Soumis par Michel Lambert le
L’agriculture est née du besoin de l’homme de rapprocher l’aliment de sa table. Pendant des milliers d’années, les races humaines ont parcouru de grandes distances, comme les races animales, pour apaiser leur faim. Ils goutèrent à de multiples plantes, poissons et animaux pour découvrir ce qu’ils aimaient le mieux, ce qui leur faisait du bien, ce qui les guérissait ou ce qui les tuait brutalement ou à petit feu.
L’agriculture a d’abord commencé avec des plantes que les femmes ramassaient depuis des millénaires, avec leurs enfants : des grains de blés, d’orge et d’avoine; des pois, des lentilles et des fèves (gourganes); des racines plutôt sucrées; des feuilles aux parfums particuliers; des noix et des fruits; des courges et des haricots sauvages; des grains de maïs ou de chia; des petites tomates ou piments sauvages; des racines tubéreuses comme les pommes de terre. Les hommes et leurs adolescents cherchèrent à retenir près d’eux les animaux qu’ils rencontraient dans les points d’eau; ils les attirèrent par de la nourriture, les dirigèrent avec leurs chiens vers des lieux clos pour les garder près d’eux. Ils choisirent les plus petits parce que c’était plus facile de les contrôler puis ils créèrent des liens en les nourrissant jusqu’à leur maturité. Tous les peuples de la terre ont suivi ce modèle : rapprocher la plante ou l’animal de la maison. On y gagnait en sécurité, en survie et en socialisation.
Mais il faut dire que la plupart des sociétés ont longtemps combiné l’agriculture et le nomadisme alimentaire. On voulait continuer à se nourrir de la nature environnante : les fruits qui murissaient à tel moment de l’été; les poissons qui venaient frayer dans la rivière d’à côté; les cervidés qui attiraient l’attention par leurs appels amoureux. C’est comme cela que l’on se construisait une identité alimentaire.
L’histoire de notre cuisine illustre bien ce double approvisionnement. Les Iroquoiens du Saint-Laurent se faisaient de grands jardins autour de leurs villages fortifiés : ils plantaient, en combinaison, du maïs, des haricots et des courges, puis autour de leurs champs, des tournesols et des topinambours. Mais chaque été, plusieurs familles de leur village partaient vers la Côte-Nord et la Gaspésie, se chercher du poisson pour l’hiver. C’est d’ailleurs sur la Pointe de Gaspé que Jacques Cartier les rencontra en 1534; ils étaient venus se chercher du maquereau pour le fumer et le ramener à Québec.
Les ancêtres de ces mêmes Iroquoiens de la Plaine du Saint-Laurent qui se nourrissaient beaucoup de poisson du fleuve et du golfe avaient longtemps été s’approvisionner en maïs séché auprès des nations sœurs, dans la région des Grands Lacs ontariens. On a découvert, entre autres, au Cap Tourmente, des grains de maïs carbonisés qui dataient des années 740. Même si les Iroquoiens commencèrent à planter du maïs dans le sud-ouest du Québec, vers les années 1000, ils en importaient des Grands-Lacs depuis au moins 300 ans. Ces mêmes cousins iroquoiens des Grands-Lacs avaient été chercher ce maïs chez les peuples riverains du Mississipi qui l’avaient reçu des Aztèques et des Mayas, des siècles auparavant.
Les peuples de langue algonquienne se nourrissaient, au fil des saisons, du gibier et des poissons de leur environnement. Mais ils troquaient aussi de la farine de maïs avec leurs cousins algonquiens du Sud ou les nations iroquoïennes avec lesquelles ils créaient des liens commerciaux.
En s’installant au pays, les Français puis les Britanniques combinèrent ces deux types d’approvisionnement alimentaire. Ils adaptèrent l’agriculture européenne au climat québécois puis ils apprirent des autochtones à aller chercher les aliments de leur environnement, au fil des saisons. Cela était d’ailleurs plus facile et plus économique de chasser un orignal dans la forêt voisine que d’élever un bœuf pendant deux ans, avec les céréales pour le nourrir et la construction d’une étable pour l’abriter.
Mais le recours aux animaux et aux plantes sauvages devint vite problématique avec l’augmentation de la population. Les Iroquoiens devinrent pratiquement végétariens à cause de la raréfaction du gibier et du poisson dans les alentours de leur village. Ils déménageaient leur village à tous les 10 ans pour être capables de survivre et de donner le temps à la nature de se régénérer. Du côté des Québécois d’origine européenne, on dut aller de plus en plus loin des villages pour s’approvisionner en poisson et en gibier. On dut passer des lois pour sauvegarder les espèces menacées, comme cette loi de 1916, passée aux États-Unis et au Canada, protégeant les oiseaux migrateurs. Nous connaissons aujourd’hui, les lois régissant la chasse et la pêche.
La question de l’approvisionnement alimentaire pose plusieurs problèmes majeurs aujourd’hui. La demande internationale de certains aliments est soumise aux lois capitalistes de notre économie actuelle : c’est le prix qui détermine l’approvisionnement : le meilleur rapport qualité-prix. Or cette loi du marché provoque, sur toute la planète, de multiples conséquences désastreuses pour nos sociétés et notre planète. Le « promenage » inconsidéré de millions d’aliments par camion, avion, train et navire menace notre environnement planétaire à cause des carburants fossiles que nous utilisons pour déplacer ces denrées. Le recours à des techniques agricoles dévastatrices pour la terre et les cours d’eau de même qu’à des espèces moins sensibles au transport font en sorte que la diversité des espèces et des cultures culinaires est mise en danger à cause de ce transport au long cours.
L’éloignement des cités grandissantes versus les campagnes approvisionnantes nous obligent à trouver des solutions protectrices pour la survie de notre planète et de nos générations futures. L’agriculture urbaine en est une. Le circuit court en est une autre.
Mais on peut aussi prendre en charge notre survie en se faisant un jardin, en utilisant tous les espaces possibles non utilisés dans les villes; en créant des réseaux d’approvisionnements spécialisés en poissons locaux, en gibier, etc. Par exemple, il y a des millions de kilo de fruits sauvages qui pourrissent dans le nord du Québec. Nous préférons acheter des fruits exotiques du Mexique ou de l’Asie! Quelques entrepreneurs et entrepreneuses se partent des petites compagnies de cueillettes et de transformation de ces produits sauvages mais ils et elles n’ont pas le temps de se distribuer et de faire le marketting de leurs produits. La distribution est un problème majeur dans l’alimentation québécoise. Comment organiser un transport écologique de nos produits québécois ? Il y a le fleuve, les rivières qui se couraient, autrefois, en canot ou en traineau à chien, puis en bateau à voile ou à la vapeur. Le passé peut nous donner des leçons pour le futur.
Il faut aussi sortir de nos demandes utopiques d’avoir de beaux et bons fruits frais, de légumes parfaits, en toute saison. La nature ne fonctionne pas comme cela. Nous vivons d’abord dans une pays nordique ou les plantes ne poussent pas pendant 6 mois de l’année. Il faut réapprendre à cuisiner de bonnes recettes avec les produits de saison et les produits de conservation, comme nos ancêtrees autochtones et européens le faisaient : produits congelés, produits salés, produits séchés, produits marinés; produits fermentés, produits fumés, conserves dans l’huile ou le gras, conserves appertisées. Redécouvrir la bonne cuisine des potages, des ragouts, des compotes, des purées de légumes ou de fruits congelés. Redécouvrir nos entrées ou collations de poisson fumé, mariné, séché ou gelé. Garder le légume ou le fruit cru pour l’été. Garder le poisson ou la viande crue pour l’hiver, lorsque le gel est là.
En résumé, redécouvrir notre patrimoine culinaire authentique! Saisir les leçons de l'Histoire!