Soumis par Michel Lambert le
Je disais, il y a deux semaines, qu’il était difficile de faire de la cuisine patrimoniale parce qu’elle entrait en conflit avec plein de dictats qui la trouvent trop salée, trop sucrée, trop grasse, trop protéinée, etc. Les réactions de certains d’entre vous m’amènent à préciser ma pensée et mes inquiétudes.
Ce qui me chagrine profondément, c’est la méconnaissance de notre vraie cuisine patrimoniale, de la part des scientifiques de tout acabit. La plupart de ceux qui parlent à la télévision ou dans les médias écrits se réfèrent toujours à des régimes alimentaires étrangers pour faire la promotion de leurs idées. Ils ont probablement eu une éducation culinaire déficiente dans leur milieu familial de sorte que leur recherche les a conduits à oublier, sinon condamner leur cuisine familiale. Mais, je le répète, la cuisine est différente d’une famille à l’autre et l’on n’a pas le droit d’étendre les lacunes de sa famille à toute notre société québécoise. Ces scientifiques manquent de connaissance historique et ne se basent souvent que sur des informations fragmentaires ou des préjugés.
Parlons d’abord du fameux lard salé qui est, pour eux, l’ennemi juré à abattre. On doit, selon eux, absolument le remplacer par de l’huile d’olive et toute la cuisine méditerranéenne qui va avec. C’est un gras saturé, d’une part, très dommageable pour la circulation du sang, du cœur et du cerveau. De plus, c’est un gras très salé, ce qu’il faut proscrire absolument parce que le sel augmente de façon certaine la pression avec les conséquences néfastes qui vont avec.
Je voudrais rappeler à ces gens que nos ancêtres français et britanniques prenaient toujours le temps de dessaler le lard avant de le consommer. Ils le coupaient en tranches, le couvraient d’eau bouillante et le faisaient dessaler pendant quelques minutes. Ils le faisaient ensuite fondre pour rôtir leur viande ou leur poisson ou cuire leur galette ou crêpe. On calculait, par exemple, 2 grillades de lard salé par personne, par jour, dans les chantiers de bûcherons ou de constructeurs de route. Ce qui donnait environ 30 ml de graisse saturée combinée à 250 ml de farine de blé transformée en galette, pour soutenir le travail d’un homme en pleine forme, en plein air, pendant 10 h. Les enfants, les femmes et les vieillards de la maison mangeaient légèrement le matin et le soir. Le midi, en hiver, on se contentait souvent d’une soupe de légumineuses dans laquelle on mettait un morceau de lard salé, mais auquel les convives ne touchaient pas, le gardant pour les hommes qui travaillaient dur, en dehors de la maison. Ce lard salé était là pour le gout, car on sait que c’est le gras qui transporte les molécules de saveur.
Ces données que je vous donne, je les ai trouvées dans des récits de bûcherons, dans des monographies de village et dans les témoignages des aînés que j’ai rencontrés. Ce qu’on m’a dit, aussi, c’est qu’il y avait des familles qui n’aimaient pas le lard salé et qui le remplaçaient par de la graisse d’oie ou de canard. La famille de ma mère faisait très attention au gras ; elle dégraissait toujours les bouillons. Ce qui n'était pas le cas de mon grand-père paternel qui lui demandait à ses filles de laisser ce gras sur le bouillon de viande. Il y avait donc des variantes dans la consommation des gras saturés. De plus, les jours de jeûne, lors du carême et de l’avant, on ne pouvait consommer de gras animal. On devait le remplacer par du gras de poisson ou de mammifère marin. L'huile d'olive étant trop dispendieuse.
Quant aux autochtones de langue iroquoïenne, leurs soupes de maïs étaient enrichies d’huile de tournesol ou de noix cendrée ou de loup-marin ou de béluga ou de poisson gras comme le saumon, l’esturgeon, le hareng ou l’anguille avec plein d’oméga 3.
Une fois que l’on connait toutes les nuances que l’on devrait apporter à nos jugements sur la cuisine de nos ancêtres, il est certain qu’on n’a pas leur style de vie, aujourd’hui. Même si on fait 20 minutes de marche par jour ou 20 min d’exercice physique, on n’arrivera jamais à remplacer une journée intensive de bûchage de bois ou de pelletage de gravier pour construire une route. Il faut donc adapter notre cuisine à nos besoins énergétiques. C’est pourquoi, je vous recommande d’adapter les recettes que je vous donne à vos besoins personnels et à votre état de santé.
Je ne suis pas médecin, diététiste ou chercheur en alimentation. Je suis un témoin de notre passé alimentaire et me bat contre les préjugés. Je suis fidèle aux recettes que nos ancêtres nous ont léguées en essayant de les rendre acceptables pour la majorité des gens en santé. À vous donc de les adapter et de les compléter par des légumes, des salades, comme je le fais chez moi, même si ces éléments ne font pas toujours partie de la photo de la recette.
Quant aux desserts que je vous donne, je vous rappelle que nos ancêtres le gardaient pour le dimanche. Ils n’en mangeaient pas à tous les repas même si le pot de mélasse était sur la table et répondait à la demande de certains pour une bouchée de sucre, à chaque repas. Encore là, on n’avait pas les mêmes besoins. L’excès de sucre dans notre alimentation nous est venu dans les années 1950, avec l’industrialisation des biscuits, des petits gâteaux, des céréales, des liqueurs douces, des friandises, toutes amenées par l’industrie alimentaire américaine puis canadienne.
L’histoire de notre cuisine peut nous aider à trouver des solutions pour notre santé personnelle. Le régime iroquoIen de la plaine du Saint-Laurent serait un modèle à suivre si on le connaissait mieux. Le régime français du XVIIIe siècle en serait un autre. Ces deux régimes mettaient peu de viande rouge à leur menu. Le poisson gras occupait beaucoup de place dans le régime. Et les légumes étaient présents sur la table plus souvent que les gens pensent! La solution-santé est plus souvent au pied de notre balcon qu’ailleurs ! C’est du moins ma propre expérience.
Bonne semaine à tous.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec