Soumis par Michel Lambert le
Toutes les ethnies du Québec avaient des collations entre les repas qu’on servait aux invités qui arrivaient à l’improviste ou pour une visite attendue. Je commence aujourd’hui une série d’articles qui définira un peu plus cette partie de notre patrimoine culinaire. Je vous parlerai aujourd’hui des bouchées salées.
Bouchées
Les bouchées sont une variété d’amuse-bouche. La haute cuisine utilise le terme pour désigner des petits vol-au-vent remplis de viande ou de poisson en sauce qu’on peut avaler d’un seul trait. Mais le terme s’est élargi, chez nous, à toutes sortes de mets présentées en petite quantité de la grosseur d’une cuiller. Ils sont souvent des petits beignets, des petits canapés carrés de 2-3 cm, des boulettes diverses de fromage ou de viandes, etc.
1. Bouchées de fruits de mer
Ainsi, en Basse Côte-Nord, on les fait au homard. À l’ile d’Anticosti, on les fait au crabe et au homard sur des toutes petites gaufrettes que l’on appelle des rosettes, souvenir sans doute de l’époque où le Château Meunier existait toujours. On se souviendra que Menier était un riche chocolatier français qui fit construire un magnifique château sur l’ile qu’il avait acquise en 1924. La compagnie forestière qui acheta l’ile pour y faire de l’exploitation forestière brula le château en 1953. Mais les descendants des gens qui travaillaient au château sont toujours vivants. Sur toute la Côte-Nord, on aime aussi beaucoup les moules ou les bigorneaux cuits à la vapeur qu’on sert embeurrées simplement ou bien les pétoncles cuits au four enrobés de bacon qu’on mange à l’aide un cure-dent. Les crevettes fraiches du golfe dans leur habit rose brillant sont les bouchées préférées des gens de l’Est du Québec, au printemps. Les beignets de rondelles d’encornets (calmars) font maintenant partie des bouchées de la Baie-des-Chaleurs. Dans la région de Québec, on fait des boules de fromage blanc au crabe et aux herbes que l’on sert en bouchées. Aux Iles de la Madeleine, on fait des petits beignets de coques qu’on offre en bouchées. Et partout, les fruits de mer en conserve font de belles bouchées comme c’est le cas pour les moules aux tomates ou au jus de tomate, les pentures de coques ou les padous (pétoncles) au sel, en Minganie.
2. Bouchées de poisson
Les petits beignets de poisson se font avec de la morue sur toute la Côte-Nord et aux Iles-de-la Madeleine; on les accompagne de sauce tartare. Sur la Côte-Nord et en Gaspésie, les langues et les bajoues de morue frites sont des bouchées populaires. Les petits capelans fumés, séchés ou grillés font partie des bouchées nord-côtières et gaspésiennes. Depuis quelque temps, on sert aussi, sur la Pointe-de-Gaspé, des petits bâtonnets de céleri farcis au fromage de chèvre local mélangé à des œufs de saumon ou de lompe. Les foies de morue sur biscuits soda sont des collations très répandues en Gaspésie. Enfin, on sert de plus en plus des cubes de poisson fumés à chaud, comme de saumon, d’esturgeon jaune, de carpe allemande ou de perchaude après avoir les marinés dans des solutions aigres-douces pendant quelques heures. En Haute-Côte-Nord, on coupe en carrés des bâtonnets de poisson du commerce que l’on fait chauffer au four et qu’on accompagne de sauce Chili maison ou du commerce. Un peu partout, on fait des demi-œufs farcis à la truite mouchetée en conserve ou aux œufs de poisson à la mayonnaise. Un peu partout, on fait aussi des petits choux farcis à la truite, céleri, mayonnaise et jus de citron. Au Témiscouata, on fait des boulettes de touladi ou de truite mouchetée avec des biscuits soda écrasés et des blancs d’œufs que l’on fait frire dans l’huile.
3. Bouchées de gibier
Celles-ci appartiennent à la tradition culinaire des nations de langue algonquienne. Il faut d’abord parler du pemmican qui porte toutes sortes de noms, selon les nations, et que les coureurs des bois et les voyageurs dans l’Ouest canadien consommaient abondamment, en collations nourrissantes, pendant leurs longs périples en canot ou en raquettes. Le pemmican est constitué de gibier séché au point d’être cassant, qu’on réduit en poudre à l’aide d’un mortier et qu’on mélange à de la graisse de gibier et des petits fruits comme les bleuets ou les baies d’amélanchier. On façonne alors de petites boules de la grosseur d’une petite bouchée. Les anciennes familles de coureurs des bois de l’Outaouais faisaient aussi du Rubaboo; c’est un mélange de pemmican et de semoule de maïs façonné en petites boules et servies comme collation en voyage de traite des fourrures. Les Inuits servent aussi des cubes de caribou sautés à la poêle qu’on pique avec un cure-dent et qu’on accompagne de chips au vinaigre, au ketchup ou à la lime. Les Naskapis font des bouchées de moelle de caribou mélangée à du caribou réduit en poudre qu’ils appellent uniichaoïkin et des bouchées d’os pulvérisés, de moelle et de viande séchée qu’ils appellent attihkupimity. Les Métis malécites du Témiscouta font des tendons : ce sont des dés d’épaule d’orignal fumé, salés et poivrés, qui sont servis avec de l’alcool. Enfin, les petites boulettes ou saucisses de gros gibier qu’on pique avec un cure-dent pour les saucer dans une sauce piquante ou aigre-douce sont de plus en plus populaires dans les familles de chasseurs québécois.
4. Bouchées de viandes domestiques
La tradition française nous a légué des beignets d’abats que nous avons adaptés à notre contexte; quelques familles servent des beignets de cervelle marinée et panée avec de la semoule de maïs qu’on fait frire dans un bassin d’huile et qu’on accompagne de quartiers de citron ou de pommes sures. On fait la même chose avec des rognons et des ris de veau. Les foies de poulet enrobés de bacon sont des bouchées encore plus répandues. Mais les bouchées de viande les plus populaires demeurent les boulettes de porc et/ou de bœuf haché ou les saucisses de porc et/ou de jambon que l’on accompagne de trempettes à la sauce tomate ou à la moutarde. On fait aussi, dans le même genre, des cigares de bœuf, dans la région de Québec. À Mistassini, au Lac-Saint-Jean, on les appelle des fricadelles. Par extension, les petites saucisses fumées du commerce sont encore plus populaires dans notre vie moderne; on les sauce dans une sauce aigre-douce, dans le sirop d’érable ou un mélange des deux. Les mêmes petites saucisses sont mises dans une pâte à frire à la bière avant d’être servies en beignets qu’on sauce aussi dans une sauce aromatique. Dans les Cantons-de-l’Est, on fait encore des crépinettes qui sont des boulettes ovales de porc haché mélangé à des œufs et des épices puis enveloppées de crépine de porc, bouillies quelques minutes puis rôties dans le saindoux. Dans la Région de Québec, on farcit des petites tomates ou des chapeaux de champignons de jambon ou de bacon cuit. À Montréal, on fait des roulades de jambon ou de steak mince tartinés de fromage blanc aromatisé d’herbes ou d’épices ou d’un hachis d’œufs durs–mayonnaise. Enfin, en Outaouais, on fait un bœuf Jerky bien contemporain, mais inspiré par la cuisine autochtone qu’ont connue intimement nos ancêtres coureurs des bois québécois, nombreux dans la région.
5. Bouchées végétariennes
À part nos crudités bien contemporaines qu’on accompagne de sauces trempettes variées, notre cueillette de recettes révèle plusieurs bouchées de légumes marinés ou farcis de fromages mous aromatisés. Elle révèle plusieurs recettes originales à base de fromage, de pâtes diverses, d’œuf et de pain. On connait les œufs farcis aux légumes divers, les pelures de pommes de terre garnies de fromage de l’Abitibi; les bâtons ou tresses de fromage mariné de Charlevoix; les pailles au cheddar d’un peu partout au Québec; les beignets de pâte à chou et purée de pommes de terre de la Mauricie; les boules au fromage (Cheeze Puffs) des Laurentides; les beignets au maïs en crème de l’Outaouais; les bouchées de pâte au fromage enveloppant une olive verte farcie de la Beauce; les bouchées de pain à l'ail et au fromage mozzarella de Laval; les boules de fromage blanc enrobées de noix de Grenoble hachées et de persil de Montréal. Ce type d’entrée végétarienne est plus populaire dans le sud-ouest du Québec que dans le Nord-Est ou les entrées de viande ou de poisson dominent toujours le répertoire.
En conclusion, les bouchées qu’on appelle encore amuse-bouche ou amuse-gueule en cuisine française ont pratiquement toujours existé parce que la faim n’a pas d’heure. On les servait toujours aux gens qui arrivaient d’un long voyage, qui sortaient d’un dur travail ou qui devaient veiller tard pour mille et une raisons. On les sert, aujourd’hui, dans les 5 à 7 en remplacement du repas du soir ou en fin de soirée, après une activité sportive, de danse ou d’activité de loisir. Je vous parlerai des canapés la semaine prochaine de même que de nos anciennes beurrées.
À la semaine prochaine.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.
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