Soumis par Michel Lambert le
La majorité franco-québécoise est ambivalente par rapport à l’agneau. Ses racines catholiques donnent une importance majeure à cet animal dont la douceur et la non-violence incarnent le Christ, représentant de Dieu sur notre planète. Ne l’appelle-ton pas l’agneau de Dieu, lors du rituel majeur de la messe ? Ce symbole remonte, en fait, à la très haute antiquité, au Moyen-Orient. L’agneau, encore aujourd’hui, représente le sacrifice qu’on offre à Dieu en signe de soumission et de vénération. La Bible illustre parfaitement le rôle symbolique de l’agneau dans l’histoire du judaïsme puis des religions apparentées comme le christianisme et l’islam. Par conséquent, l’agneau qui était un animal secondaire chez nos ancêtres européens est devenu un animal majeur lors de leur conversion au christianisme catholique, à cause de la force de son symbole.
De plus, le haut-clergé catholique du Québec s’est servi de ce symbole pour inculquer la soumission à leur autorité ecclésiale combinée à l’autorité de l’Angleterre qui avait conquis le Québec, en 1760. Le petit mouton qu’on faisait parader avec le petit Saint-Jean-Baptiste, à la fête de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin, était, en fait, l’image ultime de la soumission d’un peuple à son église et son gouvernement, les 2 pouvoirs en connivence de notre société. Le choix d’un enfant pour jouer le rôle de Saint-Jean-Baptiste n’était pas anodin ; il illustrait une belle et pure soumission en exemple.
Mais nos ancêtres avaient un souvenir atavique encore plus intense que ce symbole de l’agneau venu d’ailleurs. Chez les Celtes et les Germains, l’agneau était le symbole de la survie humaine, en pays nordique. On l’élevait avant tout pour sa laine pour pouvoir traverser les longs hivers de l’hémisphère nord de notre planète. Nos ancêtres autochtones vivaient la même chose avec les fourrures de l’Amérique. Lorsque nos ancêtres scandinaves sont venus explorer la Basse-Côte-Nord et l’extrême-nord de Terre-Neuve, en l’an 1000, ils apportèrent des moutons qu’ils tondirent sur place pour renouveler leur linge. Leurs récits historiques parlent de cette installation en disant même qu’ils offrirent du lait aux autochtones, comme marque d’amitié. Cela ne pouvait être du lait de vache, mais bien du lait de brebis, selon les archéologues rencontrés à l’Anse-aux-Meadows.
Pour revenir à notre ambivalence, les premiers colons français de la Plaine du Saint-Laurent mangeaient tous du mouton et de l’agneau au bout de leur âge, comme on le faisait avec les autres animaux. Les animaux en surplus qu’on commença à avoir au XVIII e siècle, furent tués un peu plus jeunes, au milieu de l’été jusqu’aux premiers grands froids de novembre. Le veau et l’agneau étaient donc des viandes d’été. À la fin novembre, au moment d’entrer les troupeaux dans l’étable ou la bergerie, on abattait les animaux qu’on ne voulait pas garder puis on les gelait pour les conserver dans des barils d’avoine.
On pouvait donc aussi manger de l’agneau ou du mouton en hiver, comme on le faisait dans certaines familles. Au milieu du XIXe siècle, des acheteurs de mouton commencèrent à passer par les villages. On voulait des moutons pour la laine et la viande que l’on vendait particulièrement aux familles irlandaises et écossaises qui arrivaient massivement au pays. Les familles qui n’aimaient pas l’odeur du mouton mettaient leurs surplus de moutons en vente. Dans certains villages le long du fleuve Saint-Laurent, on conduisait les moutons vendus jusqu’au quai du village où on les embarquait sur des goélettes pour Montréal ou Québec. Il fallait même bâtir des clôtures sur les routes du village pour empêcher les bêtes de s’enfuir vers une autre destination. Des chiens les poussaient vers le bateau.
En résumé, le mouton n’était pas populaire partout mais nécessaire pour vivre au Québec. Certaines familles savaient bien l’apprêter, comme celle de ma grand-mère maternelle, les Gaudreault. Mais les Lambert détestaient le mouton qu’ils préféraient vendre aux marchands. Ces moutons d’Albanel étaient embarqués dans des wagons qui les amenaient vers Montréal ou Québec. La gare était à deux pas de la ferme de mes grands-parents. J’y allais avec mes jeunes oncles, tous les soirs. C’était l’activité quotidienne à faire. Voir arriver et partir les « gros chars », comme on le disait, à l’époque !
Je vous invite à revisiter les recettes des quelques familles qui aimaient cette viande. L’agneau du Québec d’aujourd’hui est tout simplement magnifique. N’hésitez pas à la mettre au menu. Suivez les conseils des chefs pour sa cuisson et développez votre propre technique.
Bonne semaine à tous
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec