Comment mieux connaître notre patrimoine culinaire?

Je disais, la semaine dernière, qu’il était difficile de pratiquer la véritable cuisine de nos ancêtres pour toutes sortes de raisons dont j’aimerais vous parler davantage dans les prochaines semaines. Je parlais d’abord de la méconnaissance même de notre culture culinaire, chez nos Québécois contemporains dits de souche.

La plupart d’entre nous ont une vision réductrice de la cuisine québécoise qui se limite à quelques plats sur lesquels on se construit une réputation de cuisine roborative, grasse, lourde et mal dégrossie; en résumé, la cuisine québécoise, c’est  de la cuisine paysanne et non de la gastronomie. Et ce préjugé est transmis de façon condescendante aux immigrants qui arrivent de pays gastronomes comme la France, la Belgique, la Suisse, l’Italie, la Chine, le Liban ou la Turquie. Les gens des générations X et Y qui ont grandi avec Mac Donald réduisent, quant à eux,  notre cuisine à la poutine parce que la plupart de leurs parents ne leur ont pas transmis la cuisine de leur famille. Passionnés par les cuisines du monde, par la cuisine végétarienne et toutes les modes culinaires internationales, ils ont oublié de faire des recettes de leurs grands-mères, sinon dans le temps du jour de l’An où l’on sort les rigodons et le ragout de pattes de cochon. Les Baby Boomers n’ont pas fait leur travail de transmetteurs du patrimoine.

Il y eut cependant des gens qui étaient fiers de nos racines culinaires et qui ont publié les vraies recettes de leurs familles. Je pense d’abord à un groupe de femmes et d’hommes de la Baie des Chaleurs qui ont publié le premier livre de recettes gaspésiennes en 1948, compilées par Ethel Renouf  : The Black Whale Cook Book, famous old recipes handed down from mother to daughter, 164 p. C’est un livre vraiment instructif qui donne des recettes de familles d’origine jersiaise, anglaise, irlandaise, canadienne-française, normande, Mig-maque, acadienne, etc. Je pense aussi à Laure Portier-Bourdages qui a écrit Recettes culinaires anciennes chez Leméac, en 1983. Ce sont les origines irlandaises, innues et franco-québécoises de la Côte-Nord dont elle parle. D’autre part, Madame Cécile-Roland Bouchard d’Alma, puis de Chicoutimi, a fait la même chose en 1967, en écrivant L’art culinaire au pays des bleuets et de la ouananiche, puis Le Pinereau, l’art culinaire au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en 1971. Je n’imaginais mon pays aussi riche en recettes ! Madame Charles Gagné a écrit Quand les bateaux reviennent , donnant des recettes familiales de la Gaspésie et des Iles-de-la-Madeleine, en 1973. La même année, Lionel Séguin nous faisait connaître la cuisine du Haut-Saint-Laurent à travers ses ouvrages sociologiques, dont La civilisation traditionnelle de l’habitant au XVIIe et XVIIIe siècles.  Auparavant, Marius Barbeau avait pris le temps de ramasser plein de recettes dans les couvents des communautés religieuses les plus anciennes de la ville de Québec. De plus, chaque village qui avait son groupe de fermières  publiait les recettes de la paroisse depuis les années 1930.

Cette fierté de mes compatriotes me donna l’élan pour en savoir plus en parcourant le Québec pour trouver d’autres livres de recettes régionaux. Malheureusement, on ne trouve plus ces livres dans les bibliothèques municipales. Ils ne sont plus en demande, m’ont dit les responsables des bibliothèques et on les a rangés dans des boites, dans le fond d’un garde-robe, ou on les a carrément jetés, comme me l’ont raconté quelques responsables. Plusieurs personnes responsables de ces publications ont eu la bonne idée d’enregistrer la publication pour avoir un ISBN. On peut donc trouver ces exemplaires dans les Archives du Canada, à Ottawa, ou les Archives nationales, à Québec. Certaines Sociétés historiques, certains musées régionaux comme celui de Saint-Joseph-de-Beauce ou celui de Nicolet ont des bibliothèques qui les ont conservés. Madame Anne Fortin a ouvert, en 2016, le premier conservatoire culinaire du Québec en collaboration avec Mario Bilodeau, le directeur de l’École des métiers de la restauration et du tourisme de Montréal. C’est un lieu obligatoire pour ceux qui veulent en savoir plus sur notre cuisine.

Mais le patrimoine culinaire autochtone demeure encore faiblement représenté dans nos bibliothèques. Il faut lire les Relations des Jésuites pour avoir une idée de la cuisine autochtone au XVII et XVIII e siècles de même que les dictionnaires des langues autochtones du Québec, faits par des missionnaires qui ont œuvré longtemps dans leurs communautés, pour avoir une certaine idée de la cuisine autochtone du XIXe siècle et début du XXe siècle. Enfin, les rapports universitaires des étudiants en archéologie et en anthropologie nous donnent aussi une bonne idée des cuisines inuit ou des cuisines des nations les plus éloignées des grands centres du Québec. Les rapports archéologiques et anthropologiques des universités québécoises sont fortement instructifs à cet égard.

De mon côté, c’est la rencontre personnelle avec les ainés qui fut la source la plus intéressante pour en connaitre plus sur notre cuisine familiale. On ne raconte pas les détails les plus intéressants dans les livres parce qu’ils sont uniques et ne correspondent pas à l’expérience de la majorité ; on ne les publie donc pas. Pourtant, ils représentent une preuve incroyable de notre créativité culinaire. C’est dans ces rencontres faites dans toutes les régions du Québec que j’en ai appris le plus. Beaucoup de gens ne voulaient pas que je donne leur nom dans mes sources même si j’insistais pour le faire, avec fierté. J’ai mis les noms de ceux qui acceptaient que je donne leur nom dans les sources de mes livres, mais il y en a autant qui sont demeurés anonymes, tant dans les livres de recettes des fermières, des groupes de femme comme les Filles d’Isabelle ou de l’AFEAS, ou les groupes de personnes âgées que j’ai rencontrés dans les villages. On commence à donner des bribes de notre histoire culinaire dans les écoles de cuisine. Nos étudiants en demandent plus, comme j’ai pu le constater à plusieurs reprises. Mais qui prendra le flambeau ? Je l’attends toujours…

De bonnes lectures à tous, en attendant !

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.