Les sucres blanc et brun dans notre cuisine

La première mention du sucre date de 327 avant J.C., de la main d’un général de l’armée d’Alexandre le Grand qui conquit la Perse. Mais avant d’arriver en Perse (Irak actuel), le sucre avait fait un long voyage planétaire à partir de la Papouasie-Nouvelle-Guinée où les premiers agriculteurs locaux l’avaient planté, il y a 10 000 ans. Il était traversé en Inde, aux Philippines et en Chine. Les caravanes arabes l’ont alors apporté au Moyen-Orient par la route de la soie, à partir de la Chine, puis l’ont diffusé sur tout le pourtour méditerranéen, lors de l’expansion du monde arabe à partir du VIIe siècle.Les Croisés européens l’ont découvert au Moyen Orient lorsqu’ils voulurent reconquérir la terre sainte où le Christ est né. Rare et cher en Europe, on considérait le sucre comme une épice; on l’utilisait parcimonieusement comme un remède.

Quand on a commencé à faire du sucre de façon artisanale, on commençait par presser la canne en sucre pour en faire sortir la sève que les Antillais appellent le vesou. Puis, on faisait bouillir cette sève comme on le fait pour le sirop d’érable. On mettait ensuite le sirop obtenu dans des contenants troués pour que le liquide se retire du sirop (sous forme de mélasse) et que le sucre du contenant se cristallise. On retirait après plusieurs mois, le sucre cristallisé, pris en pain de couleur brune, puis on concassait ce sucre brun à l’aide d’un marteau. Le sucre concassé s’appelait de la cassonade. Ce sont les colons hollandais des Antilles qui ont mis au point cette technique, comme le rapportait un moine dominicain, en 1654. Les Français des Antilles appelaient ce sucre le casson qui a donné le mot cassonade quand il devenait granulé. En 1660, on commençait à importer de la cassonade à Québec, grâce à l’intendant Talon qui a instauré le commerce triangulaire entre les Antilles, la France et la Nouvelle-France, cette année-là. La cassonade constituait 7% des inventaires des marchands de la ville de Québec de l’époque. Par la suite, la guerre entre la France et l’Angleterre brisa le commerce entre les Antilles et le Québec. C’est à ce moment-là qu’on eut l’idée de remplacer la cassonade par le sucre d’érable. Lorsque la même crise se reproduisit pendant les guerres napoléoniennes, les Français créèrent une nouvelle cassonade avec de la betterave à sucre. Aujourd’hui, notre cassonade provient essentiellement de betteraves à sucre canadiennes

Lorsque les Français s’établirent à Québec, le sucre était encore considéré comme une épice rare comme le clou de girofle ou la cannelle. Les Hospitalières de Québec s’en servaient pour adoucir les médicaments de plantes amères qu’elles donnaient à leurs patients français et autochtones. Mais déjà au XVIIIe siècle, le sucre blanc était devenu une denrée plus courante. Le voyageur Pher Kalm raconte, en 1749, que le sucre blanc est meilleur avec le thé, le café et les groseilles. C’est donc, que sur les tables où on l’invitait, on lui offrait le choix entre le sucre blanc, la cassonade et le sucre du pays, le sucre d'érable.

 Il faut dire que le sucre s’achetait, au début du XIXe siècle, en bloc de 10 livres qu’il fallait casser au besoin à la maison. La farine de sucre issue de ce cassage à l’aide d’un marteau culinaire était gardée pour glacer les gâteaux de mariage ou d’anniversaire des grands de ce monde. Pour l’empêcher de faire des mottes à cause de l’humidité, on le mélangeait avec de la farine ou de la fécule comme on le fait encore aujourd’hui. Il est officiellement né en même temps que la cuisine française, créée par le grand Carême, au tout début du XIXe siècle

Au début du XXe siècle, le sucre blanc était devenu une provision obligatoire pour les familles québécoises. On l’achetait en poche de 100 livres pour faire les confitures, les gelées et les desserts amenés par les Britanniques. Mais il était plus cher que la cassonade ou sucre brun. Et le sucre à glacer encore plus.

Aujourd’hui, le sucre est devenu la bête noire de l’alimentation, le péché mortel dénoncé par les prêtresses de l’alimentation. Ce que je retiens du sucre dans l’histoire, c’est qu’il a amené l’esclavage et bien des problèmes. Mais il a aussi eu son côté réconfortant. Le sucre rappelle à l’humanité le lait maternel qui est très sucré. Il est présent aussi dans beaucoup de plantes en combinaison avec l’amertume et l’acidité. Il est bon pour l’être humain comme pour l’animal, en sage quantité!.

On l'associe aux moments heureux de la vie, au temps des Fêtes qui approche. Il adoucit l'amer du chocolat et de la vie!

Bonne semaine à tous,

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.