Soumis par Michel Lambert le
Toutes les recettes de ce site sont tirées de ma longue recherche auprès de nos ainées, y compris de ma mère et de mes tantes. Mais je ne peux dire exactement où elles ont pris ces idées. Faisons le tour de mes hypothèses de réponses.
Avant l'arrivée des Européens, les nations autochtones se réunissaient plusieurs jours, chaque été, dans des lieux qui pouvaient accueillir des centaines de personnes; Tadoussac, Trois-Rivières, la Pointe de Lévis, le Cap-Tourmente, Desbiens au Lac-Saint-Jean, faisaient partie de ces lieux de rencontre. On mangeait ensemble, on dansait, on partageait les bonnes et les mauvaises nouvelles de son pays d'origine, on échangeait des biens (pontes de flèches, fourrures, écorces, tabac, farine de maïs, et bien sur des recettes nouvelles. C'est lors de ces rencontres que les nations les plus nordiques expérientaient les denrés européennes, de l'Ouest canadien ou américain ou du Sud des États-Unis. Les mariages interethniques venaient solidifier ces échanges culinaires.
L'arrivée des Français transforma les cuisines autochtones en ajoutant de nouveaux outils de cuisine et de nouveaux aliments. Les coureurs des bois furent les premiers transmetteurs de la cuisine européenne aux autochtones, et vice-versa. Lorsqu'ils revenaient chez eux, ils enseignaient la cuisine autochtone à leurs soeurs et leur maman. La cuisine française était aussi partagée par les femmes mariées qui venaient s'installer au Canada. Chacune amenait les recettes de sa famille, sinon de son patelin. Ces femmes eurent beaucoup d'influence sur la cuisine québécoise de la Nouvelle-France parce qu'elles en savaient beaucoup plus en cuisine que les filles du Roy qui débarquaient d"orphelinats de Paris. Ces dernières savaient coudre et écrire, mais ne savaient pas cuisiner. C'est Marguerite Bourgeois qui avait la responsabilité de leur donner les bases de la cuisine française, à leur arrivée à Montréal. À Québec, les femmes nées au pays avaient eu le privilège d'être initiées à la cuisine française, marquée par la cuisine normande très populaire dans la grande région parisionne, à cause de M. Béchamel qui dirigeait les cuisines du roi. La cuisine normande fut particulièrement propagée par Hélène Desportes, la femme de Guillaume Hébert, fils de Louis Hébert, parce qu'elle était originaire de Lisieux, en Normandie. Sur son vieil âge, elle eut beaucoup d'influence sur la première génération des femmes québécoises, tant sur la rive nord que sur la rive sud de Québec. La cuisine se transmettait alors de bouche à oreille.
Par après, les journaux de Québec se mirent à faire la promotion de nouvelles techniques d'agriculture et de nouvaux moyens de conservation et de cuisson des aliments. Les gens abonnés à des journaux découpaient ces recettes pour les mettre dans leur carnet de recettes familiales. En 1840, sortit le premier livre de recettes québécoises; il était inspiré du livre La Cuisinière bourgeoise de Menon, très populaire en France, et diffusé largement au Canada français. Par la suite, au début du XXe siècle, les compagnies de farine et de multiples produits alimentaires commençèrent à publier de multiples fascicules qui étaient distribués à peu de frais aux consommateurs. La radio des années 1930, puis la télévision des années 1950 poursuivirent ce travail de diffusion de la cuisine. Quand on étudie l'origine de ces recettes, on s'aperçoit qu'elles sont surtout d'origine française, britannique et américaine. Mais on commence aussi à voir l'influence de certains groupes ethniques dans notre cuisine, en particulier les communautés d'Europe de l'Est installées dans l'Ouest canadien, celle des Italiens de Montréal et de Toronto, celle des Chinois, des Juifs installés dans ces villes.
Avec l'arrivée des librairies, on commence à recevoir des magazines de recettes directement de la France, du Canada anglais et des États-Unis. Les vedettes des émissions culinaires québécoises publient toutes leurs livres de recettes qui ont un succès véritable auprès de toutes les familles: pensons è Germaine Gloutnez, à Soeur Berthe, à Soeur Angèle, à Juliette Huot, à Claudine, à Daniel Pinard, puis à nos chefs comme Daniel Vézina jusqu'à Ricardo. Renaud Bray et Archambeault continuent de diffuser plein de magazines de ce genre venant de France, des États-Unis et même d'Australie. La langue devient le passage facilitateur des recettes. L'arrivée d'Internet et la possibilité de traduire toutes les langues du monde fait en sorte qu'il n'y a désormais plus de limite sinon l'accès aux aliments locaux, eux-mêmes.
Je profite de l'occasion pour saluer tous nos lecteurs de langue française, du monde, de même que ceux qui nous consultent à l'aide de leur traducteur.
Bonne cuisine à tous.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec