Soumis par Michel Lambert le
Comme je vous l’ai promis la semaine dernière, je commence mon tour d’horizon de nos plats nationaux consacrés aux produits aquatiques du Québec, en vous parlant de nos pâtés, de nos casseroles et de nos gratins. Ils sont à la fois des plats festifs et des plats du quotidien : cela dépend de ce qu’il y a dans le plat.
LE MONDE DES PÂTÉS
Je vais commencer par les pâtés festifs qui sont toujours faits avec des poissons rares ou des fruits de mer dispendieux. Ainsi, les pâtés aux fruits de mer mélangés se font en Minganie ou aux Iles-de-la-Madeleine; on y met principalement des crevettes, des pétoncles et du homard ou du crabe, selon la saison. Sur la Côte-du-Sud, ce pâté était même une entrée du Jour de l’An, dans les années 1960. Sur la Pointe-de-Gaspé, on ajoute du flet aux fruits de mer, dans ce pâté festif. Puis on fait aussi des petits pâtés ou des chaussons juste avec un fruit de mer en vedette, comme ceux au homard du Témiscouata, ceux au crabe du Bas-Saint-Laurent, et ceux aux huitres de la Baie-des-Chaleurs ou de la Côte-du-Sud. Les huitres étaient facilement accessibles à toutes les régions qui possédaient un quai, entre 1875 et les années 1940. Il est sûr que de tels pâtés sont plutôt dispendieux, aujourd’hui. Le dimanche, on faisait plus des pâtés ou petits pâtés aux palourdes, aux coques ou aux clams avec de la crème douce ou de la crème sure, comme en Basse-Côte-Nord, en Minganie, aux Iles-de-la-Madeleine et en Baie-des-Chaleurs.
Quant aux pâtés festifs de poisson, la question est plus difficile à traiter parce que la valeur festive du poisson tient plus à sa rareté et à son prix, selon les époques et les régions. Le saumon, par exemple, a toujours eu, dans le passé français, une haute estime. On le considérait comme un poisson rare et honorable à servir à ses invités. Mais la mise en conserve et l’élevage du saumon l’ont rendu beaucoup plus abordable de sorte que le poisson a perdu de son lustre; aujourd’hui, on le servira en plat festif s’il est sauvage et pêché par l’hôte. Un autre exemple semblable est le bar rayé; sa rareté lui confère, aujourd’hui, plus de prestige qu’au siècle dernier. Et les poissons sauvages comme le thon rouge, le flétan de l’Atlantique, le doré, l’omble de l’Arctique et la ouananiche conservent leur caractère exceptionnel. Si on les sert, en filet, enveloppés de pâte feuilletée en compagnie d’une sauce ou d’un beurre aromatisé qui les met en valeur, on garde leur caractère festif. Si on les mélange à des pommes de terre en dés ou en purée, le plat tient plus du menu quotidien. Cependant, il faut dire ici, que le plat festif peut être un simple plat de notre enfance que notre parent nous refait pour nous faire plaisir. La cuisine festive est aussi faite d’émotions et de sentiments d’attachement culturel ou familial.
La seconde chose qu’il faut dire, c’est qu’il y a plusieurs sortes de pâtés : ceux dont l’élément vedette est mêlé à une sauce, ceux qui sont mêlés à une purée de pommes de terre, ceux qui sont mêlés à du pain ou une céréale quelconque, ceux dont l’élément vedette est haché plus ou moins finement à l’aide d’un hachoir mécanique ou électrique. Il y a, de plus, la catégorie des pâtes spéciales qu’on pose seulement sur le dessus du pâté puis ceux dont le dessus est recouvert d’une purée de pommes de terre plutôt que de pâte avec de la farine, qu’on appelle communément des pâtés chinois, selon les familles et les régions. Tous ces pâtés se font dans nos régions.
Commençons avec les pâtés de poisson en sauce blanche : en Basse-Côte-Nord et en Baie-des-Chaleurs, on le fait surtout au saumon avec de l’oignon ou des petits pois ou avec du sébaste et de la macédoine; en Minganie, on remplace ces légumes par des champignons. Sur la Pointe-de-Gaspé, ce pâté est fait avec du saumon ou de la truite de mer, des champignons et du sherry canadien plutôt que du vin blanc. Sur la Côte-de-Gaspé, on le fait avec du saumon et de la macédoine ou du flétan de l’Atlantique avec de la béchamel à la moutarde ou au ketchup. Au Bas-Saint-Laurent on remplace le saumon par de la morue à laquelle on ajoute un peu de chapelure pour lui donner un peu de solidité lorsqu’on le coupe en portions. Au Bas-Saguenay, le pâté au saumon, à la truite mouchetée ou à la truite de mer en béchamel est enrichi de persil ou de cerfeuil haché. Dans les Cantons de l’Est, ce pâté se fait, selon la saison, avec de la barbotte, du crapet-soleil ou de la truite mouchetée.
Viennent ensuite les pâtés de poisson à la crème et farine : aux Iles-de la Madeleine, on fait ce pâté avec de l’éperlan, de la crème et du vin blanc. Les Jersiais le faisaient aussi avec des éperlans ou des lançons qu’ils appelaient des bênis (bennies), avec de l’oignon et de la crème. Dans Charlevoix, c’est l’éperlan et la truite de mer ou de ruisseau, qui prennent la vedette dans ce type de pâté qu’on fait avec de l’oignon, de la crème et un peu de farine.
Les pâtés de poisson avec de la purée de pommes de terre sont très populaires et se font toujours traditionnellement le vendredi, jour maigre de la semaine catholique. C’est le pâté au saumon frais ou en conserve qui est le plus connu, partout au Québec; on le parfume parfois avec du thym français ou de la ciboulette et on l’accompagne de béchamel à la sarriette, de sauce aux œufs ou de sauce blanche aux fèves jaunes, au Saguenay. Il est suivi du pâté de truite mouchetée que l’on fait dans toutes les régions forestières du Québec, du pâté de ouananiche que l’on fait au Lac-Saint-Jean, du pâté de thon avec ail et persil que l’on fait en Basse-Côte-Nord. Quant au pâté de morue à la purée, on lui ajoute du bacon en Basse-Côte-Nord, juste de l’oignon rôti aux Iles-de-la Madeleine, et on le fait avec de la morue ou du saumon salé au Bas-Saguenay. Le pâté se fait avec du flétan du Groenland sur la Pointe-de-Gaspé, avec du maquereau et de la sarriette, en Baie-des-Chaleurs, et avec du crabe effiloché, dans le Bas-Saint-Laurent.
Les pâtés de poisson avec des pommes de terre en dés se font ave du bacon et des coques, en Basse-Côte-Nord; avec des palourdes et des coques aux Iles-de-la-Madeleine; de la crème et des oignons, au Saguenay-Lac-Saint-Jean; des éperlans et des épices à poisson, dans Charlevoix; des pois verts et de la sarriette, dans la région de la Jacques-Cartier.
Un autre pâté de poisson populaire est le pâté chinois au poisson. On remplace, un peu partout, la viande habituelle par du saumon rôti avec de l’oignon ou du saumon en sauce béchamel, à Caplan; par des œufs de poisson, aux Escoumins; par de la morue salée ou des palourdes, aux Iles-de-la-Madeleine — ce pâté s’appelle alors de la morue accommodée dans certaines familles; par de la morue fraichement rôtie, sur la Pointe-de-Gaspé; par du touladi ou de la truite-arc-en-ciel mélangée à des carottes, du céleri et de l’oignon rôtis, dans les Cantons-de-l’Est; par du doré en béchamel avec des œufs durs et du jus de citron, sur le Chemin-du-Roy; par du saumon cuit avec de l’oignon, du céleri et du poivron vert, sur l’ile Jésus; et par du doré poché dans une béchamel, dans le Haut-Saint-Laurent. Certaines familles intercalent des petits pois ou du maïs en crème dans ce pâté.
Les pâtés de poisson haché ou effiloché sont les plus spéciaux de nos pâtés. Dans cette catégorie, on classe les restes de gros poisson qu’on effiloche et mélange à du riz, du pain ou un hachis de légumes ou bien à des œufs battus. Le mélange est mis dans une double abaisse comme les pâtés à la viande ou les tourtières de Montréal. En Basse-Côte-Nord, on les fait avec des restes de saumon, du pain et de la sarriette. On fait aussi des pâtés avec de la chair de capelan ou d’éperlans avec de l’oignon rôti et des jaunes d’œufs ou de la morue dessalée effilochée avec du bacon haché et des poivrons en dés. On en fait aussi avec du sébaste haché cru et de la macédoine. En Haute-Côte-Nord, on mélange du lard salé haché avec du saumon et du flétan du Groenland haché. Aux Iles-de-la-Madeline, on fait un pâté de maquereau cuit avec du pain, des légumes râpés et de la sauce soya. On fait aussi du pâté de flétan de l’Atlantique avec un reste de poisson mélangé à du riz et des légumes râpés. On en fait un autre avec de la morue, des courgettes, des tomates et de la chapelure italienne aux herbes. À Gaspé, on fait un pâté de morue hachée crue mélangée à des carottes râpées et couvert de pâte à biscuit plutôt que de pâte à tarte. Les Jersiais de la Pointe-de-Gaspé se faisaient autrefois des pâtés d’héthans en mélangeant de l’oignon à du hareng cuit débarrassé de ses arêtes. Sur la Côte de Gaspé, on fait des pâtés de gades de poisson en conserve mélangés à du bacon et des poirons verts hachés. Dans le Bas-Saint-Laurent, on fait un pâté d’esturgeon noir haché semblable au pâté à la viande hachée de porc avec de la muscade, qu’on sert chaud avec une sauce aux câpres. Au Bas-Saguenay, on fait un pâté au reste de truite qu’on fait revenir dans de la graisse d’oie avec des queues d’oignon et du maïs en conserve et qu’on saupoudre de farine pour lui donner de la tenue. Dans la région de Québec, on fait le pâté de carpe avec du meunier rouge ou noir, bouilli et sans arête, mélangé à du jus de citron de la crème, du céleri, du poivron haché et des noix hachées. Dans la région de Montréal, on fait des pâtés de pâte feuilletée avec des lamelles de saumon cru assaisonné, que l’on accompagne de beurre citronné ou de sauce tartare.
Les pâtés de viande du golfe ferment la marche de nos pâtés de produits aquatiques. On les fait traditionnellement avec des pigeons de mer (guillemots à miroir ou du phoque du Groenland, en Basse-Côte-Nord et en Minganie, du canard de mer nature ou en conserve en Baie-des-Chaleurs et en Minganie, divers canards de mer et oiseaux de mer au Nunavik, Tout ce gibier de mer est cuisiné en sauce brune épaisse à partir d’un long bouillon de cuisson avec des légumes aromatiques.
Cette famille de plats est de plus en plus associée à la cuisine de la fin de la semaine parce qu’ils demandent plus de temps de fabrication. Heureusement, les congélateurs permettent de prendre de l’avance en utilisant de la pâte à tarte maison ou du commerce congelée.
LE MONDE DES CASSEROLES ET DES GRATINS
Ce type de plat est originaire d’Europe su Sud. Il a été amené en Amérique avec l’émigration massive des Italiens, des Espagnols, des Portugais et des Provençaux après les guerres mondiales de la première moitié du XXe siècle. Ces plats se préparaient d’avance et permettaient aux femmes d’aller travailler aux champs ou en usine. Les casseroles et les gratins sont des plats semblables; les gratins se distinguent par un ajout de fromage ou de chapelure quelconque beurrée que l’on fait dorer sous un gril au plafond du four.. Comme pour les pâtés, le côté festif de ces plats vient de leur contenu. Si le plat est composé uniquement de l’aliment en vedette, rare ou de prix élevé, la casserole sera un plat réservé aux fêtes. Si on la rallonge avec un féculent comme les pommes de terre, le riz ou les pâtes alimentaires, la casserole sera plus un plat de semaine.
Les casseroles ou les gratins de fruits de mer seuls ou en mélange sont des plats festifs. Dans toutes les régions maritimes du Québec, depuis les années 1970, on en fait avec des pétoncles, du crabe, du homard et des crevettes. Auparavant, on en faisait plus avec des coques, des clovisses, des palourdes, des huitres et des moules en compagnie de pommes de terre en lamelles, de grillades de lard salé et d’oignons rôtis. Aux Escoumins, on fait un gratin plus récent avec des moules, une béchamel et des champignons. Le gratin de moules contient des tomates, du thym et du mozzarella, sur la Côte-de-Gaspé et dans le Bas-Saint-Laurent. Le gratin d’huitres se fait de plus en plus rare aux Iles et sur la Pointe-de-Gaspé, avec la rareté et le prix des huitres, aujourd’hui. Aux Iles-de-la-Madeleine, on fait un gratin de coques avec du pain grillé, un gratin de palourdes au pain à l’ail ou un autre aux oignons rôtis et biscuits soda. Dans le Bas-Saint-Laurent, on fait ce gratin avec des biscuits Ritz.
Faisons maintenant le tour des plats festifs de pétoncles et des 3 crustacés du Québec : le crabe, les crevettes et le homard. Les casseroles de pétoncles se font principalement en Basse-Côte-Nord, aux Iles de la Madeleine et sur la Pointe de Gaspé; on les prépare à la crème et au vin blanc ou bien à la béchamel en compagnie principalement de champignons et de poivrons verts. On utilise les mêmes ingrédients pour les gratins en les couvrant de cheddar ou de chapelure aux noix de beurre. On fait plus rarement un gratin avec un mélange de tomates et de poivron vert qu’on couvre de chapelure beurrée. Les casseroles de homard sont réservées aux familles des pêcheurs qui peuvent s’en payer; on les prépare en béchamel avec des champignons et des poivrons verts. Les gratins de homard sont plus accessibles quand on l’associe à des macaronis et du cheddar râpé. Les casseroles de crabe sont aussi associées à des aliments économiques comme les crêpes, le riz, les pâtes alimentaires ou des légumes comme les champignons, le chou-fleur, les carottes, le céleri et même des pommes en compagnie de cidre plutôt que du vin blanc. La plupart des gratins de crabe sont couverts de chapelure beurrée. Enfin, les casseroles de crevettes se présentent beaucoup en sauce crème au curry ou en sauce rosée. Autrement, on les fait beaucoup gratiner au fromage quand elles sont en compagnie de riz eux tomates. C’est dans le Bas Saint-Laurent qu’on trouve le plus de variétés de casseroles et de gratins de crabe.
Quant aux casseroles ou aux gratins de poisson, ils sont présents dans toutes les régions du Québec parce qu’on peut les faire avec du poisson frais d’eau douce ou du poisson de mer salé ou en conserve. Les poissons qui génèrent le plus de gratins ou de casseroles sont par ordre décroissant en nombre, la morue (24), les truites (19), le saumon (18), le brochet (9), le doré (9), l’aiglefin (8), le thon (5), l’achigan (5), le corégone ou poisson blanc (5), le maquereau (4), la perchaude (4), l’éperlan (3), le poisson des chenaux (3), le hareng (2), la plie (2), l’alose (2) et l’anguille (2). S’ajoutent à cette liste 7 poissons de mer et 10 autres poissons d’eau douce à exemple unique. Bien sur, les régions maritimes font d’avantages de recettes aux poissons de mer alors que les régions forestières et celles de la plaine du Saint-Laurent les font traditionnellement avec des poissons de leur environnement local, de la morue salée, du saumon et du thon en conserve.
Comment les fait-on? Les casseroles cuisent les filets de poisson avec un peu d’eau, ou de vin blanc ou de bière ou de cidre. Comme légume aromatique, on ajoute de l’oignon, des champignons, des poivrons verts ou rouges, des tomates, et plus rarement des épinards, du brocoli, des asperges, de la macédoine, des têtes de violon, des haricots verts, des petits pois, du céleri, du fenouil et des carottes, seuls ou en mélange avec 1 ou 2 autres légumes. Les crèmes de céleri et de champignons en conserve sont les plus utilisées comme sauce, en plus de la béchamel ou de la crème. La pomme de terre et les miettes de pain sont les féculents principaux de ces plats familiaux. On les parfume principalement avec de la muscade, du thym et de la sarriette. L’ail est très rare et le jus de citron, occasionnel. Quant aux plats festifs de poisson, ils ne contiennent que du poisson de haute estime comme le saumon, le touladi, la ouananiche, le doré, le maskinongé ou l’esturgeon, toujours un alcool et un cheddar fort, si on en fait un gratin.
En résumé, les régions forestières font plus de casseroles et de gratins de poisson que les régions maritimes. Ces dernières en font plus avec des fruits de mer.
La semaine prochaine, je vous sortirai les plats de fruits de mer les plus populaires en dehors de ceux que nous avons étudiés, les deux dernières semaines. Je vous invite, cette semaine à gouter à de la cuisine saisonnière avec les premières feuilles qui poussent dans les champs et dans le jardin.
À la semaine prochaine!
Michel Lambert