Soumis par Michel Lambert le
Cette semaine, je revoyais une émission de télé, au canal Savoir, où mon ex-confrère de classe, Gérard Bouchard, faisait la distinction entre le multiculturalisme et l’inter-culturalisme. J’ai déjà exprimé dans un blogue précédent mon accord avec sa vision des choses. Mais cette fois-ci, c’est une question de l’animateur qui m’a fait réfléchir de même que la réponse qu’en en fait Gérard.
Si autrefois, l’identité québécoise se définissait par le souvenir d’un passé commun, bien exprimé par notre devise nationale « Je me souviens ». qu’est ce qui donnera désormais une identité nationale à tous ces gens qui arrivent chez nous, chaque jour ?
À cela, Gérard répondait que ce serait notre passé de colonisés infériorisés qui pourrait les rejoindre, car plusieurs des nouveaux arrivants partagent une expérience de gens colonisés, pauvres et exploités de toutes sortes de manière dans leur pays d’origine. Cette réponse, sans doute justifiée, me laissait perplexe, car il y a aussi beaucoup d’immigrants qui viennent chez nous avec beaucoup d’instruction et parfois de grands moyens financiers. Les fonctionnaires qui acceptent les immigrants ont pour mission de choisir des gens qui ont des hautes études, la connaissance de notre langue, une indépendance financière pour au moins une année. Ce qui fait que les arrivants n’ont pas le vécu des fondateurs de ce pays, d’origine autochtone ou européenne. Beaucoup d’immigrants parlent anglais et sont plus proches même des Anglais colonisateurs de notre pays que des colonisés d’origine autochtone, française, irlandaise et écossaise de notre population majoritaire. C’est ailleurs que dans le passé émotif qu’il faut chercher notre identité, même si la vaste majorité des Québécois en ressent encore la profonde souffrance, comme le soulignait Gérard Bouchard.
Mes longues heures de réflexion sur notre identité culinaire m’amènent à penser que c’est avant tout la réalité de notre territoire nordique qui peut rejoindre les futurs Québécois, comme elle nous a réunis dans le passé. Toutes les civilisations autochtones qui sont nées au pays venaient d’ailleurs ; elle ont apporté leur savoir, leurs croyances et leurs préférences, mais le nouveau territoire les a forcés à changer leurs anciennes habitudes et leurs anciennes croyances. La même chose s’est produite lorsque les Français, puis les Britanniques se sont installés dans le pays. La nouvelle réalité avec son climat, ses plantes, ses animaux, ses résidents déjà sur place allaient être déterminants dans la construction de notre nouvelle nation.
La cueillette de l’écorce de bouleau pour faire des canots, des maisons et de la vaisselle, celle du riz sauvage ou des noix pour faire des provisions de survie, ou celle du chanvre pour faire des filets de pêche, la culture du maïs-céréale pour échanger des outils de cuivre ou des fourrures épaisses, le commerce de l’huile de mammifère avec les Européens, la traite des fourrures avec la France ou l’Angleterre, la culture du blé et des pois à soupe pour les autres colonies françaises, la cueillette de la sève d’érable, la pêche à la morue, la coupe du pin blanc puis des bois de pulpe pour le papier, l’élevage des vaches laitières pour l’exportation de notre fromage et de notre beurre, la construction de nos barrages, l’ouverture de nos mines de fer et de nos alumineries grâce à l’abondance de notre énergie électrique, l’abondance de nos talents artistiques, tout cela a bâti notre identité nationale et continuera de la bâtir. Notre pays, ce sont nos ressources naturelles, notre agriculture et des gens avec lesquels nous avons construit des objets utiles et artistiques qui nous définissent. La même chose définit notre future cuisine: la rencontre de nos garde-manger locaux avec nos diverses cultures ethniques.
Mais, si on vient au Québec pour rester comme on est, parler sa langue d'origine, importer ses aliments de son pays d'origine, on est mieux de s'installer dans les lieux qui prônent le multiculturalisme, lequel se fonde sur la juxtaposition des cultures et leurs promotions. Cette vision prônée par la majorité canadienne anglaise crée un véritable malaise chez nous; le Canada prône des lieux de rencontre de toutes les cultures, mais respecte l'intimité et le quotidien des gens qui continuent à perpétuer leur univers d'origine. Cette vision des choses favorise l'individualisme et la ghettoisation de notre société.
Au Québec, une majorité des gens caresse toujours le rêve de Champlain de ne pas répéter la France, mais de créer une nouvelle France où les jeunes Français épouseraient des autochtones pour créer un nouveau peuple, héritier des 2 cultures. Son rêve s'est partiellement réalisé car la plupart des Franco-Québécois ont du sang amérindien ou britannique, comme l'inverse est aussi vrai à entendre les noms français ou écossais des autochtones.
Je rêve, comme Champlain, d'un Québec métissé, dont le français de la majorité continue d'être parlé et chanté, mais où l'on apprend aussi la langue de nos parents ou grands-parents venus d'ailleurs pour communiquer avec eux. Mais ce qui nous distinguera des autres peuples, sera toujours notre lien avec notre réalité territoriale avec son climat, ses ressources qui nous nourrissent et ses gens créatifs.
Nous sommes des Américains nordiques avec ses froidures et ses longues nuits. Nous aimons les grands espaces qui nous donnent le gout de la liberté, mais aussi un sens de la distanciation des choses. Nous savons que tout passe, que tout change, que tout revient ! Notre espace nous a appris la patience et l'espoir ! C'est d'ailleurs à ces vertus que nous convions les demandeurs d'asile, n'est-ce pas?
Notre avenir sera une entiré territoriale mouvante, unique par son passé et son futur.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec