L'histoire de nos accompagnements culinaires

L'histoire de nos accompagnements culinaires est étonnante. Si l'on comprend le premier sens du mot accompagnement issu du latin, il signifie "ce qui va ou se tient à côté du pain". Le pain est donc considéré comme l'aliment principal, et ce qui va avec comme une garniture du pain. Dans la société romaine et toutes les sociétés issues de son empire, le pain constituait la base du repas. Les viandes, les poissons, les fruits de mer, les légumes, les fruits, les sauces, les salades étaient des garnitures, des accompagnements du pain, et non l'inverse comme on le voit dans ces cultures européennes d'aujourd'hui. Le même phénomène s'est passé partout dans l'histoire du monde. En Asie, le riz constituait l'essentiel du repas et les autres aliments étaient considérés comme des garnitures du riz. Ce fut la même chose en Amérique où la farine ou semoule de maïs constituait l'essentiel du repas, et le reste était considéré comme une garniture. -- Les missionnaires et les coureurs des bois français ont confirmé cette coutume chez les premiers agriculteurs du Québec, les Iroquoïens du Saint-Laurent. En Afrique, dans l'Altiplano des Andes, en Indonésie ou en Amazonie, la base du repas repose sur un féculent ou un glucide auquel on ajoute un fruit, un légume, un poisson ou une viande locale. Si on n'en a pas, on ne mange que l'aliment fondateur du repas. D'ailleurs, pour revenir au pain, aliment fondateur de la culture culinaire québécoise, c'était le seul aliment que l'on pouvait manger, en période de jeûne. On jeûnait au pain et à l'eau; au delà de cela, c'était la mort!

Les protéines ont pourtant été l'essentiel des repas humains avant l'arrivée de l'agriculture. Les peuples québécois de culture algonquienne mangeaient principalement des protéines (gibier, poissons, mammifères marins, noix) qu'ils accompagnaient de petits fruits sauvages, mais pas de légumes ni de céréales avant les premières importtions de semoule de maïs, au XIVe siècle. Les légumes étaient des mets d'exception, en cas de famine. Partout dans le monde, depuis 10 000 ans, les protéines sont des mets de riches et de pouvoir. Accéder à ces aliments, c'est monter dans l'échelle sociale, c'est avoir accès à la richesse et au pouvoir politique qui va avec. L'importance grandissante des viandes en Chine et en Inde vient appuyer cett analyse de notre réalité historique. Pourtant, en Occident, plusieurs voix s'élèvent contre notre surconsommation de protéines animales; celle-ci a des incidences majeures sur le réchauffement de notre planète. Tout cela reste bien sûr à nuancer et à démontrer. Plusieurs régimes alimentaires contradictoires comme le véganisme versus le régime cytogène viennent alimenter ce grand débat alimentaire planétaire. 

Les divers accompagnements que je vous donne sur ce site illustrent parfaitement le débat inconscient qu'ont eu les glucides versus les lipides et les protéines. Faisons le tour de ces derniers.

Plusieurs céréales, féculents et tubercules ont constitué la base des repas humains, après les débuts de l'agriculture mondiale. On consultera ce site pour connaitre l'origine et la manière de cuisiner ces aliments: je parle de l'avoine, du blé, du boulghour, du chia, de l'igname, du kacha (sarrasin), du maïs-céréale, du manioc, du mil, du millet, de l'orge, du plantain, du quinoa, du riz sauvage, du sorgho. Avec ces grains, ces fruits ou ces tubercules, on a fait des farines et des fécules avec lesquelles on a créé des crêpes, des pains, des pâtes alimentaires, des pâtisseries diverses, des purées, des salades, des sauces, des ragouts, des soupes, des casseroles et des gratins auxquels on ajoute des garnitures de protéines animales ou végétales, des fruits ou des légumes aromatisées par des condiments, des herbes ou des épices. Signalons, en particulier, nos pains québécois traditionnels et importés d'ailleurs, populaires au XXIe siècle: les biscuits neutres du XVIIe siècle appelés "biscuits matelot ou de mer" parce qu'on les apportait pour traverser les océans ou dans le bois pour faire la trappe des fourrures, les galettes neutres que nos ancêtres se faisaient cuire dans un poêlon de fonte, les pains à garnir empruntés aux Allemands via les Américains (pains à hot dog, hamburger ou sous-marin), les pains levés avec levure ou levain comme notre pain d'habitant ou de ménage, les pains au bicarbonate de soude comme le soda bread des Irlandais, les bannoks, les scones écossais, les banniques autochtones et les nouveaux pains plats du Mexique, du Liban ou des Indes.

On classe les accompagnements de légumes par famille qu'on appelle champignons, légumes bulbes, légumes-feuilles, légumes-fruits, légumes-grains, légumes-racines, légumes-tiges, tubercules, légumineuses ou macédoines. Les légumes et les fruits sont servis marinés ou en ketchups, qu'on appelle, selon leur composition, des achards, des chutneys, des cornichons, des gelées de légumes ou de fruits domestiques ou sauvages, des marinades ou des salades d'été ou d'hiver. Le monde des salades est grand : il se fait avec du chou, des légumes-racines, des légumineuses, des laitues diverses en compagnie de crème, de vinaigre de petits fruits sauvages, de feuilles sauvages, de mesclun du jardin, de multiples vinaigrettes dont celles avec du vinaigre de cidre, de framboises, de noisettes et d'érable. Les conifères ajoutent actuellement leurs parfums à ces vinaigrettes, soit dans l'huile, soit dans le vinaigre lui-même. On revient aussi à l'utilisation de fruits et de légumes en petits dés dans les vinaigrettes qu'on appelle des salsas, et qu'on appelait des saupiquets, au XVIIe siècle.

Comme les pommes de terre, le riz et les pâtes alimentaires sont les aliments les plus populaires au Québec, on a plusieurs manières de les préparer, regroupés sous les appellations suivantes: 1) pour les pommes de terre, on parle de : patate au four, de patate bouillie, de patate dans la cendre ou le sable brûlant, de patates pilées, de patates frites, de patates grâlées ou sous le poêlon, de patates rôties et de patates sautées ou en carriole ou de maitresse d'école. 2) pour le riz, on parle de riz afghan, frit ou à la chinoise, à la mexicaine, à l'espagnole, basmati bouilli, étuvé bouilli nature, pilaf ou pilaü, québécois avec du riz sauvage, à la vapeur ou en rizotto. 3) pour les pâtes, on parle de pâtes asiatiques (vermicelles, crêpes de riz, etc.), de pâtes italiennes (macaronis, spagnettis, rotinis, etc.), de pâtes-maison d'origine étrangère (spatzel, galushka, etc.), de pâtes maison d'Italie (raviolis, spaghettis, linguinis, etc.) et de pâtes-maison québécoises (riz de pâte, catalognes, glissantes, mouchoirs, babiches, etc.). Tous ces plats sont, en fait, des plats de base traditionnels auxquels on ajoute un aliment complémenataire protéiné, lipidique ou d'une autre forme de glucide comme les légumes en sauce.

Mais, aujourd'hui, on les considère plus comme des accompagnements et non les plats de base, à cause du fait que notre mentalité contemporaine considère les viandes, les poissons, les légumes comme des aliments supérieurs et de plus grande valeur que le pain, la pomme de terre, le riz et les pâtes alimentaires. On les accuse, en plus, de tous les maux parce qu'ils font engraisser et que le surpoids est nuisible à la santé. On oublie de dire, que ce ne sont pas ces aliments qui sont les méchants de l'histoire, mais nous-mêmes qui en mangeons trop, de la mauvaise façon!

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec