif de notre territoire collectif, Philippe Richelet. Notre livre parlera de culture culinaire québécoise de façon historique, sociologique et poétique. Je m'occuperai de l'approche sociologique et historique, Élisabeth exprimera de façon poétique sa manière d'entrer en relation avec notre patrimoine culinaire, aujourd'hui, et Simon incarnera le futur de notre cuisine par sa créativité qui renouvellera nos traditions culinaires. Si les règlements permettent l'impression de notre livre à la fin de ce confinement intense, notre livre devrait sortir à la fin mars. Ça fait d'ailleurs quelques fois que l'un de notre équipe en parle à Radio-Canada et dans les médias sociaux. Je vous reviendrai avec les détails précis de la sortie du livre de même qu'avec son titre choisi par la maison d'édition, au mois de mars.

Quant aux sujets prévus jusqu'aux prochaines vacances estivales, nous les consacrerons aux différents types de boissons de notre patrimoine que l'on utilise occasionnellement dans notre cuisine familiale. Chaque semaine aura sa boisson vedette. Et je vous donnerai, la plupart du temps, un certain nombre de recettes de mon quotidien inspirées par ma collection de recettes familiales des régions du Québec ou du monde, présentées sous le titre Recettes de la semaine.

Commençons donc la série avec le vin blanc

Voici un extrait de ce que j'écrivais dans mon 5 e volume consacré aux aliments du monde sur notre table ( La Cuisine familiale du Québec, Volume 5, Le monde à notre table: ses cuisines et ses produits, paru chez GID, en mai 2013, p. 729-730) : "Le vin a eu des hauts et des bas dans notre histoire culinaire. Au début de la colonie, les gens un peu plus fortunés et les prêtres en buvaient. Les jésuites décrivent les habitudes culinaires des Autochtones en mentionnant toujours qu'ils n'avaient ni vin ni pain, exprimant, par là, que cela leur manquait certainement beaucoup dans leurs expéditions en forêt. Mais pour les (Français) les plus pauvres, le vin représentait une denrée rare qu'on gardait pour les fêtes ou le dimanche seulement. Comme le raconte le père Le Jeune en 1636, leurs jeunes engagés recevaient, tous les jours, une chopine de cidre ou un peu de bière et parfois "un coup de vin aux bonnes festes". Selon Pierre Boucher à qui on demandait ce qu'on buvait au Canada, il répondait, au milieu du XVIIe siècle (1664) : " Du vin dans les meilleures maisons (lire les gens plus fortunés comme les administrateurs, les bourgeois, les religieux); de la bière dans les autres; un autre breuvage qu'on appelle du bouillon, qui se boit communément dans toutes les maisons; les plus pauvres boivent de l'eau qui est fort bonne et commune en ce pays-ci". En 1750, le vin était encore la boisson préférée des Français les plus aisés. Voici ce que raconte le voyageur suédois Kalm, observateur de notre société, à cette époque :" Le vin est à peu près la seule boisson du Canada chez les gens de qualité. La majeure partie du vin consommé ici est le vin rouge de France. On dispose également de vin blanc, mais on n'en boit pas aussi fréquemment. Qu'il s'agisse d'un prêtre, d'un employé aux écritures, d'un commerçant ou de n'importe quelle autre personne au-dessus du commun, que celle-ci soit à la maison ou en voyage, elle ne boira ordinairement rien d'autre que du vin, surtout si elle est native de France."

Le vin blanc était utilisé aussi pour faire la cuisine sur les bateaux qui traversaient l'Atlantique quand on n'avait plus d'eau potable; ce qui arrivait toujours lorsque la traversée durait plus d'un mois. On l'utilisait entre autres pour cuire les poules qu'on amenait vivantes ou certains poissons qu'on pêchait en mer. Cette tradition s'est probablement perpétuée chez certaines gens plus fortunées de la Nouvelle-France. Les Inventaires de la place Royale de Québec relevées par la greffe des notaires de l'époque (ANQF) appuient cette hypothèse. Sous le Régime français, les vins provenaient principalement du sud de la France et de l'Espagne. Sous le Régime anglais, les administrateurs anglais faisaient des importations privées de vins rouges de Bordeaux. Les Français demeurés au pays n'avaient plus accès aux vins de la mère patrie. Il fallut attendre le XXe siècle pour voir réapparaître le goût pour le vin blanc. D'ailleurs, les premiers vignobles du Québec ont produit des vins blancs avec des cépages d'origine américaine comme le Minnesota 78, le Maréchal Foch, le Léon Millot ou l'Éona. On en a présenté quelques-uns à l'Expo universelle de Montréal, en 1967. Aujourd'hui. on compte plus d'une centaine de vignobles au Québec qui produisent, entre autres du vin blanc. Au début des années 2000, plusieurs ont gagné des prix dans des concours internationaux, lors de dégustations à l'aveugle. Ils sont faits à partir d'une vingtaine de cépages adaptés à notre climat, comme le Seyval Blanc.

Je vous donne, cette semaine, une dizaine de recettes québécoises avec du vin blanc.

L'observation attentive de nos recettes révèle que nous suivons principalement la tradition française dans notre utilisation du vin blanc en cuisine. Voici un autre extrait de mon volume 5, p. 732, qui le démontre: "Nous en mettons dans certaines gelées pour le déjeuner, comme celle aux lilas, aux roses ou à la rhubarbe. Dans les entrées, on en trouve dans nos terrines de lapin ou de lièvre, dans les crêpes au crabe, les aspics au fromage blanc et les escargots au beurre d'herbes. Les potages à la citrouille et aux carottes, les soupes aux champignons, aux huîtres, à la truite, et les crèmes d'artichauts, de poivron rouge ou d'escargots en reçoivent. Nous apprécions le vin blanc dans les plats principaux au fromage comme nos fondues au fromage québécoises. Beaucoup de poissons de mer, de lac ou du fleuve sont cuisinés avec notre vin vedette, tout comme les coquillages, le crabe et les crevettes. Presque toutes les viandes blanches, sous toutes leurs coupes, sont cuisinées au vin blanc: en particulier la perdrix, le lapin et le veau, suivis du porc, du poulet, du faisan, de la dinde et des cuisses de grenouille. Le chevreuil, le lièvre, l'outarde, les canards sauvages l'accueillent dans leurs ragouts, et l'orignal, dans sa marinade; les ragouts de boeuf, d'agneau, d'oie et de canard domestique font de même. Certains plats d'accompagnement aux légumes comme le poireau, les champignons, le fenouil, de même que des riz ou des gratins de pommes de terre l'aiment bien. On en met finalement dans les desserts, dans certaines salades de fraises ou certains poudings au riz et aux fruits frais." Tous ces exemples prouvent bien que nous gardons la tradition française de la cuisine au vin blanc.

Nous parlerons du vin rouge, la semaine prochaine.

Bonne semaine à tous,

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec