Soumis par Michel Lambert le
Je réfléchis beaucoup, ces temps-ci, sur le rapport entre la nature et la culture, deux composantes de toute cuisine familiale ou nationale. La nature, ce sont les aliments qui vivent depuis longtemps dans notre paysage et notre climat. Ils ont appris à composer avec les aléas de la nordicité. Mais les humains ont imaginé toutes sortes d'interventions sur la nature qui sont en train de modifier considérablement notre climat et notre nordicité identitaire. Certains de nos ancêtres ont su écouter la rivière, comme dit Gilles Vigneault; ils ont pêché les gros brochets pour se nourrir, avec respect et attention au goût spécifique du brochet de cette rivière. Leur fils qui ont parcouru le monde ont goûté à d'autres brochets d'autres rivières et n'ont pas reconnu le brochet de leur enfance parce qu'ils avaient appris à être présents et conscients lorsqu'ils avalaient un aliment. Mais certains de leurs enfants ont été attirés par le profit que pourrait leur apporter la vente de brochet sans plus accorder d'importance et d'attention au goût spécifique de leur terroir. Et ils se sont mis à vider les rivières à brochet. Ils n'ont plus écouté la rivière ni le bouleau ni le brochet de leur enfance. Ils se sont mis à vivre dans leur tête, sans contact avec le vrai, avec la réalité, la nature, la planète.
La nature a ses lois que la science nous fait découvrir de jour en jour. Les êtres vivants communiquent entre eux par divers langages que nous commençons à découvrir. Mais, nous, les Homo Sapiens, nous vivons dans notre tête, dans notre imagination, dans ce que nous appelons notre culture, de plus en plus éloignés de la nature. L'urbanisation ne nous aide pas; le bruit urbain nous éloigne du silence qu'il faut pour être attentif à la rivière, au bouleau comme au brochet, au vin blanc ou à la pomme de terre qui l'accompagne. Il nous faut réapprendre à être vraiment là, lorsque nous avalons. Si nous le faisons vraiment, nous ne gaspillerons plus, nous arrêtons de manger en regardant la télé, notre téléphone portable ou notre tablette. Nous aurons plus de plaisir en comblant tous nos sens, présents aux aliments, et nous aurons l'impression de faire aussi partie de la nature et de la planète.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec