Ne pas confondre laitue et salade !

Quand j'étais petit enfant, à Albanel, on ne parlait pas de laitue, mais de salade. C'est qu'on utilisait, en été, que de la laitue frisée de type Grands-Rapids pour faire la salade chaude ou froide. J'ai expliqué, la semaine dernière, comment ma mère faisait la salade chaude en attendrissant ses échalotes vertes dans de l'huile avant d'ajouter le vinaigre et les assaisonnements à la laitue qui ramollissait aussitôt. Cela rappelait le temps où l'on faisait la salade avec de la graisse de lard salé chaude plutôt qu'avec de l'huile. La salade froide se faisait aussi souvent avec de la crème ou des cailles (lait caillé) qu'avec une vinaigrette au vinaigre blanc et à l'huile végétale. En hiver, la salade se faisait essentiellement avec du chou haché finement au couteau. Ce n'est qu'à mon adolescence que j'ai goûté à une salade de betteraves, chez mon chef scout, et que j'ai compris que la salade pouvait se faire avec n'importe quoi comme la laitue pouvait se manger de multiple façons et non pas seulement en salade. Donc, qui dit salade ne dit pas laitue, et vice-versa.

Savez-vous que les Grecs ont été les premiers à s'intéresser à ce légume? Mais ils ne le plantaient pas pour ses feuilles, mais pour son tronc autour duquel s'accrochent les feuilles. Ceux qui ont déjà planté de la laitue Grands Rapids comprennent ce que j'explique; quand la laitue monte en graines, elle peut mesurer plus de 30 cm de haut et fournir un tronc  de 2 cm d'épaisseur. C'est ce légume qu'on aimait, en particulier pour son amertume dégagée par une substance lactique qui se présente aussitôt qu'on coupe le tronc ou les feuilles. On coupait la plante en bouts qu'on cuisait avec du miel et du sel. Les Grecs auraient aussi commencé la coutume de manger les feuilles avec un peu d'huile d'olive et du sel. Le mot salade vient d'ailleurs du latin salata qui veut dire "salé". La salade grecque est passée en Italie lors de la conquête de la Grèce par Rome, puis s'est rapidement répandue en Europe, avec la conquête de l'Europe par Rome. Lorsque les Germains sont entrés en scène, dans le même territoire, ils ont apporté leur coutume de manger des feuilles avec du vinaigre. Sont alors apparues plusieurs types de feuilles et de laitues apprêtées désormais de multiples façons, dans le monde.

À quand remonte la culture de ce légume par l'être humain? Elle date de plusieurs millénaires puisqu'on a trouvé la trace de la laitue scariole (escarole) dans des tombes égyptiennes qui datent de 6 500 ans. Les Égyptiens cultivaient la laitue pour ses graines avec lesquelles ils faisaient de l'huile. Quant aux Grecs et aux Romains, ils ont cueilli une laitue sauvage qui poussait chez eux et dont les jeunes feuilles n'étaient pas trop amères. C'était de la laitue vireuse (lactuca virosa) qu'on a appris à connaître et à utiliser pour ses propriétés hypnotiques, narcotiques semblables à l'opium. Pendant plusieurs siècles, on a utilisé la substance blanche dégagée par la scarole pour endormir les patients qu'il fallait opérer. De plus, les disciples de Pythagore, dont plusieurs moines du Moyen Âge, l'utilisaient pour calmer leurs désirs sexuels. 

Avec le temps, les jardiniers ont créé des dizaines de laitues sans tronc, comme la laitue romaine. Au premier siècle, on comptait 9 sortes de laitue, selon Pline l'Ancien (23-79). Les Chinois cultivent plusieurs sortes de laitue depuis le Ve siècle. En Europe, les laitues se sont multipliées à partir des expériences pratiquées par les jardiniers royaux, au XVIIe siècle. Ce sont eux qui ont créé les laitues pommées comme la Boston ou l'Iceberg. On a alors vu apparaître des laitues rouges, jaunes et blanchâtres avec toutes les nuances de vert et de forme. Les horticulteurs contemporains continuent de créer, chaque année de nouvelles variétés peu à peu accessibles chez nos semenciers. On en compte présentement 2 160 variétés.

C'est Jacques Cartier qui a planté la première laitue au Canada, en 1541, à Pont-Rouge, près de Québec. Champlain planta de la laitue dans l'enceinte de son Abitation en 1618. Les missionnaires récolets se plantèrent de la laitue avec des fleurs comestibles qu'ils mettaient dans leurs salades, dès 1620. Les pêcheurs bretons et normands qui débarquaient sur les côtes de la Gaspésie, à la fin du XVIe siècle, pour arranger et faire sécher leur morue, se plantaient, chaque année, de la laitue et des herbes potagères. Le capitaine anglais qui mit le feu aux installations de pêche de Pabos et de Grande-Rivière, en Gaspésie, en 1759, souligne qu'il y avait de la laitue dans les jardins des pêcheurs normands et bretons. Les autochtones qui n'aimaient pas, à l'origine, les feuilles vertes, les adoptèrent assez rapidement puisqu'on trouve la mention de la laitue dans leurs jardins, même dans le nord comme à Saint-Augustin, en Basse-Côte-Nord, ou à Weymontachie de même qu'au lac Abitibi, au XVIII et XIXe siècle. Enfin, les ouvriers qui bâtirent les barrages de Caniapiscau, dans le Nord-du Québec, se plantaient de la laitue en serre, au nord du 55 e parallèle, dans les anmnées 1970. Ils reproduisaient ainsi ce qu'avait fait les premiers Bretons installés, à Blanc Sablon, au début du XVIe siècle.

Je vous invite à lire les textes que j'ai écrits sur les différentes sortes de laitues populaires chez nous, comme la laitue frisée, la feuille de chêne, l'iceberg, la romaine, la Boston, la scarole, la batavia, la scarole et la chicorée.

Dans l'Antiquité, les Grecs et les Romains mangeaient la salade en début de repas. C'est Néron qui commença à manger de la salade avec ses viandes, donc en accompagnement du plat principal. Puis, en France, on s'est mis à manger la salade après le plat principal, avant la poire et le fromage, à partir du XIXe siècle. Au Québec, on a longtemps considéré la laitue comme une salade d'accompagnement avant de la manger, aujourd'hui, de multiples façons, en potage, en légume d'accompagnement ou en salade.

Rien ne vaut une laitue qu'on ramasse soi-même, feuille à feuille, dans son jardin!

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec