Soumis par Michel Lambert le
Mon ami Denis et moi avons pris le mois de janvier pour modifier notre site et l’améliorer, comme nous l’ont proposé certains lecteurs de notre site. Le site sera désormais plus accessible à ceux qui le consultent avec leur téléphone portable. Les textes et les recettes seront aussi plus rapides à consulter.
Je profite de ce retour pour vous rappeler l’essentiel de ma démarche historienne et culinaire. Comme vous le savez, je suis l’auteur de la collection Histoire de la cuisine familiale du Québec, en 5 volumes comptant près de 5000 pages de textes et photos d’archives. Je les ai écrits de 2000 à 20013. Vous pouvez d’ailleurs vous les procurer en communiquant avec nous par l’onglet de Cuisine patrimoniale du Québec. Ce blogue a deux missions : faire la synthèse de l’histoire de nos aliments et de nos plats les plus typiques et vous donner l’essentiel des recettes québécoises des régions, d’hier à aujourd’hui.
« Le Québec cuisine depuis 12 000 ans » dit notre logo; cela veut simplement affirmer que le territoire québécois n’est pas né au XVIIe siècle avec l’arrivée des Français et des Basques. Il est né lorsque les premiers hommes sont entrés à l’intérieur de nos frontières actuelles, il y a 12 000 ans. Dans ce territoire, plusieurs ethnies sont venues chercher refuge et se nourrir de la flore et de la faune locales. Mais elles ont apporté, chacune, leur culture culinaire, leurs préférences et leurs tabous alimentaires d’ailleurs. C’est l’alliance entre la nature québécoise et les différentes cultures culinaires installées dans ce pays qui a créé notre identité culinaire. Certaines de ces cultures sont disparues lors de changements climatiques importants ou lors de conflits territoriaux et culturels. D’autres ont pris de l’expansion par leur plus grand nombre ou leurs pouvoirs militaire, politique, religieux et économique. Le Québec culinaire d’aujourd’hui est donc le résultat de son passé d’échange entre la nature et les cultures ethniques. Ces échanges culturels d’aliments et de recettes continuent à se faire sans arrêt; ce qui provoque, chez certains, l’oubli de notre identité culinaire au profit des modes internationales et des nouvelles découvertes scientifiques sur les aliments et leur impact sur la santé humaine. Beaucoup de jeunes Québécois ne connaissent pas l’originalité de leur culture, la croyant inexistante ou du moins vieillotte et non adaptée à nos valeurs alimentaires contemporaines. Ce qui n’est absolument pas le cas comme j’essaie de vous le démontrer depuis plus de 10 ans.
Lorsque j’ai ouvert ce site avec mon ami Denis, il y a un an, je publiais des recettes de couscous et de blé boulghour pour saluer l’arrivée massive de réfugiés syriens. C’était, en même temps, affirmer haut et fort, que notre patrimoine culinaire multimillénaire continue toujours de s’enrichir au fil des siècles. Cette année, deux événements viennent renouveler mon choix. Le premier est la perte de mon ami Michel Bouchard avec lequel j’ai fait du scoutisme, en mon jeune temps. Nous avons formé une troupe scoute, au Collège de Jonquière, en 1961, où nous préparions des jeunes à affronter l’étrange et l’inconnu. Michel a passé une bonne partie de sa retraite, conjointement avec son épouse Gabrielle, à accueillir des immigrants au Québec, en favorisant leur intégration à la communauté de la ville de Québec. Ces gens différents de nous, représentaient l’inconnu, l’Autre. Michel et Gaby n’avaient pas peur d’eux, ils leur faisaient gouter notre tourtière nationale tout en apprenant à cuisiner leurs plats nationaux. D’autre part, j’apprenais dimanche dernier, avant de me coucher, que des Québécois musulmans avaient été tués dans leur mosquée de Québec, par un Québécois de souche qui refusait l’autre et qui sentait notre culture menacée au point de poser un geste radical d’extermination ethnique.
La peur de l’inconnu et de l’autre n’est pas nouvelle, chez nous. Elle est vécue dans tous les pays de la planète et suscite des actions excessives comme on vient de le voir aux États-Unis avec l’élection de Trump. Comment s’ouvrir à l’autre sans y perdre son âme, son essence? Voilà le défi auquel nous sommes appelés. Pour moi, cela commence par l’éducation de nos enfants, à la maison et à l’école.
Mettre un aliment étranger ou une recette d’une autre ethnie dans son menu familial est une façon de s’apprivoiser à l’autre, de gouter à de l’inconnu, de vaincre sa peur de mourir. L’inconnu n’est pas toujours éloigné de nous, il vit bien souvent au sortir de notre balcon, comme les mauvaises herbes comestibles qu’on ignore et qui pourraient enrichir notre menu.
Je vous propose de gouter, à trois aliments, cette semaine : le plantain, le millet et le kacha. Ils portent trois cultures qui ont élu domicile chez nous et qui ont enrichi notre identité culinaire, au XXe siècle. C’est un premier pas vers l’Autre!
Bon courage à nos amis de confession musulmane qui ont choisi de vivre chez nous, avec nous, en ces moments de confrontation culturelle difficiles.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.