Soumis par Michel Lambert le
Jusque dans les années 1930, Noël était essentiellement une fête religieuse qui rappelait la naissance de Jésus dans la pauvreté, la nuit et la froideur de l’hiver. Tout le monde se rendait à l’église du village où la cérémonie commençait dans l’obscurité.
Puis, on allumait quelques chandelles pendant qu’un enfant déguisé en ange apportait la poupée de l’enfant Jésus dans la crèche, située en bas du sanctuaire. C’était ensuite les 3 messes avec toute une variété de cantiques de Noël que tout le monde fredonnait avec les plus belles voix du village. Enfant, je faisais partie de la chorale d’enfants qui chantait ces cantiques pendant les 3 heures que durait la cérémonie. Quand je revenais à la maison, ma mère nous servait toujours un pâté à la viande que nous accompagnions de relish de concombre au curcuma et de thé vert. C’était, disait-elle, le même repas qu’elle mangeait, à Noël, dans son enfance, à Albanel. Puis on allait se coucher, sans autre cérémonie, avec un sentiment de joie profonde toute intérieure.
Noël, c’était la fête de la lumière discrète, de la lumière attirante par sa force tranquille et silencieuse. Comme mon père travaillait souvent à l’usine, la nuit de Noël, nous vivions cet évènement juste avec ma mère. Le lendemain matin, cependant, mon père revenait de l’usine et nous faisions un gros déjeuner avec les cretons, la tête fromagée, la graisse de rôti étalés sur le pain de ménage de ma mère, puis les saucisses de porc, la purée de pommes de terre, les beignes chauds saupoudrés de sucre en poudre, tous faits par elle avec nous, les enfants. Puis mon père nous donnait notre bas de Noël et toujours un cadeau qui nous faisait plaisir qu’on avait demandé à l’enfant Jésus, dans nos prières. On ne croyait pas vraiment au Père Noël qui était plutôt associé aux marchands, aux friandises ou au Coca Cola qui faisait de la publicité dans les journaux.
La fête de Noël actuelle avec le réveillon, l’arbre de Noël, le Père Noël, les chansons de Noël profanes comme Petit papa Noël et toutes les chansons américaines comme White Christmass ou Gingle Bell sont arrivées après la 2 e Guerre Mondiale. La lumière discrète de Noël s’est transformée en lumière clinquante, multicolore des arbres de Noël et des guirlandes de Noël dans les rues et les magasins des villes et des villages. Et le réveillon de Noël devint américain avec sa dinde et sa gelée d'atocas.
Aujourd’hui, alors que Noël a pratiquement perdu son sens premier pour devenir une fête commerciale avant tout, un grand symbole du capitalisme mondial où le centre d’achat est devenu la nouvelle église du village urbain, et le désir renouvellé sans cesse de biens de consommation, la grande motivation de l'existence, il est peut-être temps d'arrêter tout cela pour revenir à l'essentiel et au sens premier de cette fête.
Le Noël de mon enfance est plus proche de la Fête du solstice que l’homme préhistorique fêtait dans sa grotte. Le solstice, c’est le jour le plus court de l’année, celui où la lumière est la plus petite, la plus faible, mais o combien la plus précieuse pour lutter contre l’angoisse de la nuit et la solitude du grand froid. Ce jour-là, les premiers hommes posaient un geste symbolique : ils allumaient un feu en frottant un bâton dans une cavité rocheuse munie de brindilles sèches. Le feu qu’ils créaient s’appelait « petit enfant » ou « feu nouveau ». Cette tradition a été récupérée par les religions subséquentes, dont le christianisme, qui a associé la naissance du petit enfant ou du feu nouveau à la naissance de Jésus, au temps du solstice d’hiver.
Et les cultures ethniques ajoutèrent d'autres symboles reliés à cette nuit la plus longue de l'année. L’étoile qui guide les bergers et les rois mages enrichit le symbole du petit feu ou du petit enfant. Toutes les ethnies de la planète cherchent un peu de lumière dans la grande noirceur de notre existence humaine et de notre place dans l'univers; les étoiles sont les petites lumières qui nous questionnent sur notre place dans l'univers, sur le sens de notre vie, sur le destin de nos actes et de nos créations. Ces petites lumières dans la nuit nous mettent en contact avec l’Ailleurs, avec l’univers immense au delà de la nuit. De son côté, la lune ronde est aussi la lumière de la Nuit et guide même notre calendrier de Noël. Elle est le reflet du soleil et de la grande lumière du jour.
Et pour compléter la signification profonde du Noël de mon enfance tout comme la fête du solstice d’hiver de l’homme préhistorique, la présence des pâtés à la viande et des beignes mangés au milieu de la nuit évoquent, pour moi, cette rondeur de la lumière rassurante de la lune, espoir que la lumière existe toujours, puisqu’on en voit le reflet. Ce sont les Romains qui nous ont apporté ces plats symboliques de leur mythologie. Les pâtisseries rondes comme les tartes. les tourtières, les pâtés, les crêpes, les beignes, les gâteaux voulaient tous symboliser le retour du soleil, de sa chaleur réconfortante, de la lumière apaisante, la promesse de réponses à nos questions existentielles.
Certains d'entre nous l'ont compris: Noël est une occasion de partager notre recherche de la lumière par la science, la religion et par l'art, avec tous les peuples de la terre qui arrivent chez nous, tous les jours.
Je vous souhaite donc de la lumière douce et réconfortante pour ce Noël. Préparez des pâtés à la viande pour vous rappeler cette lumière dans la nuit avec tout l’espoir qu’elle porte malgré la grande noirceur de nos guerres et de nos haines!
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale.