Encourageons nos éleveurs d'agneau, pour Pâques!

Avec le confinement qui s'annonce pour Pâques, les tables familiales ne seront pas aussi grandes et combles que d'habitude. L'agneau québécois peut s'avérer un choix festif approprié. Nos marchands préparent de plus en plus de petites portions pour l'agneau : côtelettes, braisé d'épaule, partie de gigot d'environ 350 g, agneau haché, agneau en cubes, peuvent faire l'affaire et stimuler la créativité. Si le temps le permet, on pourra sortir le barbecue pour une cuisson rapide même si on n'a pas eu le temps de faire remplir notre bonbonne de gaz. Une cuisson lente et longue est aussi possible, avec notre confinement à la maison.

Voici un rappel historique de la cuisine de l'agneau, chez nous, en ce début de printemps.

" Le mouton est un animal que l'homme élève depuis 12 000 ans. Les plus anciennes preuves de cet élevage nous viennent d'Irak. Nos ancêtres celtes le laissaient paître dans les prés, avec les porcs, aux abords des forêts. Mais les moutons avaient leur lot d'ennemis, en particulier au Moyen Âge lorsque les loups étaient encore très présents, en Europe. Quoi qu'il en soit, les moutons ont été apportés au Canada par Jacques Cartier, en 1541. Mais les bêtes ont été mangées pendant l'hiver par la première communauté française du pays qui est retournée en France, au printemps, incapable de s'adapter au dur hiver québécois. Champlain en a donc ramené à Québec, en 1608.

Vers 1680, la colonie comptait plus de 500 moutons dont la moitié appartenait aux communautés religieuses. La laine était recherchée pour faire les vêtements et les draps, comme le raconte le père François Le Mercier, en 1667. Sous le Régime français, les moutons étaient vendus ou abattus, lorsqu'ils devenaient infertiles, au début de l'hiver, comme le porc et les oies. Vers 1850, le Québec comptait plus de moutons que de vaches laitières. Les familles comptaient une dizaine de moutons par ferme, en moyenne. L'automne, on vendait les vieux moutons et l'on s'en gardait un ou deux pour manger pendant l'hiver. Dans Charlevoix, lorsque les dégels arrivaient avant le printemps, on fumait le mouton plutôt que le perdre. Cette tradition s'est perpétuée au Saguenay comme j'ai pu le constater à Laterrière. La grande région de Québec, des deux côtés du fleuve, a consommé plus de mouton et d'agneau que les régions de Trois-Rivières et de Montréal. J'ai recueilli de nombreux témoignages de consommation de mouton et d'agneau jusqu'à la Première Guerre mondiale. Les communautés religieuses en servaient beaucoup dans leurs pensionnats, leurs séminaires et leurs hôpitaux de l'époque. Au Séminaire de Saint-Hyacinthe, en 1908, on servait le mardi et le samedi, une sauce blanche au sang de mouton; le dimanche, du mouton rôti avec une sauce, le mercredi une sauce au boeuf et au mouton bouilli, le lundi, des côtelettes de mouton rôties avec des betteraves."

" La majorité franco-québécoise est ambivalente par rapport à l’agneau. Ses racines catholiques donnent une importance majeure à cet animal dont la douceur et la non-violence incarnent le Christ, représentant de Dieu sur notre planète. Ne l’appelle-ton pas l’agneau de Dieu, lors du rituel majeur de la messe ? Ce symbole remonte, en fait, à la très haute antiquité, au Moyen-Orient. L’agneau, encore aujourd’hui, représente le sacrifice qu’on offre à Dieu en signe de soumission et de vénération. La Bible illustre parfaitement le rôle symbolique de l’agneau dans l’histoire du judaïsme puis des religions apparentées comme le christianisme et l’islam. Par conséquent, l’agneau qui était un animal secondaire chez nos ancêtres européens est devenu un animal majeur lors de leur conversion au christianisme, à cause de la force de son symbole.

De plus, le haut-clergé catholique du Québec s’est servi de ce symbole pour inculquer la soumission à leur autorité ecclésiale combinée à l’autorité de l’Angleterre qui avait conquis le Québec, en 1760. Le petit mouton qu’on faisait parader avec le petit Saint-Jean-Baptiste, à la fête de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin, était, en fait, l’image ultime de la soumission d’un peuple à son église et son gouvernement, les 2 pouvoirs en connivence de notre société. Le choix d’un enfant pour jouer le rôle de Saint-Jean-Baptiste n’était pas anodin ; il illustrait une belle et pure soumission en exemple.

Mais nos ancêtres avaient un souvenir atavique encore plus intense que ce symbole de l’agneau venu d’ailleurs. Chez les Celtes et les Germains, l’agneau était le symbole de la survie humaine, en pays nordique. On l’élevait avant tout pour sa laine pour pouvoir traverser les longs hivers de l’hémisphère nord de notre planète. Nos ancêtres autochtones vivaient la même chose avec les fourrures de l’Amérique. Lorsque nos ancêtres scandinaves sont venus explorer la Basse-Côte-Nord et l’extrême-nord de Terre-Neuve, en l’an 1000, ils apportèrent des moutons qu’ils tondirent sur place pour renouveler leur linge. Leurs récits historiques parlent de cette installation en disant même qu’ils offrirent du lait aux autochtones, comme marque d’amitié. Cela ne pouvait être du lait de vache, mais bien du lait de brebis, selon les archéologues que j'ai rencontrés à l’Anse-aux-Meadows.

Pour revenir à notre ambivalence, les premiers colons français de la Plaine du Saint-Laurent mangeaient tous du mouton et de l’agneau au bout de leur âge, comme on le faisait avec les autres animaux. Les animaux en surplus qu’on commença à avoir au XVIII e siècle, furent tués un peu plus jeunes, au milieu de l’été jusqu’aux premiers grands froids de novembre. Le veau et l’agneau frais étaient donc des viandes d’été. À la fin novembre, au moment d’entrer les troupeaux dans l’étable ou la bergerie, on abattait les animaux qu’on ne voulait pas garder puis on les gelait pour les conserver dans des barils d’avoine.

On pouvait donc aussi manger de l’agneau ou du mouton en hiver, comme on le faisait dans certaines familles. Au milieu du XIXe siècle, des acheteurs de mouton commencèrent à passer par les villages. On voulait des moutons pour la laine et la viande que l’on vendait particulièrement aux familles irlandaises et écossaises qui arrivaient massivement au pays. Les familles qui n’aimaient pas l’odeur du mouton mettaient leurs surplus de moutons en vente. Dans certains villages le long du fleuve Saint-Laurent, on conduisait les moutons vendus jusqu’au quai du village où on les embarquait sur des goélettes pour Montréal ou Québec. Il fallait même bâtir des clôtures sur les routes du village pour empêcher les bêtes de s’enfuir vers une autre destination. Des chiens les poussaient vers le bateau.

En résumé, le mouton n’était pas populaire partout mais nécessaire pour vivre au Québec. Certaines familles savaient bien l’apprêter, comme celle de ma grand-mère maternelle, les Gaudreault. Mais les Lambert détestaient le mouton qu’ils préféraient vendre aux marchands. Ces moutons d’Albanel étaient embarqués dans les wagons du train qui les amenait vers Montréal ou Québec. La gare était à deux pas de la ferme de mes grands-parents. J’y allais avec mes jeunes oncles, tous les soirs. C’était l’activité quotidienne à faire. Voir arriver et partir les « gros chars », comme on le disait, à l’époque !

Je vous invite à revisiter les recettes des quelques familles qui aimaient cette viande. L’agneau du Québec d’aujourd’hui est tout simplement magnifique. N’hésitez pas à la mettre au menu. Suivez les conseils des chefs pour sa cuisson et développez votre propre technique de cuisson.

Cuisiner de l'agneau, c'est plus que se nourrir. C'est poser une geste culturel qui nous relie à une ou plusieurs grandes civilisations, dans l'espace d'un repas. 

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec