Vive les laitues de nos jardins !

Il existe plus d’une centaine de variétés de laitues qui viennent pratiquement toutes de la laitue sauvage (lactuca serriola ou lactuca scariola, selon Linnée). Le dernier terme latin évoque la scarole que nous associons souvent aux variétés de chicorée qui sont aussi des laitues. Les laitues sauvages poussent sur tous les continents de la planète. Au Québec, on en a quelques-unes que les colons auraient accidentellement apportées avec leurs graines de foin pour leurs pâturages.


Quand j’étais chef, je cuisinais beaucoup avec le laiteron des champs qu’on trouve en abondance, le long des routes, de Montréal en Gaspésie. La plante mature fait de jolies fleurs jaunes qui ressemblent à des pissenlits mais qui sont beaucoup plus hautes que ces derniers ; les fleurs se tiennent entre 60 et 75 cm de hauteur. Les feuilles sont cependant meilleures avant la floraison qui se fait, selon les endroits, en même temps que les renoncules et les marguerites. Comme la laitue à maturité, les laitues sauvages produisent une substance blanche qui ressemble à du lait, lorsqu’on les coupe. Le mot laitue et laiteron sont donc issus du mot lait. Cela fait en sorte que l’imagination populaire a associé la plante à la féminité. Dans l’Antiquité et au début du Moyen Âge, les hommes ne mangeaient jamais de cette plante de peur de perdre leur virilité. Et les femmes enceintes en étaient friandes parce que leur consommation devait favoriser (sic) l’allaitement de leur progéniture.

Les jardiniers du monde, durant les 5 000 ans de sa culture, ont travaillé la plante pour qu’elle produise plusieurs variétés de laitues. Dans la Haute Antiquité, on ne consommait pas les feuilles de laitue mais le tronc du plant autour duquel poussaient les feuilles. Ce tronc était consommé comme une asperge qu’on coupait en tronçons et qu’on faisait simplement bouillir. On ramassait aussi ses graines noires avec lesquelles on faisait une huile très recherchée. Ce sont les Romains qui ont commencé à consommer aussi les feuilles de laitue en les arrosant de vinaigre. On ajouta l’huile et le sel par la suite qui donna le mot salade en français à cause de la présence du sel dans le plat. Au IIe siècle de notre ère, la salade se généralisa dans l’Empire romain de sorte qu’elle perdit son lustre et son prestige ; elle devint l’aliment du peuple, voire des pauvres. On mélangeait feuilles domestiques et feuilles sauvages pour faire des salades qui accompagnaient les aliments protéinés comme la viande, le poisson et les légumineuses combinées aux céréales. On faisait aussi beaucoup de soupes aux feuilles de laitue qui sont devenues des potages et des crèmes à la Renaissance.

La laitue a sans doute été le premier légume planté au Québec, au XVIe siècle, avant même la colonisation européenne. Les pêcheurs européens qui venaient passer l’été dans le golfe Saint-Laurent s’installaient sur les grèves en mai et y plantaient de la laitue et des herbes pour l’été. Les Micmacs et les Innus de la Côte-Nord ont donc été les premiers autochtones à s’initier aux laitues. Mais ils ne mangeaient jamais de feuilles vertes seules qui étaient beaucoup trop amères pour eux ; cette amertume leur rappelait toujours l’événement d’une maladie car les chamans ou sorciers utilisaient plusieurs feuilles amères pour les soigner lorsqu’ils étaient malades. Les coureurs des bois et les religieuses des premiers hôpitaux du Québec réussirent à faire manger des salades ou des feuilles vertes aux autochtones en les arrosant de vinaigre, de sel, de sucre ou d’épices. Ces parfums leur faisaient oublier l’amertume des plantes vertes. Avec le temps, les jardiniers finirent par créer des laitues plus douces qu’on consommait toujours au printemps, lorsque les feuilles sont jeunes. La laitue était donc l’un des premiers légumes récoltés dans le jardin de la Nouvelle-France. On cueillait les feuilles, une par une, lorsqu’elles étaient petites. C’est ma grand-mère maternelle qui m’a initié à la cueillette de la laitue frisée. Lorsque j’allais la visiter, elle me faisait participer aux travaux domestiques en allant cueillir, une par une, un grand plat de laitue pour la famille nombreuse que nous formions. Il en fallait plein un « plat à vaisselle », chaque repas de juillet.

Et l’on avait 4 façons de la manger : avec de la crème, du sel, du poivre, de la ciboulette ou des échalotes vertes ; ou avec du sel, du poivre, de l’huile d’olive, de la moutarde sèche et du vinaigre blanc ou de cidre ; avec de l’oignon du jardin avec ses queues qu’on coupait en rondelles, qu’on faisait attendrir dans le l’huile d’olive ou de la graisse chaude de lard salé et qu’on ajoutait à la laitue avec un jet de vinaigre et du poivre. Les feuilles tombaient légèrement au contact de la graisse ou de l’huile chaude. Enfin, on ajoutait aussi des câilles (lait caillé) à la laitue, de la ciboulette et des assaisonnements. Les enfants étaient plus réticents à manger cette salade mais les aînés s’en régalaient. On lira les articles que j’ai écrit sur nos différents types de laitue et leur histoire, en consultant les recettes de cette semaine.

Bonne semaine à tous !

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.