Soumis par Michel Lambert le
Avant de parler de nos épices et de nos assaisonnemts préférés, il nous faut clarifier le sens de ces mots, car plusieurs d'entre nous mélangent le sens de ces mots. Les épices sont souvent confondues avec les herbes aromatiques comme le thym ou le persil. Pourtant les deux catégories dont on parle sont bien issues de plantes, mais pas au même stade de la cueillette. Les herbes aromatiques sont essentiellement des feuilles aromatiques qu'on utilise fraîches, salées, congelées ou séchées pour parfumer nos plats. On parle ici d'herbes comme l'aneth vert, l'anis vert, le basilic, le baume-mélisse, le cerfeuil, la ciboulette, la coriandre verte, les oignons verts, l'estragon, le fenouil vert, le laurier, la livèche, la marjolaine, la menthe, l'origan, l'oseille, le persil, le romarin, la sarriette, la sauge, les feuilles de céleri et le thym que nos ancêtres européens ont apportées au Québec. Les autochtones nous ont aussi initiés à des herbes aromatiques locales que plusieurs de nos ancêtres ont incluses dans leur cuisine, particulièrement lorsque les herbes européennes n'avaient pas levé dans leur jardin ou que les marchands n'en avaient pas reçus de France. On parle ici des feuilles d'ail des bois ou d'ail doux, des branchettes de cèdre (thuya canadien), du chou gras aussi connu sous le terme de poulette grasse, de laiterons des champs ou de jardin, de la livèche écossaise connue sous le nom de persil sauvage, du myrique baumier plus connu sous le nom de bois de senteur qui remplace le laurier, de l'oxyrie de montagne et de la petite oseille avec leur gout acidulé, de nos menthes sauvages, des roses sauvages, du thé des bois et d'encore plusieurs autres herbes sauvages. Nos ancêtres celtes nous ont légué les "herbes salées" que nos mères ont continué de faire jusqu'à tout récemment; les recettes varient d'une famille et d'une région à l'autre, mais on y retrouve le plus souvent, des queues d'oignon blanc, du poireau, du persil, de la sarriette, du cerfeuil, des feuilles de céleri ou de livèche, parfois des herbes sauvages comme le chou gras ou la livèche écossaise, parfois de jeunes feuilles de carotte, de petit navet blanc ou de betterave, parfois des dés de petites carottes ou de haricots jaunes. Les herbes salées parfumaient presque toutes nos soupes de légumineuses, en hiver, de même que nos soupes au riz ou à l'orge dans les inter-saisons. Nos herbes préférées sont bien françaises, avec le thym, le laurier et le persil qu'on baptise "bouquet garni" en France. Mais nous aimons particulièrement aussi la sarriette et la marjolaine qui accompagnent nos plats traditionnels depuis le temps de la Nouvelle-France. Les Britanniques nous ont fait redécouvrir la sauge et la menthe au XIXe siècle et les Italiens ont renouvelé notre amour pour le basilic, le fenouil et l'origan; toutes des herbes que l'on plantait au temps de la Nouvelle-France. Les herbes séchées se vendent aussi en mélange depuis le milieu du XIXe siècle; les épices à volaille (sic) sont particulièrement populaires avec la dinde ou le poulet, même si elles ne comprennent que des herbes séchées et non des épices.
Les épices, d'autre part, sont plutôt des graines, des écorces ou des racines de plantes aromatiques, la plupart du temps séchées et réduites en poudre. Les plus connues sont d'origine exotique et se vendaient autrefois à fort prix, à cause de l'éloignement de leur origine. La vraie cannelle est l'écorce d'un arbuste tropical poussant au Sri Lanka et au Myanmar. La fausse canelle nous vient de Chine et s'appelle plutôt la casse; elle est plus forte, plus amère et plus âpre que celle du continent indien. C'est cette dernière que nos épiceries nous vendent parce qu'elle est moins dispendieuse que celle du Sri Lanka ou du Myanmar. Le clou de girofle, le macis et la muscade nous viennent des îles Moluques, au sud des Philippines. Le clou de girofle est un bouton de fleur que l'on cueille avant la floraison et que l'on fait sécher sur des nattes jusqu'à ce qu'il soit brun, sec et très parfumé. Le gingembre est un rhizome qui pousse en Inde et en Chine; on le cuisine aujourd'hui, frais, particulièrement en cuisine asiatique, ou séché et moulu, comme on le faisait au temps de la Nouvelle-France. Les Britanniques qui l'aiment beaucoup lui ont donné la vedette dans plusieurs desserts que nous avons adoptés. Ces épices sont celles qui ont le plus marqué notre cuisine comme elles continuent toujours de marquer la vieille cuisine française; on les retrouve dans les vieux ragouts, les pâtés de campagne, les tourtières ou cipâtes, le boudin, les cretons, les civets. Les Anglais les associaient davantage aux desserts -- la cannelle avec les pommes, par exemple. J'ai rencontré plusieurs fois, l'appellation des 3 épices-soeurs pour la cannelle, clou de girofle et muscade. Quant aux autres épices, ce sont souvent des graines séchées de plantes vertes, qu'on utilise entières ou moulues; je pense ici aux graines de cumin, de coriandre, de cardamome, d'aneth, de carvi, de fenugrec, de moutarde, de nigelle, de pavot, d'anis, de céleri, de fenouil, de genévrier. Et il y a les pistils comme le safran, les petits piments forts dont on garde les graines et la chair séchées, les racines de curcuma, et le poivre des dunes issu des fruits séchés de l'aulne crispé, typique du Québec.
Dès le XIXe siècle, on vendait les épices en mélange pour faire des ketchups, des marinades, des charcuteries ou des pâtisseries. Nos mères se gardaient toujours des épices à marinade pour faire leurs provisions pour l'hiver et se procuraient des 4-épices pour leurs charcuteries ou leurs gâteaux aux épices. Aujourd'hui, plusieurs compagnies nous préparent des mélanges d'épices qu'elles associent à différents types d'aliments, de marinades ou de sauces. La plupart se baptisent "assaisonnements à..." parce qu'en plus du mélange secret d'épices, les mélanges contiennent du sel et du poivre noir qui sont spécifiquement les assaisonnements d'office de tous les plats de la cuisine occidentale.
Notons en terminant que les épices et les assaisonnements ont largement influencé l'histoire du monde et les rapports entre les peuples. On doit la découverte des autres continents à la recherche des épices comme on avait eu droit aux premières guerres ethniques à la recherche du sel: ce qui démontre l'importance de ces aromatiseurs dans les cultures culinaires du monde! Chez les autochtones, on aromatisait nos aliments de base plutôt avec de la fumée, un peu de sucre et d'acidité pris dans les petits fruits, dans l'huile des noix, des graines, des poissons et des mammifères. Ce qui démontre que tous les peuples aiment modifier le gout initial de leurs aliments pour changer le quotidien, pour vivre le plaisir de la nouveauté!
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec