Soumis par Michel Lambert le
Je vous ai dit, la semaine dernière, que je vous donnerais quelques réflexions sur l’histoire des céréales, chez nous. Or, comme celles-ci coïncident avec la fête de Pâques, je commencerai par réfléchir sur les liens intimes entre ces deux données.
Comme tout le monde le sait, Pâques est une fête religieuse chrétienne issue d’une fête religieuse juive née, il y a 3 200 ans, à l’occasion de la sortie du peuple hébreux de l’Égypte. La Bible raconte cet événement de façon épique, au plan littéraire, et associe 2 aliments majeurs à l’événement : le sang d’agneau et le pain. Le sang d’agneau devait marquer les maisons des Juifs dont les leaders disaient qu’ils seraient épargnés de la vengeance de Dieu sur les Égyptiens. Le pain sans levain deviendrait le symbole du temps de misère de leur esclavage en Égypte.
« Tu ne mangeras pas avec la victime (l’agneau pascal) du pain fermenté ; pendant sept jours, tu mangeras avec elle des azymes – un pain de misère – car c’est en toute hâte que tu es sorti du pays d’Égypte : ainsi tu te souviendras, tous les jours de ta vie, du jour où tu sortis du pays d’Égypte. » (Deutéronome 16, 3-Bible de Jérusalem).
La Pâque juive est donc le rappel de l’indépendance et de la liberté du peuple hébreu et le pain sans levain, un symbole de liberté, après un temps de souffrance et d’esclavage. Les Juifs ont célébré cet événement, le jour de la pleine lune printanière, soit lundi le 10 avril, cette année. Ils ont consommé de l’agneau abattu selon un rituel millénaire, en compagnie de vin rouge et de pain sans levain.
La fête chrétienne de Pâques s’inspire de la fête juive pour développer une autre symbolique. Parce que Jésus, le fondateur du christianisme, est décédé et ressuscité, selon la croyance des Chrétiens, le troisième jour après sa crucifixion, à l’époque de la Pâque juive, à Jérusalem même, ce moment est devenu le fondement même des rituels chrétiens. Jeudi soir avant sa crucifixion, l’évangéliste Marc raconte que « tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain (sans levain), le bénit, le rompit et le leur donna en disant : « Prenez, ceci est mon corps ». Puis, prenant une coupe, il rendit grâces, et la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude. » (Marc, 14, 22, Bible de Jérusalem).
Ainsi, le pain est devenu non plus le souvenir d’une libération historique, mais le symbole d’un libérateur spirituel, fils de Dieu. Le pain quotidien est désormais devenu le symbole de la vie physique et spirituelle de l’homme, l’essentiel, l’indispensable au-delà duquel il y a la mort. Sans pain, on meurt ! Pour le chrétien, le minimum pour survivre, est de manger du pain avec de l’eau. On disait, d’ailleurs, dans le Québec de notre enfance, « jeuner au pain et à l’eau ». C’était le plus qu’on pouvait faire pour Dieu. Quand je dis pain, je pense essentiellement au blé qui occupait l’essentiel de nos terres agricoles. Mais lorsque le blé ne poussait pas pour toutes sortes de raisons, on avait recours à d’autres céréales comme le seigle, l’avoine et l’orge, ou à d’autres grains comme le maïs et le sarrasin, ou à des légumineuses comme les pois ou les gourganes, pour faire le pain si essentiel à la vie. Ce pain qualifié de « pain noir » par nos ancêtres s’opposait au pain de farine blanche de blé, sans son, symbole du divin et de la pureté tant recherchée. Au milieu du XIXe siècle, comme je l’ai raconté dans mon article sur le pain, le blé vécut une importante crise, chez nous, à cause de la pauvreté grandissante de nos terres mal entretenues et de l’arrivée d’un insecte ravageur. Il a donc fallu avoir recours davantage aux autres céréales, aux légumineuses et aux pommes de terre pour survivre. Il fallut faire appel à d’autres régions du Canada pour continuer de consommer le pain si essentiel à notre culture.
Mais au tout début du XXe siècle, des leaders religieux de la nouvelle Église des Saints des derniers jours firent la promotion des céréales naturelles. Certains de leurs membres influents eurent l’idée de faciliter la consommation des céréales américaines en les séchant et les aplatissant pour qu’elles soient faciles à manger de toutes sortes de manières. C’est ainsi que les biscuits Graham, les flocons de maïs Kellogg’s, les Bran Flakes, les Rice Crispies sont entrés sur le marché. Les promoteurs de ces céréales croyaient, entre autres, que ces céréales auraient même une incidence positive sur les pulsions sexuelles des adolescents en les réduisant et les maintenant dans le bon chemin (sic) ! L’industrialisation et la transformation de ces céréales, doublées d’intérêts pécuniaires, ont considérablement modifié l’objectif des promoteurs initiaux. Ce sont les Hippies des années 1960-70 qui remirent les céréales naturelles à l’honneur en proposant un régime végétarien inspiré par les religions orientales comme l’hindouisme ou le boudhisme. Et plusieurs de leurs fils ont voulu trouver la preuve scientifique de leurs bienfaits et de leurs faiblesses. C’est pourquoi la consommation des céréales est aujourd’hui l’objet de tant de débats et d’intérêts pécuniaires. Les farines sans gluten sont à l’honneur à cause d’une allergie soi-disant grandissante au blé. Or, le blé nourrit les peuples de tous les continents depuis plusieurs millénaires. D’où vient réellement notre problème avec le gluten ? Les nouvelles sortes de blé ? Les nouveaux modes de culture ? D’autre part, le pain et les céréales sont des glucides, donc du sucre. Comme le sucre est l’ennemi principal de notre santé et de notre beauté, on voit de plus en plus de régimes alimentaires l’exclure totalement de notre régime alimentaire : le pain comme les pommes de terre, le maïs et le riz font engraisser ; on n’en mange donc presque plus, sinon dans des moments festifs où l’on retrouve les plaisirs de notre enfance.
Les céréales, les pommes de terre et les féculents ont permis à l’homme de développer son cerveau, sa sociabilité ; ils ont fondé nos villages, nos villes, nos religions même. Il est peut-être temps de s’en rappeler, à l’occasion de la fête de Pâques. La fête culinaire de Pâques, au Québec, est une assiette remplie de symboles qui parviennent de nos racines celtiques, romaines, germaniques et autochtones. Les grains secs de céréales, le sel, la fumée, la sève d’érable, les oeufs nous rappellent que nous sortons du gel protecteur nordique pour entrer dans une période de lumière et de chaleur qui stimule toutes les formes de vie. Le retour de la Vie, symboliquement illustré en Occident par le Fête de Pâques, est une illustration des changements climatiques occasionnés par l’inclination de la terre dans son évolution autour du soleil. L’Est, d’où vient la lumière de plus en plus grande et matinale, a été divinisé par les peuples nordiques comme les Germains ; la fête de la déesse Oester (Déesse de l'Est ) à laquelle on donnait des œufs en offrande apportés par les lapins, était le symbole de la Vie en germination. Le mot germanique a donné Easter en anglais, traduction de Pâques en français. Les anciens Grecs et les Romains faisaient un rituel semblable avec des grains de blé et des farines blanches illustrant la pureté ; le pain béni par les chrétiens et l'hostie sont une illustration des grains de blé , porteurs de la Vie, tout comme l’œuf.
En résumé, notre repas pascal est chargé de tout ce patrimoine culturel. Savoir tout cela met de la profondeur et de la conscience dans l’acte de manger. J’aime partager ce regard distant de plusieurs siècles sur nos habitudes alimentaires : cette distance donne de la sagesse, de la paix intérieure en éliminant tout le stress occasionné par les nouvelles scientifiques déconcertantes à propos de nos aliments.
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Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec