Parlons du roi de nos eaux, le saumon !

Quand j’étais enfant, j’allais me construire des cabanes au bord du Saguenay, autour de la Chute à Caron. J’y voyais régulièrement des pêcheurs y sortir de beaux saumons. Le saumon était alors encore très présent dans le Saguenay. J’obtiendrais d’ailleurs mon premier emploi d’étudiant comme préposé de la Sainte-Marguerite Salmon Club, à Sacré-Cœur, au Bas-Saguenay. Je devais noter toutes les prises de saumon, leur poids, la mouche qui les avait attrapés et le nom de leurs pêcheurs. Monsieur Savard fumait une bonne partie des saumons pris qu'on envoyait, quelquefois, aux États-Unis ou en Europe par avion. Le roi des poissons méritait bien cet honneur, à cette époque ! Depuis qu’on en fait l’élevage, le saumon a perdu du galon, même s’il demeure le poisson qui génère le plus de recettes avec la morue, au Québec. C’est qu’on y a facilement accès, aujourd’hui.

 

Les fouilles archéologiques faites sur la Côte-Nord révèlent que le saumon était l’un des poissons préférés des premiers habitants du Québec, les Archaïques maritimes. Leurs descendants iroquoïens continueraient de s’en régaler jusqu’au temps de Jacques-Cartier. Chaque année, des familles de Stadakoné (Québec) descendaient le fleuve jusque sur la Côte-Nord pour se faire des provisions de saumon fumé pour l’hiver. Ce poisson gras leur fournissait les protéines complémentaires de leur régime largement végétarien. La sagamité au saumon était un repas d’hiver populaire, chez eux. Selon les témoins de l’époque, on consommait même les arêtes de saumon longuement bouillies qu’on écrasait en poudre séchée pour les jours de pénurie alimentaire. Le gras de poisson qui flottait sur les bouillons était aussi récupéré pour les mêmes raisons. Les femmes de culture iroquoïenne jouaient un grand rôle dans l’économie domestique ; elles se faisaient de grandes provisions d’aliments qu’elles cachaient dans des paniers en demandant à leurs fils de creuser des trous dans la terre pour les dissimuler. Mais ce sont les hommes qui pêchaient le saumon, la nuit, à l’aide d’une torche plantée dans le devant du canoe. Cette torche lumineuse attirait beaucoup les saumons autour du canot que le pêcheur placé en avant de l’embarcation attrapait à l’aide d’un nigog. Un seul poisson pouvait nourrir plusieurs familles à la fois car les saumons de 20 livres n’étaient pas rares. Quand j’ai travaillé pour le club de pêche au saumon, ces grosseurs étaient exceptionnelles. On pêchait en moyenne des saumons de 5 à 10 livres.

Quant à la cuisine avec du saumon, elle était autrefois réservée au dimanche ou à la visite. Mais la mise en conserve du saumon dans nos régions maritimes la démocratisa ; les gens des villes créèrent plusieurs recettes avec du saumon en conserve qui sont encore bien populaires aujourd’hui. Le fameux pâté au saumon est issu de cette innovation. Les familles des régions maritimes et de la Plaine du Saint-Laurent continuèrent cependant à faire des cipâtes, des tourtières et des pâtés avec du saumon frais et cru. On consultera ce site qui vous en donne quelques exemples.

Ajoutons une tradition oubliée : le saumon salé. J’ai parlé avec plusieurs témoins qui m’ont raconté qu’en juin, on trouvait souvent de nombreux saumons pris dans les filets des pêches tendus sur les grèves du fleuve ou du Saguenay. Comme on avait alors trop de poisson à manger, on les mettait en morceaux dans le sel, comme on faisait avec la morue. C’est d’ailleurs sous cette forme que la Compagnie du Nord-Ouest ou de la Baie d’Hudson en faisait le commerce, au XIXe siècle. Cette tradition remonterait au temps de la Nouvelle-France où l’on se faisait, chaque année, un baril de saumon, d’esturgeon et d’anguille salés pour l’hiver. Ce poisson salé avait un gout différent du poisson frais, comme j’ai pu le constater moi-même en vérifiant cette tradition.

Terminons avec le saumon fumé qui est un héritage autochtone et européen. Les autochtones ne salaient pas le saumon, ils le faisaient cependant sécher quelques jours avant de le faire fumer sur des claies au-dessus d’un petit feu, en plein soleil. Ce séchage éliminait l’eau et favorisait la conservation. Le sel joue aussi cette fonction en faisant sortir l’eau de la chair du poisson. On lui ajoute, même encore aujourd’hui, une période d’assèchement avant la fumaison. Mais j’avoue préférer un saumon fumé légèrement, non séché, encore humide, qui laisse mieux percevoir l’originalité de notre marinade. C’est ainsi que je le présentais à mes clients, sur des galettes de bannique frite, lorsque j’étais chef.

Sur ce, je vous souhaite une magnifique Saint-Jean-Baptiste, et pourquoi pas un festin de saumon pour la célébrer !

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec